Un rapport récent de l’Assurance maladie révèle que le nombre d’adolescents et jeunes adultes sous traitement psychotrope ne cesse d’augmenter depuis 2015 et s’accélère même depuis 2022 – en particulier chez les femmes… Que retenir de ces chiffres et comment les interpréter ?

Les chiffres, issus du système national des données de santé (SNDS), concernent les remboursements de médicaments psychotropes délivrés en villepour les 12 - 25 ans en France métropolitaine et d’outre-mer entre 2015 et 2023. Seuls les médicaments prescrits et remboursés ont été comptabilisés, ce qui peut ne pas correspondre exactement à ceux réellement consommés.

Une augmentation depuis 2020, en accélération depuis 2022 

Chaque année entre 2015 et 2020, un peu moins de 800 000 jeunes de 12 à 25 ans onteu au moins une délivrance de médicament psychotrope, ce qui correspond à une proportion d’environ 71 pour 1 000 personnes. Ce chiffre a brutalement augmenté dès septembre 2020 (+ 12 % entre 2020 et 2021), pour se maintenir en 2022 (+ 1 %) puis s’accélérer de nouveau en 2023 (+ 5 %) [fig. 1]. Cette année-là, 936 000 jeunes de 12 à 25 ans ont eu un remboursement pour au moins un psychotrope (81 pour 1 000 personnes). 

Cela veut dire que le nombre de personnes recevant un psychotrope a augmenté de 18 % entre 2019 et 2023alors que la population de cette tranche d’âge n’a augmenté que de 3 %. Cette hausse est spécifique à cette classe d’âge, puisque sur la même périodeil y a euune légère diminution de la proportion de personnes âgées de 26 à 60 ans prenant ce type de médicament. De plus, elle a été la plus importante pour la tranche d’âge12 - 15 ans.

Enfin, les fillessont davantage concernées : en effet, le nombre de filles ayant eu une délivrance de psychotropes entre 2019 et 2023 a augmenté de 20 %, tandis que celui des garçons a augmenté de 8 %.

Des évolutions différentes en fonction du type de psychotrope

Si cette dynamique est observée pour toutes les catégories de psychotropes, elle est particulièrement importante pour les antidépresseurs (la proportion de jeunes en recevant a augmenté de 55 %entre 2019 et 2023), les hypnotiques pour les troubles du sommeil (+ 50 %) et les antipsychotiques (+ 35 %). 

La prescription d’antidépresseurs augmente, celle d’anxiolytiques progresse peu

En 2023, la prise d’antidépresseurs concernait 41 % des 12 - 25 ans sous psychotropes, et davantage chez les 20 ans et plus. Le nombre de jeunes ayant eu uneprescriptionpour un médicament de cette classe a bondi à la suite de la pandémie (+ 24 % entre 2020 et 2021) ; depuis, la progression est de moins en moins rapide mais elle reste élevée (fig. 2). Par ailleurs, si cette augmentation concerne les deux sexes, elle a été plus forte chez les filles. En 2023, 33 jeunes sur 1 000 étaient traités par antidépresseurs, dont près de trois quarts étaient des filles.

La molécule la plus fréquemment prescrite était la sertraline chez les enfants et adolescents (aussi utilisée pour les troubles de l’anxiété sociale). La fluoxétine était prescrite à moinsd’un tiers d’entre eux, alors qu’elle est jugée la plus efficace (l’Assurance maladie rappelle que les bénéfices de la plupart des antidépresseurs ne sont pas supérieurs à ceux du placebo chez les enfants et adolescents). La paroxétine est la plus prescrite chez les plus âgés. 

Si les dispensations d’anxiolytiques concernaient 67 % des jeunes sous psychotropes en 2023 (54 personnes sur 1 000, dont deux tiers de filles), leur augmentation a étémoins importante au totaldepuis 2019 (+ 8 %, avec un pic à + 11 % entre 2020 et 2021). Cette hausse est attribuable uniquement aux filles (+ 13 % contre 0 % chez les garçons). Les molécules les plus prescrites sont l’hydroxyzine chez les 12 - 15 ans et les benzodiazépines pour les plus âgés (alprazolam, oxazépam, etc.).

