L’Observatoire français de drogues et des tendances addictives (OFDT) a publié des données sur les tendances récentes de la consommation de substances psychoactives et les nouvelles drogues utilisées en 2022.
La hausse du trafic et des consommations en France s’inscrit dans un contexte mondial marqué par l’augmentation de la production et du trafic de cannabis, cocaïne, héroïne, MDMA/ecstasy et d’autres nouveaux produits. L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) rapportait en effet qu’au niveau mondial le nombre de consommateurs de drogues a augmenté de 23 % entre 2011 et 2021, tandis que celui des personnes ayant un trouble de l’usage lié à ces dernières a augmenté de 45 % sur la même période. Les deux substances les plus consommées restent le cannabis et les opioïdes, mais la cocaïne (dont la production est en augmentation ces dernières années), les stimulants dérivés de l’amphétamine (MDMA, ecstasy) et les « nouveaux produits de synthèse » ne sont pas en reste. Quelles sont les tendances, les substances et les populations les plus concernées en France ?
Un marché en expansion, qui se modernise
L’enquête menée par l’OFDT révèle une diffusion et une rationalisation de la livraison de drogues à domicile. Se servant de plus en plus des technologies de communication (marketing sur les réseaux sociaux, organisation des livraisons sur des messageries cryptées comme Telegram, paiement dématérialisé par cryptomonnaies…), les réseaux de trafic atteignent un public plus large de façon plus « efficace ».
Ces nouvelles modalités autorisent en effet l’expansion du trafic dans les villes moyennes et petites – alors que les points de vente matériels fournissaient plus fréquemment les grandes métropoles –, la systématisation de la commercialisation de plus grandes quantités et la diversification des produits vendus. En 2022, les réseaux de trafic ne proposant qu’un seul produit sont devenus rares : la plupart revendent, en plus des drogues « classiques » comme le cannabis, la cocaïne et l’héroïne, des médicaments (codéinés, méthadone, benzodiazépines…).
En outre, selon les données du Système d’identification national des toxiques et des substances (Sintes) de l’OFDT, 26 nouveaux produits de synthèse ont été identifiés en 2022 : cannabinoïdes et opioïdes de synthèse, cathinones, substances hallucinogènes comme les arylalkylamineset et les phénéthylamines, ou stimulantes comme les pipéridines et pyrrolidines… Pour les stupéfiants déjà connus et usités, c’est notamment la hausse de la concentration de la cocaïne qui préoccupe les toxicologues (plus de la moitié des échantillons saisis ne contenaient pas d’agents adultérants).
Médicaments de plus en plus consommés hors cadre médical
Détournements dans des contextes de polyconsommations
La consommation de ces médicaments est constatée dans un contexte de polyconsommations, majoritairement chez les usagers de drogues en grande précarité – populations migrantes notamment, provenant le plus souvent de l’Est de l’Europe, du Maghreb, d’Afrique subsaharienne ou encore du Moyen-Orient. Constituées surtout d’hommes de moins de 40 ans, ces populations ont en commun un état de santé physique et psychologique dégradé lié à leur parcours migratoire difficile, aux conditions de vie précaires qu’elles subissent en France et à leur manque d’accès aux soins.
Les consommations sont dominées par l’alcool et l’injection d’opioïdes, parfois en alternance ou mélangée avec de la cocaïne/crack, et sont de plus en plus associées à celle de nombreux médicaments qui peuvent provenir d’ordonnances souvent falsifiées ou d’achats dans le marché noir (issus d’autres pays, détournés du système de santé local ou contrefaits) : injections de méthadone ; tramadol, benzodiazépines (Valium), prégabaline (Lyrica), administrés généralement per os même si l’injection est parfois pratiquée.
Hausse de la dépendance au Lyrica
L’usage de la prégabaline dans ces contextes est particulièrement surveillée ces dernières années. Depuis 2017, l’OFDT a constaté le développement de l’utilisation de ce médicament – normalement prescrit dans l’épilepsie, les douleurs neuropathiques ou dans certains troubles anxieux – en dehors de tout protocole médical.
