La reconnaissance de la douleur de l’enfant est récente. Elle a longtemps été niée par les soignants, considérée comme utile et rassurante, jugée subjective ou réputée sans conséquences. Les premières échelles d’évaluation n’apparaissent que dans les années 1980. Et il faudra attendre les années 1990 pour que la prise en charge de la douleur de l’enfant soit enfin effective.
Il y a plus de trente ans, le sujet « douleur de l’enfant » n’existait pas dans la pratique médicale. Aucune trace de cet item dans les sommaires des principaux traités de pédiatrie, de chirurgie, de réanimation. Un véritable « livre noir » pourrait décrire les actes invasifs ou chirurgicaux pratiqués sans anesthésie et « sans scrupule » : fermeture du canal artériel du nouveau-né, amygdalectomie, adénoïdectomie, ablation du prépuce, suture, paracentèse, endoscopie… Les enfants brûlés du centre de réanimation de l’hôpital Trousseau, à Paris, comme ailleurs en France, ne « bénéficiaient » que de paracétamol et d’aspirine.
Déni massif, avec de « bonnes raisons »
Un déni massif rassurait les praticiens. Chez l’enfant, la douleur était réputée « inexistante » ; l’immaturité neurologique liée à la myélinisation incomplète des fibres nerveuses était censée protéger les enfants de la douleur. Pourtant, ce dogme rassurant aurait pu être invalidé facilement en feuilletant les traités de neurophysiologie où il était clairement indiqué que les fibres C (principales fibres de la nociception) ne sont jamais myélinisées… La douleur était réputée « sans conséquence » puisqu’il n’y avait pas de mémorisation : « On n’en meurt pas »… Les praticiens étaient démunis pour la traiter, car il était inimaginable d’utiliser les morphiniques, qui comportaient deux risques majeurs : le décès par dépression respiratoire et la dépendance aux opiacés.
Pour certains médecins, il était inconcevable de masquer la douleur, car cela risquait, selon eux, d’augmenter les erreurs diagnostiques en supprimant un signe cardinal de la sémiologie, notamment pour les douleurs abdominales. Le seul traitement efficace était étiologique.
Autre obstacle majeur, la douleur était d’emblée suspecte par sa nature fondamentalement subjective, dépourvue de marqueur biologique, échappant à toute imagerie conventionnelle. De fait, comme tout phénomène subjectif, elle peut donner lieu à des expressions cliniques très différentes, certains rares patients pouvant paraître bien la tolérer alors que d’autres peuvent sembler la surexprimer. Leurs plaintes étant alors souvent disqualifiées (« douillets », « manipulateurs », « syndrome méditerranéen »…).
De plus, la douleur était valorisée culturellement, pendant des siècles ; aux souffrances sur Terre était attribué un pouvoir de rédemption. Ces croyances qui donnaient un sens à la douleur pouvaient néanmoins participer au soulagement du patient - chez les adultes - par un puissant effet placebo.1
Chez l’enfant, la douleur a été censée avoir des vertus pédagogiques, les châtiments corporels étaient la base des moyens éducatifs au sein des familles et des institutions scolaires. La douleur devait forger le caractère des enfants pour mieux les aider à affronter le « buisson d’épines » de la vie.
Pour certains médecins, il était inconcevable de masquer la douleur, car cela risquait, selon eux, d’augmenter les erreurs diagnostiques en supprimant un signe cardinal de la sémiologie, notamment pour les douleurs abdominales. Le seul traitement efficace était étiologique.
Autre obstacle majeur, la douleur était d’emblée suspecte par sa nature fondamentalement subjective, dépourvue de marqueur biologique, échappant à toute imagerie conventionnelle. De fait, comme tout phénomène subjectif, elle peut donner lieu à des expressions cliniques très différentes, certains rares patients pouvant paraître bien la tolérer alors que d’autres peuvent sembler la surexprimer. Leurs plaintes étant alors souvent disqualifiées (« douillets », « manipulateurs », « syndrome méditerranéen »…).