Enfin, l’Assurance maladie souligne que ces deux classes de psychotropes concernent souvent les mêmes personnes.

Antipsychotiques : vigilance particulière

Entre 2019 et 2023, le nombre de jeunes sous antipsychotiques a augmenté de 38 %. La progression la plus importante revient aux 16 - 19 ans (+ 43 %) et particulièrement aux filles de cette tranche d’âge (+ 91 %).

Les molécules les plus prescrites chez les plus jeunes sont la cyamémazine (aussi utilisée comme anxiolytique hors AMM pour la population pédiatrique) ; la rispéridone et l’aripiprazole chez les plus âgés.

Étant donné que cette classe médicamenteuse est utilisée pour traiter des pathologies psychiatriques chroniques complexes, l’Assurance maladie souligne que cette augmentation mérite une surveillance particulière, mais aussi qu’il est difficile de comparer ces évolutions avec celles de la consommation des autres psychotropes, qui ont souvent été prescrits pour des troubles anxieux ou du sommeil en réaction au contexte de crise. 

Psychostimulants : prescription doublée en 10 ans

Le nombre d’adolescents et de jeunes adultes ayant eu une prescription de psychostimulants – notamment de méthylphénidate, molécule utilisée dans le traitement du TDAH – a été multiplié par 2,5 entre 2015 et 2023, avec une accélération à partir de 2022 (fig. 2), à la suite de certains changements réglementaires (primoprescription en ville, extension de l’indication de remboursement à l’adulte).

C’est chez les jeunes adultes que la consommation a le plus augmenté : le nombre de 18 - 25 ans prenant du méthylphénidate a été multiplié par près de 4 entre 2015 et 2023, et davantage chez les jeunes femmes (x 5,6).

Comment interpréter ces chiffres ?

Faisant écho aux données de surveillance nationale et aux enquête menées par Santé publique France – qui révèlent une hausse des troubles anxiodépressifs et un doublement des conduites suicidaires chez les jeunes, en particulier chez les femmes –, ce rapport de l’Assurance maladie est un argument supplémentaire indiquant une franche dégradation de la santé mentale des jeunes ces dernières années.

Cette hausse des prescriptions des psychotropesmontre aussi que « la psychiatrie de l’enfant et l’adolescent est en difficultés », explique le Pr Olivier Bonnot, pédopsychiatre à l’hôpital Barthélémy Durand (Essonne) : puisque la demande est beaucoup plus importante que l’offre de soins, « la réponse médicamenteuse est souvent la seule disponible… Ce n’est pas la faute des prescripteurs, qui font ce qu’ils peuvent ; mais c’est préoccupant, d’autant plus pour les antipsychotiques ».

Pour les psychostimulants, la hausse s’explique, selon l’Assurance maladie, par un rattrapage du retard diagnostique et thérapeutique du TDAH par rapport aux autres pays européens. « L’augmentation est importante en pourcentage car on partait d’une prescription très faible en France – dont on peut se demander si elle n’était pas trop faible au regard de la prévalence du TDAH – mais on reste en dessous des moyennes des autres pays occidentaux », développe le Pr Bonnot, qui a contribué à la rédaction des récentes recommandations de la HAS sur la prise en charge de ce trouble. L’Assurance maladie a toutefois mis en garde vis-à-vis de possibles mésusages chez les jeunes adultes, pour « dopage intellectuel ».

Enfin, elle a rappelé que les antidépresseurs ne sont pas le traitement de première ligne des troubles dépressifs, la HAS recommandant en première intention différents types de psychothérapies et, en cas d’échec ou sévérité, la prescription associée d’un antidépresseur. Les séances chez le psychologue bénéficient désormais d’une prise en charge à 60 % (12 consultations/an), grâce au dispositif « Mon soutien psy ».

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