Les maladies chroniques et la consommation de viande rouge ou transformée vont souvent de pair.1 De nombreuses études épidémiologiques jugent les niveaux de preuves convaincants ou probables entre une alimentation carnée (hors volaille) et la probabilité de développer un diabète de type 2, des maladies cardiovasculaires ou un cancer colorectal.2,3,4 En revanche, les données pour corréler les risques de déclin cognitif avec une consommation quotidienne de viande rouge ou transformée étaient insuffisantes pour conclure à une quelconque relation.5 Mais une nouvelle étude menée par des chercheurs de l’université de Harvard risque de changer la donne.
Pour établir un lien entre la consommation quotidienne de viande rouge ou transformée et la démence, les auteurs se sont appuyés sur les réponses aux questionnaires de fréquence de consommation d’aliments de deux cohortes américaines (Nurses’ Health Study [NHS] et Health Professionals Follow-Up Study [HPFS]) suivies pendant une quarantaine d’années. Les répondants étaient des professionnels de santé et les femmes étaient sur-représentées. Sur les 133 771 personnes incluses dans l’étude, le risque de démence était 13 % plus élevé chez les consommateurs quotidiens d’au moins un quart d’une portion (> 0,25) de viande transformée par rapport à ceux qui en mangeaient moins d’un dixième (< 0,10).
Les chercheurs ont ensuite évalué le risque de déclin cognitif subjectif (DCS). Ils ont analysé les réponses de 43 966 personnes inscrites soit au NHS soit au HPFS (âgées en moyenne de 77,9 ans) à une série de six ou sept questions pour évaluer leur mémoire, leurs fonctions exécutives, leur attention et leurs capacités visuelles et spatiales. Ceux qui consommaient > 0,25 de viande transformée quotidiennement avaient 14 % de risque supplémentaire de subir un déclin cognitif par rapport aux personnes qui en mangeaient < 0,10. La viande transformée n’est pas la seule à affecter les fonctions cognitives : le risque de DCS augmentait de 16 % chez les personnes mangeant quotidiennement une portion de viande rouge.
Or, d’après les recommandations du PNNS 2019 - 2023, la consommation de viande (hors volaille) ne doit pas excéder 500 g/semaine et celle de charcuterie 150 g/semaine.6 Le World Cancer Research Fund est encore plus radical : il invite à bannir toutes les viandes transformées et à limiter la viande rouge à trois portions hebdomadaires, ce qui correspond à 350 - 500 g de viande rouge cuite par semaine.7 Or, en France, les consommateurs de viande rouge et de charcuterie en mangent en moyenne 70 g/j et 40 g/j respectivement.8
Outre ces corrélations entre viande rouge ou transformée et altération des fonctions cognitives, les auteurs ont analysé les bénéfices à substituer la viande transformée par d’autres aliments riches en protéines. La viande rouge et la charcuterie en contiennent des quantités non négligeables (en moyenne 26 g/100 g et 19,7 g/100 g respectivement),9,10 mais en remplaçant une portion de viande transformée par du poulet ou du poisson ou des œufs ou des laitages ou des fruits à coque avec des légumes, le risque de démence diminuait entre 13 et 28 % et celui de DSC pouvait même baisser jusqu’à 51 %.
Le lien entre l’altération des fonctions cognitives et la consommation quotidienne de viande rouge ou transformée semble probable. Mais, comme le soulignent les auteurs, cette étude ne porte que sur les habitudes alimentaires de professionnels de santé aux États-Unis, un secteur où les femmes blanches sont sur-représentées. Il est nécessaire de prendre en compte un échantillon de population plus hétérogène pour valider ou non la corrélation entre la consommation régulière de viande rouge et le déclin des fonctions cognitives.
Références :
1. Anses. Actualisation des repères du PNNS : révision des repères de consommations alimentaires. Décembre 2016.
2. Lafaille-Roncoroni V, Ait-Boudaoud A, Carette C. Alimentation dans le diabète de type 2.Rev Prat Med Gen 2020;34(1042);434-5.
3. Martin Agudelo L. Nitrites (charcuteries) : un sur-risque de diabète ?Rev Prat (en ligne) 25 janvier 2023.
4. Deschasaux M, Latino-Martel P, Touvier M. Nutrition et cancers digestifs.Rev Prat Med Gen 2018;32(1012);876-7.
5. Anses. Actualisation des repères du PNNS : étude des relations entre consommation de groupes d’aliments et risque de maladies chroniques non transmissibles. Novembre 2016.
6. Ministère des solidarités et de la santé. Programme national nutrition santé 2019-2023. 19 septembre 2019.
7. World Cancer Research Fund. Meat and cancer.
8. Anses. Étude individuelle nationale des consommations alimentaires 3 (INCA 3). Juin 2017.
9. Anses. Table de composition nutritionnelle des aliments Ciqual. Viande rouge cuite (aliment moyen). 2020.
10. Anses. Table de composition nutritionnelle des aliments Ciqual. Charcuterie (aliment moyen). 2020.