De plus, la douleur était valorisée culturellement, pendant des siècles ; aux souffrances sur Terre était attribué un pouvoir de rédemption. Ces croyances qui donnaient un sens à la douleur pouvaient néanmoins participer au soulagement du patient - chez les adultes - par un puissant effet placebo.1
Chez l’enfant, la douleur a été censée avoir des vertus pédagogiques, les châtiments corporels étaient la base des moyens éducatifs au sein des familles et des institutions scolaires. La douleur devait forger le caractère des enfants pour mieux les aider à affronter le « buisson d’épines » de la vie.
« Repère rassurant » pour les soignants
L’expression de la douleur constituait un repère rassurant. « Un enfant qui crie est un enfant qui vit » était l’argument pour justifier les manœuvres douloureuses (aspiration nasotrachéale, jet d’alcool sur le thorax) pratiquées sur des nouveau-nés en salle de naissance.
Samuel Perry, psychiatre new-yorkais, a montré de manière quasi expérimentale les mécanismes du « besoin de douleur » des équipes soignantes. En 1976, alors qu’il intervenait comme psychiatre de liaison au New York Hospital,2 dans une unité de réanimation pour les brûlés, l’intensité et la sévérité des cris de douleur le troublèrent d’emblée profondément. L’équipe refusait d’utiliser des morphiniques puissants par peur d’une dépression respiratoire ou d’une toxicomanie. Ce psychanalyste commença alors un combat étonnant et remarquable qui l’amena à transgresser largement son domaine de compétence initial. Pour mieux convaincre l’équipe de changer ses pratiques, il organisa des formations sur la pharmacologie des morphiniques. Les données rassurantes sur la sécurité de ces produits correctement prescrits furent néanmoins insuffisantes pour convaincre. Face à la crainte d’un surdosage chez des patients aux capacités métaboliques altérées, Perry entreprit alors une nouvelle étude pharmacologique, invalidant cette hypothèse. L’équipe ne bougea toujours pas, malgré une comparaison sécurisante avec un centre de brûlés équivalent, où des doses dix fois plus élevées de morphine étaient couramment utilisées. Un autre argument soulevé fut que la plupart des patients exagèrent l’expression de leur douleur, car les pansements ne sont en réalité pas si douloureux… Samuel Perry effectua une nouvelle étude auprès de 60 patients tirés au sort, démontrant qu’ils étaient parfaitement capables de distinguer différents niveaux de douleur. Enfin, il effectua une enquête auprès de 100 unités de brûlés aux États-Unis, où il mit en lumière les variations extrêmes (du tout ou rien) de prise en charge de la douleur pour le même soin douloureux. Les résistances à l’utilisation de la morphine demeurant massives,1 il entreprit d’utiliser des « sucettes » permettant aux patients de s’auto-administrer de mini-doses d’un gaz anesthésique (méthoxyflurane) et put ainsi réaliser avec beaucoup de succès des soins très douloureux dans le silence le plus complet. C’est alors qu’un profond malaise s’installa dans l’équipe : le niveau sonore dans le service baissait d’une façon telle que les soignants disaient se sentir comme dans une salle mortuaire... Ces réactions lui permirent de mieux comprendre pourquoi ses initiatives échouaient régulièrement. Ce refus des morphiniques n’était pas, chez les soignants, l’expression d’un « sadisme primaire », écrit Samuel Perry, mais l’équipe avait bel et bien peur d’être confrontée à des patients sans douleur. Un patient calme, immobile et muet rappelle trop le spectre de la mort qui rôde en permanence dans les services de réanimation et de soins intensifs. Pour beaucoup de soignants, la souffrance identifiable des patients fait d’eux des êtres vivants.
