Si la perte de poids comporte des risques bien documentés chez la personne âgée, en lien avec diverses pathologies dont elle grève le pronostic, peu d’études se sont intéressées à ses effets sur des populations âgées exemptes de maladies. C’est chose faite, grâce à une vaste étude de cohorte internationale qui vient de paraître dans le JAMA.

Outre le fait d’être limitées aux patients ayant de comorbidités, la plupart des études disponibles rapportant une association entre perte de poids et mortalité ont d’autres limites : par exemple, la mesure de l’évolution du poids sur la base de données déclaratives, l’hétérogénéité des méthodes pour évaluer les causes de mortalité, l’absence de prise en compte d’hospitalisations récentes (qui sont un facteur important de dénutrition).

Pour combler ces lacunes, une équipe internationale de chercheurs a étudié l’association entre les variations de poids et de tour de taille et la mortalité (toutes causes, liée au cancer, liée à une maladie CV, ou autre, ni liée au cancer ni à une maladie CV) chez des personnes âgées de 65 ans et plus sans maladie CV connue, démence, handicap physique ou autre maladie chronique handicapante, hors surpoids, HTA, dyslipidémie et diabète (10 % des patients).

Il s’agit de l’étude la plus complète et détaillée à ce jour sur l’effet de la perte de poids dans cette population spécifique. Ses résultats viennent de paraître dans le JAMA.

Un risque de mortalité jusqu’à 3 fois plus important en cas de perte de poids > 10 %

Les auteurs ont utilisé les données de la cohorte internationale ASPREE (Aspirin in Reducing Events in the Elderly Trial), dont les participants ont été recrutés en Australie et aux États-Unis entre 2010 et 2014

Au sein de cette cohorte, 16 523 personnes d’âge moyen 75 ans (dont 55,6 % de femmes ; poids moyen : 77 kg ; IMC moyen : 28) ont fait l’objet d’une estimation de l’évolution de leur corpulence sur les deux premières années du suivi, grâce aux mesures de poids et de tour de taille réalisées à l’inclusion puis lors de la deuxième visite annuelle. Les participants ont été classés en 5 groupes selon les évolutions de poids et tour de taille : stabilité (évolution < 5 %), diminution d’entre 5 et 10 %, diminution > 10 %, augmentation d’entre 5 et 10 % et augmentation de plus de 10 %. Ils ont ensuite été suivis sur un total de 4,4 années en moyenne, durant lesquelles 1 256 morts ont été enregistrées.

En étudiant l’association entre ces différentes catégories et la mortalité, les chercheurs ont trouvé un risque augmenté de mortalité toutes causes :

  • chez les hommes : de 33 % en cas de perte de poids comprise entre 5 et 10 %, par rapport aux hommes dont le poids était resté stable, et de 289 % pour une perte de poids supérieure à 10 % ;
  • chez les femmes : de 26 % en cas de perte de poids comprise entre 5 et 10 %, par rapport à celles dont le poids était resté stable, et de 114 % pour une perte de poids supérieure à 10 %.
 

Ces associations demeuraient pour les causes de mortalité spécifiques. Ainsi, une perte de poids > 10 % était associée à :

  • un sur-risque de mortalité par cancer de 249 % chez les hommes et de 178 % chez les femmes ;
  • pour la mortalité CV, ce sur-risque était respectivement de 214 % et de 92 % ;
  • pour d’autres causes non liées au cancer ou aux maladies CV (pouvant englober les décès liés à des traumatismes, à une démence, à une maladie de Parkinson…), il était de 398 % chez les hommes.
 

Une diminution du tour de taille supérieure à 10 % était également associée à la mortalité toutes causes, avec un risque augmenté de 114 % chez les hommes et de 34 % chez les femmes.

Quelles implications pour la clinique ?

Ces résultats montrent que la perte de poids est associée à une augmentation de la mortalité (toutes causes et spécifique) dans la population de plus de 65 ans même en l’absence de pathologie initiale (maladie CV, démence, handicap…), et particulièrement lorsqu’elle est > 10 %.

Une explication possible est que la perte de poids peut être un prodrome de plusieurs maladies menaçant le pronostic vital : il est en effet bien établi qu’une diminution du poids précède souvent un diagnostic de cancer ; toutefois, cette étude montre qu’elle est aussi à l’œuvre dans d’autres causes de mortalité non liées au cancer.

De plus, cette association persiste après ajustement pour des facteurs confondants tels que l’âge, la fragilité, le tabagisme, l’hospitalisation dans les 24 mois précédents et certaines pathologies chroniques comme le diabète et l’HTA. Elle était également indépendante du poids initial, ce qui suppose qu’une perte de poids inopinée peut être associée à une augmentation de la mortalité même chez les sujets en surpoids ou obèses.

Enfin, bien qu’elle ait été observée dans les deux sexes, l’association avec la mortalité était particulièrement marquée chez les hommes : en effet, dans la population de l’étude, le taux de mortalité toutes causes était près de 4 fois supérieur chez les hommes ayant eu une perte de poids > 10 % par rapport à ceux ayant un poids stable, alors que chez les femmes il était 2 fois supérieur. Cette disparité pourrait s’expliquer par la différence de composition corporelle entre les sexes : prédominance de la masse squelettique et musculaire dans la masse corporelle totale chez les hommes, versus proportion plus importante de masse grasse chez les femmes. Or la perte de la masse musculaire squelettique (sarcopénie) est un facteur de gravité de la dénutrition, associée elle-même à la mortalité. Selon les auteurs, cela pourrait aussi expliquer pourquoi, dans cette étude, c’était la perte de poids, davantage que la diminution du tour de taille, qui était associée à un sur-risque de mortalité.

Ces résultats soulignent l’importance du dépistage et de la prise en charge précoces de la dénutrition chez les sujets âgés. En France, des recommandations de bonne pratique à cet égard ont été éditées en 2019 pour les adultes de moins de 70 ans et en 2021 pour ceux de 70 ans et plus (incluant les personnes en situation d’obésité). Retrouvez également une sélection de nos articles récents abordant cette question :

Pour en savoir plus
Hussain SM, Newman AB, Beilin L, et al. Associations of Change in Body Size With All-Cause and Cause-Specific Mortality Among Healthy Older Adults. JAMA 2023;6(4):e237482.
Dossier – Dénutrition de l’adulte, élaboré selon les conseils scientifiques du Pr Éric Fontaine.  Rev Prat 2022;72(8);849-81.

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