Ne pas s’attaquer à la tumeur directement mais relancer le système immunitaire capable de détruire les cellules tumorales ! C’est le principe de l’immunothérapie spécifique. 
Avec un recul de maintenant plus de cinq ans, l’immunothérapie est une avancée majeure dans la prise en charge thérapeutique du cancer et des hémopathies. La journée mondiale contre le cancer (4 février 2020) est l’occasion d'une mise au point sur cette innovation thérapeutique.


En quoi consiste l’immunothérapie ?

Notre système immunitaire veille en permanence à repérer et éliminer de notre organisme toute cellule anormale. Pour éviter que ce système ne s’emballe, les lymphocytes T cytotoxiques possèdent à leur surface des récepteurs ou points de contrôle du système immunitaire (appelés « checkpoints ») capables de réguler leur activité. Ainsi, lorsqu’un lymphocyte T reconnaît un antigène spécifique grâce à son récepteur antigénique (TCR), il ne pourra être activé que si les différents signaux envoyés par ses points de contrôle sont en faveur d’une activation. 

Les cellules tumorales sont capables de surexprimer à leur surface des ligands (comme PD-L1) de ces récepteurs inhibiteurs (checkpoints PD-1 ) pour échapper au système immunitaire et ne pas être éliminées. 

En bloquant ces récepteurs inhibiteurs à la surface des lymphocytes T par l’utilisation d’anticorps spécifiques (voir figure), la réponse immunitaire est relancée, aboutissant à la destruction de la tumeur. Cette découverte a été couronnée par le prix Nobel de physiologie et médecine en 2018. Depuis la découverte de PD-1 et CTLA-4, plusieurs dizaines de checkpoints ont été identifiés.

 

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Mélanome avancé, cancer du poumon métastatique… 

Après le mélanome, les bénéfices se confirment chez les patients atteints de cancer du poumon avancés (non à petites cellules). Les résultats rapportés à l’ASCO 2019 confirment que 18 % des 550 patients traités par pembrolizumab (anti-PD1) sont encore en vie à cinq ans, alors que l'espérance de vie était de 5 % en moyenne avant l’arrivée de ces traitements !

Les indications se sont élargies depuis, que ce soit en 1e ou 2e ligne thérapeutique, voire en association avec une chimiothérapie ou une radiothérapie : cancer du rein, cancers urothéliaux, cancers ORL, lymphome de Hodgkin, carcinome de Merkel. 

 

Une toxicité qui affecte 60 % des patients

Mais en activant le système immunitaire, l’immunothérapie provoque des effets secondaires fréquents, de type inflammatoire ou auto-immun, qui peuvent survenir de manière retardée, quelques mois ou années après l’arrêt du traitement. Ces nouvelles toxicités dites « immunomédiées » sont encore mal connues des soignants et peuvent toucher tous les organes (peau, tube digestif, foie, poumons…). L’information du patient comme celle du médecin traitant sur les risques liés au traitement est primordiale. « Tout nouveau symptôme inhabituel doit rapidement être rapporté à son médecin. » Un réseau ImmunoTox de référents spécialistes ainsi qu’une application téléchargeable sur smartphone (recommandations de bonne pratique) ont été mis en place pour répondre rapidement aux demandes croissantes des médecins qui suivent ces patients.

 

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Seuls 30 % des patients y répondent 

Les recherches se concentrent sur les patients répondeurs pour mieux comprendre comment fonctionne la réponse immunitaire. Et en particulier ce qui se passe dans le micro-environnement tumoral (riche en cellules immunitaires) et au niveau des ganglions qui drainent la tumeur. Plus le micro-environnement est infiltré par des cellules immunitaires (tumeurs dites « chaudes »), meilleure est l’espérance de vie. On savait déjà que la radiothérapie potentialisait l’effet de l’immunothérapie par un relargage d’antigènes des cellules tumorales. 

Combiner vaccin et immunothérapie : une piste pour lever les résistances à ces traitements ! Une équipe de chercheurs de Gustave-Roussy a testé in vivo l’injection de vaccins contre le rotavirus directement dans des tumeurs de type neuroblastomes, générant alors une forte réponse immunitaire antitumorale.

 

CAR-T cells : une immunothérapie « sur mesure » 

Alors que les anticorps monoclonaux (ou inhibiteurs de points de contrôle) permettent de déverrouiller le système immunitaire, les thérapies cellulaires et géniques (immunothérapie de dernière génération utilisée en Europe depuis l’été 2018) consistent à administrer au patient des lymphocytes T génétiquement modifiés, équipés de « radars armés » capables de détecter les cellules tumorales et les détruire. Ces « cellules-médicaments » appelées CAR-T cells sont produites à partir des lymphocytes T des patients (CAR-T cells autologues) ; les lymphocytes sont prélevés par aphérèse, puis génétiquement modifiés in vitro afin d’exprimer à leur surface un récepteur antigénique chimérique, et enfin réinjectés. Cette préparation nécessite en moyenne six semaines, délai parfois trop long en raison de l’urgence médicale ; ces traitements étant utilisés après échec des autres traitements. Deux médicaments sont utilisés actuellement en hématologie dans les leucémies aigues lymphoblastiques et le lymphome diffus à grandes cellules B. Le défi majeur en oncologie est de faire pénétrer ces cellules au cœur des tumeurs solides pour obtenir des résultats aussi spectaculaires que ceux obtenus dans les hémopathies.

Le futur : développer des CAR-T cells allogéniques, provenant de donneurs sains, et prêts à l’emploi, tout en évitant le rejet par le système immunitaire du receveur !

Les coûts très élevés sont un frein évident. Par comparaison, le prix d’une thérapie par anticorps monoclonal est de l’ordre de 5 000 euros par mois. Plusieurs cures sont nécessaires (voire parfois l’association de plusieurs immunothérapies combinées) et pour quelle durée ? Une injection unique de CAR-T cells semble suffire. Coût moyen : plus de 300 000 euros. Mais avec l’espoir d’une guérison… 

 

Alexandra Karsenty, La Revue du Praticien

Image : Micrographie électronique à balayage pseudo-colorée d'une cellule cancéreuse squameuse orale (blanche) attaquée par deux cellules T cytotoxiques (rouges). Crédit : Rita Elena Serda, Duncan Comprehensive Cancer Center at Baylor College of Medicine, National Cancer Institute, National Institutes of Health.

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