Samuel Perry, psychiatre new-yorkais, a montré de manière quasi expérimentale les mécanismes du « besoin de douleur » des équipes soignantes. En 1976, alors qu’il intervenait comme psychiatre de liaison au New York Hospital,2 dans une unité de réanimation pour les brûlés, l’intensité et la sévérité des cris de douleur le troublèrent d’emblée profondément. L’équipe refusait d’utiliser des morphiniques puissants par peur d’une dépression respiratoire ou d’une toxicomanie. Ce psychanalyste commença alors un combat étonnant et remarquable qui l’amena à transgresser largement son domaine de compétence initial. Pour mieux convaincre l’équipe de changer ses pratiques, il organisa des formations sur la pharmacologie des morphiniques. Les données rassurantes sur la sécurité de ces produits correctement prescrits furent néanmoins insuffisantes pour convaincre. Face à la crainte d’un surdosage chez des patients aux capacités métaboliques altérées, Perry entreprit alors une nouvelle étude pharmacologique, invalidant cette hypothèse. L’équipe ne bougea toujours pas, malgré une comparaison sécurisante avec un centre de brûlés équivalent, où des doses dix fois plus élevées de morphine étaient couramment utilisées. Un autre argument soulevé fut que la plupart des patients exagèrent l’expression de leur douleur, car les pansements ne sont en réalité pas si douloureux… Samuel Perry effectua une nouvelle étude auprès de 60 patients tirés au sort, démontrant qu’ils étaient parfaitement capables de distinguer différents niveaux de douleur. Enfin, il effectua une enquête auprès de 100 unités de brûlés aux États-Unis, où il mit en lumière les variations extrêmes (du tout ou rien) de prise en charge de la douleur pour le même soin douloureux. Les résistances à l’utilisation de la morphine demeurant massives,1 il entreprit d’utiliser des « sucettes » permettant aux patients de s’auto-administrer de mini-doses d’un gaz anesthésique (méthoxyflurane) et put ainsi réaliser avec beaucoup de succès des soins très douloureux dans le silence le plus complet. C’est alors qu’un profond malaise s’installa dans l’équipe : le niveau sonore dans le service baissait d’une façon telle que les soignants disaient se sentir comme dans une salle mortuaire... Ces réactions lui permirent de mieux comprendre pourquoi ses initiatives échouaient régulièrement. Ce refus des morphiniques n’était pas, chez les soignants, l’expression d’un « sadisme primaire », écrit Samuel Perry, mais l’équipe avait bel et bien peur d’être confrontée à des patients sans douleur. Un patient calme, immobile et muet rappelle trop le spectre de la mort qui rôde en permanence dans les services de réanimation et de soins intensifs. Pour beaucoup de soignants, la souffrance identifiable des patients fait d’eux des êtres vivants.
Mesures de la douleur par les pionniers de la fin des années 1980
En 1984, Patrick McGrath, psychologue à l’université Dalhousie au Canada, publie et valide la première grille d’observation comportementale CHEOPS (Children’s Hospital of Eastern Ontario Pain Scale) postopératoire.3
En France, en 1987, Annie Gauvain-Piquard, pédiatre et psychiatre en cancérologie pédiatrique à l’institut Gustave-Roussy (IGR) à Villejuif, développe et valide la première grille d’observation comportementale de la douleur prolongée de l’enfant, l’échelle DEGR (Douleur Enfant Gustave-Roussy ).4 Elle montre ainsi que les enfants les plus douloureux présentent des tableaux d’atonie psychomotrice avec une sémiologie contre-intuitive de douleur muette : les enfants sont trop calmes, sans cris, sans pleurs, sans agitation.
En 1987, en Grande Bretagne, Kanwaljeet J. S. Anand, néonatologiste, publie une « bombe » dans le prestigieux New England Journal of Medicine.5 Il y reprend toutes les données neurophysiologiques dispersées dans beaucoup de disciplines et montre magistralement que la douleur du nouveau-né, et encore plus celle du prématuré, est une réalité et que ces très jeunes enfants sont beaucoup plus exposés aux effets délétères de la douleur.
Dix ans plus tard, le dogme de la non-mémorisation tombe quand Anna Taddio publie dans le Lancet les résultats d’une étude comparant les niveaux de douleur de 87 nourrissons lors de leur première vaccination à l’âge de 4 ou 6 mois ;6 les enfants circoncis à la naissance (sans anesthésie, comme l’étaient une majorité de nouveau-nés aux États-Unis) présentaient des scores de douleur significativement plus élevés que ceux qui n’avaient pas eu de circoncision.