Malgré des restrictions mises en place par l’ANSM en 2021 (ordonnance sécurisée, durée de prescription limitée à 6 mois…), une hausse des personnes ayant développé une dépendance à la prégabaline a été constatée en 2022, préoccupant les professionnels du secteur médico-social.
Cette année-là, l’usage de ce médicament a été observé sur tout le territoire hexagonal, au sein des métropoles mais aussi des villes plus petites. Il concerne principalement les hommes en situation de précarité socio-économique (migrants et, de façon croissante, personnes vivant en centre d’hébergement, mineurs et jeunes majeurs pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance…) ; la prégabaline est alors utilisée pour potentialiser les effets des opioïdes (elle abaisse la tolérance à ces derniers, faisant courir un risque de surdose) ou comme substitut lorsqu’ils font défaut, ainsi qu’à des fins « autothérapeutiques » pour réguler certaines souffrances psychiques, voire dans une optique « récréative » en association avec d’autres substances. Des consommations de prégabaline sont également rapportées en contexte professionnel, dans les secteurs du bâtiment ou de la restauration, pour mieux supporter les conditions de travail difficiles.
Les difficultés d’accès aux soins et aux dispositifs de réduction des risques parmi les populations les plus précaires les rend particulièrement vulnérables aux accidents aigus liés aux surconsommations ou aux mélanges, qui sont fréquemment constatés.
Essor d’autres substances dans les contextes festifs
En parallèle, l’usage des substances psychoactives est aussi en évolution dans les contextes récréatifs :
- protoxyde d’azote et poppers, mais aussi MDMA/ecstasy sont observés, aux côtés de l’alcool du cannabis et de la cocaïne, dans tous types d’événements festifs, festivals, boîtes de nuit… ;
- la consommation de kétamine, de 3-MMC (3-méthylméthcathinone) et de molécules apparentées figure parmi les tendances marquantes de 2022 : si auparavant elle était cantonnée à des contextes restreints, elle se diffuse dans les scènes festives plus généralistes ;
- des substances hallucinogènes telles que LSD, champignons ou encore DMT (diméthyltryptamine) et 2−CB (4-bromo- 2,5-diméthoxyphényléthylamine) sont surtout visibles dans des scènes festives particulières (événements/festivals organisés en plein air, sur plusieurs jours…) ;
- l’usage de la « cocaïne rose », en expansion en 2022, a été très médiatisé, mais reste dans les faits marginal. Aussi appelée tussi ou tucibi (nom dérivé de la prononciation hispanisée du 2-CB, « two cee bee »), elle n’a pourtant rien à voir avec ces deux produits dont elle tire son nom. Dans cette méconnaissance de sa composition réside son danger principal. Des analyses ont montré qu’elle est constituée d’un mélange de substances, le plus souvent kétamine et MDMA, mais aussi 3-MMC et tramadol, avec des produits de coupe variés (caféine, lidocaïne, mannitol, etc.). Les usagers rapportent des effets hallucinogènes et stimulants d’intensité variable.
En pratique, que peut faire le médecin ?
Ces données montrent qu’aussi bien la médecine d’urgence que les soins primaires sont concernés par les problèmes liés à ces consommations.
En soins primaires, lorsque c’est possible, un dépistage simple peut permettre de proposer des approches de réduction des risques ou un adressage vers les centres spécialisés en addictologie (centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie [CSAPA]) présents dans tous les départements. Il est également utile de connaître les principes de prise en charge (sevrage thérapeutique, prévention de la rechute, réduction des risques) et d’avoir une vigilance particulière vis-à-vis de l’utilisation détournée de médicaments afin de signaler tout mésusage ou effet indésirable aux Centres de pharmacovigilance.
Une sélection d’articles publiés dans nos colonnes sur ces sujets :
Gabapentine et prégabaline : gare au risque d’abus et dépendance
Item 78. Addiction au cannabis, à la cocaïne, aux amphétamines, aux opiacés, aux drogues de synthèse
Complications psychiatriques et addictologiques des nouveaux produits de synthèse
Observatoire français des drogues et des tendances addictives. Point sintes n° 9. décembre 2023.