Témoignage de la mère d’Oscar
À 12 ans, 2 mois et demi après son entrée en 6e, mon fils est devenu phobique scolaire. Il est resté déscolarisé jusqu’à la fin de l’année. Il allait de plus en plus mal. Les colères d’Oscar se sont transformées en crises d’une violence extrême, parfois plusieurs fois par jour : coups de pied, coups de poing dans les portes, dans les murs, jets d’objets, cris… Je faisais tout pour essayer de limiter les hématomes, les blessures. Oscar hurlait sa souffrance à tel point qu’il me suppliait de l’aider à mourir. Il était devenu très irritable : un mot de trop, un bruit, une expression, un geste mal interprété, une frustration, et la crise explosait. Son quotidien et le nôtre étaient devenus un enfer. Nous nous sommes isolés. Un matin, lors d’une énième crise, mon fils s’est mis en danger dans la salle de bains. J’ai dû appeler le Samu. Il a été hospitalisé pendant 6 jours.
Son frère aîné, terrorisé par les crises d’Oscar, était aussi en grande souffrance. Très rapidement, nous avons mis en place aussi une thérapie pour lui afin qu’il soit soutenu.
J’étais complètement meurtrie par la souffrance de mes enfants. Je me sentais coupable, impuissante, en échec total. Démunie, je finissais par tout faire pour éviter les crises, en attendant de comprendre ce qui arrivait à mon fils. Nous avons consulté plusieurs médecins, psychologues, psychiatres. Tout au long du parcours thérapeutique d’Oscar, on nous a dit que c’était une question d’âge, de limites, d’éducation, une phobie scolaire, un caprice, une manipulation. En tant que parents, nous étions remis en cause. Nous avions l’impression de ne pas être entendus. Quand mon fils a été hospitalisé, j’espérais qu’enfin un diagnostic serait posé car à ce moment-là nous avions déjà compris qu’il avait besoin de soins : malheureusement ça n’a pas été le cas. La conclusion sera une phobie scolaire et la nécessité en tant que parent de travailler sur nos angoisses. Pourtant, les troubles de mon fils se sont accentués : des phobies, des troubles alimentaires, la dépression, les crises d’angoisse, le risque élevé de suicide.
C’est à force de recherches que nous avons enfin trouvé des experts qui ont diagnostiqué le trouble d’Oscar et accepté de le prendre en charge. L’association Bicycle a également été d’un grand soutien dans ce que nous traversions. Malheureusement, il nous aura fallu 10 ans pour comprendre que notre fils était cyclothymique avec une hypersensibilité et des troubles de l’anxiété sévères… autant d’années de souffrance qui auraient pu être évitées à nos deux enfants !
Commentaire du Dr Élie Hantouche
Certains symptômes doivent alerter
Dans la pratique, il est important de se rappeler que les dépressions survenant à un âge précoce sont plutôt de nature bipolaire qu’unipolaire. De plus, au sein de la bipolarité, les cas qui commencent à un âge précoce (avant 15 ans) ont les caractéristiques de la cyclothymie : traits instables avec forte réactivité émotionnelle et des cycles continuels de hauts hypomaniaques et de bas dépressifs qui sont brefs et hautement récurrents. Pour les chercheurs, la bipolarité « avec un âge de début précoce » est considérée comme une forme clinique distincte de bipolarité, avec un taux élevé de bipolarité familiale et un risque augmenté de complications et handicaps.
La bipolarité à début précoce correspond à un phénotype qui intéresse la génétique et d’autres domaines de la recherche biomédicale. En effet, la bipolarité juvénile est particulièrement sévère, en raison d’une fréquence plus élevée des cycles rapides, une tendance à la chroni- cité, des éléments psychotiques, une comorbidité anxieuse, un abus de substances et une réponse réduite aux régulateurs de l’humeur. Un tel pronostic plus réservé peut :
– traduire un trouble naturellement destiné au long cours ;
– renvoyer à l’hypothèse que la bipolarité juvénile ne s’exprime pas de la même manière que la forme débutant à l’âge adulte ;
– refléter les conséquences d’un début précoce sur la maturation et le développement du jeune ;
– être lié aux conséquences désastreuses d’un délai assez long pour la reconnaissance du trouble ou à la réticence de traiter les jeunes bipolaires avec des régulateurs de l’humeur ou, pire, à cause des effets déstabilisants des antidépresseurs et des stimulants fréquemment utilisés chez les jeunes ayant des troubles émotionnels et compor- tementaux et chez qui le diagnostic de bipolarité n’est pas établi.
dépister systématiquement les troubles de l’humeur
Aujourd’hui, près de 4 % des enfants en France, soit plus de 500 000, souffrent de bipolarité. Pourtant, la majorité des médecins continuent d’affirmer l’inexistence du trouble bipolaire avant l’âge de 15 ans. L’absence de diagnostic précoce chez les enfants provoque des délais extrêmement longs pour les premiers traitements, et une évolution plus sévère de la bipolarité à l’âge adulte.
Créée en 2010, Bicycle est la première association française à but non lucratif d’aide aux familles et éducateurs d’enfants et adolescents cyclothymiques, bipolaires.
Elle s’est donné trois objectifs :
– soutenir les familles ;
– créer un relais éducatif à la maison et à l’école ;
– faire connaître et reconnaître la cyclothymie juvénile : œuvrer pour un diagnostic précoce et développer la formation des médecins.
La bipolarité se déclare majoritairement pendant l’enfance, alors arrêtons de faire « un diagnostic de novice » en attendant la crise maniaque typique ! Les problèmes de sommeil, les crises de colère explosives, la déscolarisation, l’irritabilité excessive, les tentatives de suicide doivent être considérés comme des facteurs de risque conduisant à un dépistage systématique des troubles de l’humeur.
Le savoir expérienciel des familles à travers Bicycle doit être pris en compte et entendu. En effet, la majorité des familles qui viennent à nous ont fini par poser elles-mêmes le diagnostic à force de recherches, d’obstination mais surtout de beaucoup d’amour… Au contact de leurs enfants, en les accompagnant au quotidien, les familles sont devenues expertes de la maladie. Les parents ne doivent plus être considérés comme cause du problème mais comme partie intégrante de la solution, comme des co-thérapeutes.
Le défi doit être de mieux définir les stades précoces ou juvéniles de la bipolarité et de prédire les jeunes à haut risque de développer un trouble bipolaire.