En France, en 1987, Annie Gauvain-Piquard, pédiatre et psychiatre en cancérologie pédiatrique à l’institut Gustave-Roussy (IGR) à Villejuif, développe et valide la première grille d’observation comportementale de la douleur prolongée de l’enfant, l’échelle DEGR (Douleur Enfant Gustave-Roussy ).4 Elle montre ainsi que les enfants les plus douloureux présentent des tableaux d’atonie psychomotrice avec une sémiologie contre-intuitive de douleur muette : les enfants sont trop calmes, sans cris, sans pleurs, sans agitation.
En 1987, en Grande Bretagne, Kanwaljeet J. S. Anand, néonatologiste, publie une « bombe » dans le prestigieux New England Journal of Medicine.5 Il y reprend toutes les données neurophysiologiques dispersées dans beaucoup de disciplines et montre magistralement que la douleur du nouveau-né, et encore plus celle du prématuré, est une réalité et que ces très jeunes enfants sont beaucoup plus exposés aux effets délétères de la douleur.
Dix ans plus tard, le dogme de la non-mémorisation tombe quand Anna Taddio publie dans le Lancet les résultats d’une étude comparant les niveaux de douleur de 87 nourrissons lors de leur première vaccination à l’âge de 4 ou 6 mois ;6 les enfants circoncis à la naissance (sans anesthésie, comme l’étaient une majorité de nouveau-nés aux États-Unis) présentaient des scores de douleur significativement plus élevés que ceux qui n’avaient pas eu de circoncision.
3615 code Pédiadol
En 1989, un groupe pluridisciplinaire et militant, réunissant médecins* (anesthésistes, pédiatres, réanimateurs, pharmacologue), infirmières puéricultrices, psychologue, crée Pédiadol, la première banque de données consacrée à la douleur de l’enfant (sur Minitel à l’époque, puis sur internet : www.pediadol.org ). L’objectif était de rassembler, diffuser et actualiser toutes les informations et publications permettant concrètement d’améliorer le traitement de la douleur de l’enfant. L’intention était que toutes ces données soient accessibles à un public professionnel très large, et notamment aux infirmiers. D’emblée, ce projet a reçu le soutien du ministère de la Santé et de la Fondation de France.
En 1990, a été réalisée la première enquête nationale sur la reconnaissance et le traitement de la douleur en unité de néonatologie et réanimation pédiatrique, soutenue par le ministère de la Santé.7 Vingt-quatre unités y ont participé, plus de trois cents réponses ont été recueillies auprès de médecins, infirmiers, kinési–thérapeutes, aides-soignants… À chacun il était demandé de noter la douleur des actes et gestes usuels (ponctions, pose de drain…), de décrire les moyens antalgiques utilisés pour trois cas « standard », de préciser les signes corporels évoquant la douleur et enfin de donner leur niveau de satisfaction concernant la prise en charge de la douleur. Les résultats de l’enquête ont parfaitement confirmé ce que nous observions quotidiennement. De grandes inégalités de pratique sont apparues, et, surtout, les différences de cotation des gestes douloureux allaient toujours dans le même sens : les médecins cotaient moins que les infirmiers qui, eux-mêmes, cotaient moins que les aides-soignants. Les connaissances des produits antalgiques étaient pour le moins médiocres, beaucoup n’utilisaient pas de produits efficaces et puissants... La majorité des soignants déclaraient que la douleur existait dès la naissance. Pourtant, le passage à l’acte thérapeutique demeurait largement insuffisant. Au total, 62 % des personnes ayant répondu se déclaraient insatisfaites des moyens utilisés pour lutter contre la douleur dans leur unité.
En 1990, a été réalisée la première enquête nationale sur la reconnaissance et le traitement de la douleur en unité de néonatologie et réanimation pédiatrique, soutenue par le ministère de la Santé.7 Vingt-quatre unités y ont participé, plus de trois cents réponses ont été recueillies auprès de médecins, infirmiers, kinési–thérapeutes, aides-soignants… À chacun il était demandé de noter la douleur des actes et gestes usuels (ponctions, pose de drain…), de décrire les moyens antalgiques utilisés pour trois cas « standard », de préciser les signes corporels évoquant la douleur et enfin de donner leur niveau de satisfaction concernant la prise en charge de la douleur. Les résultats de l’enquête ont parfaitement confirmé ce que nous observions quotidiennement. De grandes inégalités de pratique sont apparues, et, surtout, les différences de cotation des gestes douloureux allaient toujours dans le même sens : les médecins cotaient moins que les infirmiers qui, eux-mêmes, cotaient moins que les aides-soignants. Les connaissances des produits antalgiques étaient pour le moins médiocres, beaucoup n’utilisaient pas de produits efficaces et puissants... La majorité des soignants déclaraient que la douleur existait dès la naissance. Pourtant, le passage à l’acte thérapeutique demeurait largement insuffisant. Au total, 62 % des personnes ayant répondu se déclaraient insatisfaites des moyens utilisés pour lutter contre la douleur dans leur unité.
Succès de la première journée intitulée « La douleur de l’enfant. Quelles réponses ? »
Pour que ces résultats ne restent pas confinés aux lecteurs de revues spécialisées, une journée nationale intitulée « La douleur de l’enfant. Quelles réponses ? » a été organisée par Pédiadol en 1991, avec le soutien du ministère de la Santé. L’enquête en réanimation pédiatrique a été officiellement présentée lors de cette première journée, à Paris, dans le cadre prestigieux de l’Unesco. Bruno Durieux, alors ministre de la Santé, a ouvert la journée en déclarant qu’il n’était « plus possible de se résigner » face à la douleur de l’enfant. Dans nos meilleures hypothèses, nous espérions accueillir 400 participants, nous avons été rapidement débordés par les demandes d’inscription. La grande salle de l’Unesco contenant 1 400 places était comble et il a fallu refuser plusieurs centaines de personnes. Le défi initial s’est transformé en une grande victoire. Le public était composé de médecins (pédiatres, anesthésistes…) et majoritairement d’infirmiers et de puéricultrices, dont beaucoup ont très vite confirmé l’impact de cet événement sur leur pratique. Jamais le thème de la douleur de l’enfant n’avait encore rassemblé autant de professionnels. L’événement est néanmoins passé inaperçu du grand public, car la presse n’avait pas été invitée.
Il a fallu attendre 1998 pour que la douleur de l’enfant occupe une place à la une du journal Libération, grâce à une autre enquête financée par la Direction générale de la santé et réalisée dans 62 services accueillant des enfants. Nous avons pu encore une fois montrer la grande hétérogénéité des pratiques témoignant le plus souvent des difficultés, voire des carences, en matière de traitement de la douleur de l’enfant.
Les premières vidéos montrant l’utilisation du mélange gazeux antalgique MEOPA (mélange équimolaire composé d’oxygène et de protoxyde d’azote) ont été présentées en décembre 1992, lors de la deuxième journée. Pour beaucoup d’équipes, ce fut un véritable « choc » de voir pour la première fois des ponctions lombaires, des myélogrammes effectués sur des enfants souriants, en présence des parents, et surtout sans contention physique. Ces bonnes pratiques se sont diffusées en moins de cinq ans dans la majorité des services de pédiatrie et d’urgence de l’Hexagone.
Il a fallu attendre 1998 pour que la douleur de l’enfant occupe une place à la une du journal Libération, grâce à une autre enquête financée par la Direction générale de la santé et réalisée dans 62 services accueillant des enfants. Nous avons pu encore une fois montrer la grande hétérogénéité des pratiques témoignant le plus souvent des difficultés, voire des carences, en matière de traitement de la douleur de l’enfant.
Les premières vidéos montrant l’utilisation du mélange gazeux antalgique MEOPA (mélange équimolaire composé d’oxygène et de protoxyde d’azote) ont été présentées en décembre 1992, lors de la deuxième journée. Pour beaucoup d’équipes, ce fut un véritable « choc » de voir pour la première fois des ponctions lombaires, des myélogrammes effectués sur des enfants souriants, en présence des parents, et surtout sans contention physique. Ces bonnes pratiques se sont diffusées en moins de cinq ans dans la majorité des services de pédiatrie et d’urgence de l’Hexagone.
À partir de 2000, recommandations officielles et publications se multiplient
Des Plans nationaux de lutte contre la douleur ont ensuite vu le jour, le deuxième Programme de lutte contre la douleur 2002-2005 a placé la douleur de l’enfant dans les trois priorités nationales.8 Les besoins pour améliorer la prise en charge de la douleur provoquée par les soins ont été également soulignés chez l’adulte.
Les années 2000 ont vu la création de commissions dédiées à la douleur de l’enfant au sein des sociétés savantes (Société française de pédiatrie, Société française d’étude et de traitement de la douleur, Société française des cancers de l’enfant). En 2000, l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation de la santé (Anaes) a élaboré les premières recommandations françaises. En 2009, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a produit des recommandations de bonne pratique sur la prise en charge médicamenteuse de la douleur aiguë et chronique chez l’enfant.9 La Haute Autorité de santé (HAS), via la certification, demande alors aux hôpitaux de mettre en œuvre des moyens pour la prise en charge de la douleur. Une littérature scientifique abondante témoigne des avancées concernant la meilleure connaissance des mécanismes et des traitements de la douleur de l’enfant.
Les membres de Pédiadol publient dans des revues internationales à forte audience sur de nombreux sujets en lien avec la douleur de l’enfant : efficacité des solutions sucrées (sucrose, glucose 30 %, succion) lors des effractions cutanées chez le nouveau-né,10 utilisation en France du protoxyde d’azote pour les gestes douloureux en pédiatrie,11 épidémiologie des gestes douloureux chez le nouveau-né,12 validation de la grille EVENDOL (Evaluation Enfant DouLeur) pour évaluer la douleur des enfants aux urgences.13
Les années 2000 ont vu la création de commissions dédiées à la douleur de l’enfant au sein des sociétés savantes (Société française de pédiatrie, Société française d’étude et de traitement de la douleur, Société française des cancers de l’enfant). En 2000, l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation de la santé (Anaes) a élaboré les premières recommandations françaises. En 2009, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a produit des recommandations de bonne pratique sur la prise en charge médicamenteuse de la douleur aiguë et chronique chez l’enfant.9 La Haute Autorité de santé (HAS), via la certification, demande alors aux hôpitaux de mettre en œuvre des moyens pour la prise en charge de la douleur. Une littérature scientifique abondante témoigne des avancées concernant la meilleure connaissance des mécanismes et des traitements de la douleur de l’enfant.
Les membres de Pédiadol publient dans des revues internationales à forte audience sur de nombreux sujets en lien avec la douleur de l’enfant : efficacité des solutions sucrées (sucrose, glucose 30 %, succion) lors des effractions cutanées chez le nouveau-né,10 utilisation en France du protoxyde d’azote pour les gestes douloureux en pédiatrie,11 épidémiologie des gestes douloureux chez le nouveau-né,12 validation de la grille EVENDOL (Evaluation Enfant DouLeur) pour évaluer la douleur des enfants aux urgences.13
Liens privilégiés avec l’association Sparadrap
Un partenariat étroit entre le groupe Pédiadol et l’association Sparadrap (www.sparadrap.org ) a permis de réaliser des livrets, des affiches, des DVD destinés aux enfants, aux familles et aux soignants ; la diffusion de ces documents a permis de « démocratiser » les messages et de les rendre accessibles à un large public. L’efficacité des moyens antalgiques non médicamenteux a été ainsi largement diffusée : hypnoanalgésie pratiquée par les infirmiers,14 stratégies ludiques permettant de distraire l’enfant pendant les soins. Ces « captures » sensorielles permettent également d’entrer en relation avec les enfants, notamment les plus jeunes, de les « apprivoiser » et de gagner leur confiance.
Certaines mauvaises pratiques perdurent
La violence subie par les enfants en l’absence de couverture antalgique est une problématique ancienne. Ce « passage en force » infligé aux enfants « pour leur bien » est encore régulièrement observé, sous prétexte de soins, d’actes « qui ne peuvent pas attendre ». Tous les ingrédients (violence, terreur, douleur) sont réunis pour fabriquer un traumatisme psychique et générer, chez certains, des comportements phobiques vis-à-vis des soins, des soignants. Le recours à la contention massive est un excellent marqueur des mauvaises pratiques. La réalisation régulière, au sein des services, d’audits mesurant systématiquement le niveau de contention permet d’améliorer les pratiques en pédiatrie. Une grille d’évaluation spécifique a été réalisée en 2019.15
La mise en œuvre des bonnes pratiques demande un effort permanent
Les bonnes pratiques sont labiles et éphémères, comme le sont celles de la lutte contre les infections nosocomiales. Les « mauvaises habitudes » étant toujours plus fortes que les bonnes, il faut régulièrement faire des « piqûres de rappel » pour marteler les bons messages. Sortir une grille d’évaluation, prendre quinze minutes pour « apprivoiser » un enfant phobique, aller chercher et lire un document Sparadrap représentent des « efforts » qui sont loin d’être évidents au quotidien…
À l’hôpital, plusieurs facteurs apparaissent déterminants pour que ces bonnes pratiques soient réellement mises en œuvre : l’ambiance au sein de l’équipe (reconnaissance du rôle infirmier et du besoin de formation, bonne communication…) et notamment la qualité relationnelle entre médecins et infirmiers apparaissent plus importantes que les connaissances techniques.16 La volonté, la détermination du chef de service et du cadre de santé constituent un autre point essentiel. Le refus des soignants de réaliser des soins sans couverture antalgique efficace, la « pression » des parents qui incitent les équipes à modifier leurs pratiques en comparant avec ce qu’ils ont vu ailleurs (« comme dans l’autre service ») sont aussi des éléments très importants.
À l’hôpital, plusieurs facteurs apparaissent déterminants pour que ces bonnes pratiques soient réellement mises en œuvre : l’ambiance au sein de l’équipe (reconnaissance du rôle infirmier et du besoin de formation, bonne communication…) et notamment la qualité relationnelle entre médecins et infirmiers apparaissent plus importantes que les connaissances techniques.16 La volonté, la détermination du chef de service et du cadre de santé constituent un autre point essentiel. Le refus des soignants de réaliser des soins sans couverture antalgique efficace, la « pression » des parents qui incitent les équipes à modifier leurs pratiques en comparant avec ce qu’ils ont vu ailleurs (« comme dans l’autre service ») sont aussi des éléments très importants.
Motivation à maintenir à tous les niveaux
En quelques décennies, les avancées sont réelles, et le bilan est plus que positif : nous disposons de connaissances, d’outils d’évaluation, de traitements efficaces contre la douleur de l’enfant. Toutefois, le triomphalisme n’est pas de mise, la victoire est fragile, les pratiques restent trop variables. Nous savons aussi que cette belle « panoplie » ne peut être mise en œuvre que par des êtres humains motivés, disponibles et empathiques… La bonne recette repose sur la conjonction d’une volonté politique nationale (Plan douleur), locale (chef de service, cadre…), avec une diffusion continue des connaissances et des réalisations permettant de donner des réponses concrètes et quotidiennes à la douleur de l’enfant.
* Annie Gauvain Piquard, Elisabeth Fournier Charriere, Nadine Amas, Nicole Dreyer Muller, Christine Ricard, Frédérique Lassauge, Francis Weyckemans, Didier Cohen Salmon, Elisabeth Questiaux, Catherine Dolfuss, Nathalie Lecuyer, Patrick Richard.
Références
1. Schienle A, Gremsl A, Wabnegger A. Placebo effects in the context of religious beliefs and practices: A resting-state functional connectivity study. Front Behav Neurosci 2021;15:1-8.
2. Perry SW. Undermedication for pain on a burn unit. Gen Hosp Psychiatry 1984;6(4):308‑16.
3. McGrath PJ, Johnson G, Goodman JT, Schillinger J. The development and validation of a behavioral pain scale for children: The children’s hospital of eastern Ontario pain scale (CHEOPS). PAIN 1984;18:S24.
4. Gauvain-Piquard A, Rodary C, Rezvany A. Pain in children aged 2-6 years: A new rating scale elaborated in a pediatric oncology unit-preliminary report. Pain 1987;31:177‑8.
5. Anand KJ, Hickey PR. Pain and its effects in the human neonate and fetus. N Engl J Med 1987;317(21):1321‑9.
6. Taddio A, Katz J, Ilersich AL, Koren G. Effect of neonatal circumcision on pain response during subsequent routine vaccination. The Lancet 1997;349(9052):599‑603.
7. Annequin D, Canoui P, Comar L, Blonde C, Sicsic C, Cloup M, et al. Enquête multicentrique sur la perception, la reconnaissance, l’évaluation, le traitement de la douleur en réanimation pédiatrique. Rean Soins Intens Med Urg 1992;8(1):19‑26.
8. Le programme de lutte contre la douleur 2002-2005. Ministère de la Santé. https://vu.fr/TapoZ
9. Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Prise en charge médicamenteuse de la douleur aiguë et chronique chez l’enfant. Recommandations de bonne pratique 2009.
10. Carbajal R, Chauvet X, Couderc S, Oliviermartin M. Randomised trial of analgesic effects of sucrose, glucose, and pacifiers in term neonates. Brit Med J 1999;319(7222):1393‑7.
11. Annequin D, Carbajal R, Chauvin P, Gall O, Tourniaire B, Murat I. Fixed 50% nitrous oxide oxygen mixture for painful procedures a French survey. Pediatrics 2000;105(4):e47.
12. Carbajal R, Rousset A, Danan C, Coquery S, Nolent P, Ducrocq S, et al. Epidemiology and treatment of painful procedures in neonates in intensive care units. JAMA 2008;300(1):60‑70.
13. Fournier-Charrière E, Tourniaire B, Carbajal R, Cimerman P, Lassauge F, Ricard C, et al. EVENDOL, a new behavioral pain scale for children ages 0 to 7 years in the emergency department: Design and validation. Pain 2012;153(8):1573‑82.
14. Lombart B, Guiot C, Maunoury N. Manuel pratique d’hypnoanalgésie pour les soins en pédiatrie. Sparadrap 2015. https://vu.fr/rnYRf
15. Lombart B, Annequin D, Cimerman P, De Stefano C, Perrin O, Bouchart C, et al. A simple tool to measure procedural restraint intensity in children: Validation of the PRIC (Procedural Restraint Intensity in Children) scale. Heliyon éd. 2019;5(8):e02218.
16. Latimer MA, Johnston CC, Ritchie JA, Clarke SP, Gilin D. Factors affecting delivery of evidence-based procedural pain care in hospitalized neonates. J Obstet Gynecol Neonatal Nurs 2009;38(2):182‑94.
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9. Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Prise en charge médicamenteuse de la douleur aiguë et chronique chez l’enfant. Recommandations de bonne pratique 2009.
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12. Carbajal R, Rousset A, Danan C, Coquery S, Nolent P, Ducrocq S, et al. Epidemiology and treatment of painful procedures in neonates in intensive care units. JAMA 2008;300(1):60‑70.
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Dans cet article
- Déni massif, avec de « bonnes raisons »
- « Repère rassurant » pour les soignants
- Mesures de la douleur par les pionniers de la fin des années 1980
- 3615 code Pédiadol
- Succès de la première journée intitulée « La douleur de l’enfant. Quelles réponses ? »
- À partir de 2000, recommandations officielles et publications se multiplient
- Liens privilégiés avec l’association Sparadrap
- Certaines mauvaises pratiques perdurent
- La mise en œuvre des bonnes pratiques demande un effort permanent
- Motivation à maintenir à tous les niveaux
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