En 2023, le cancer du pancréas a touché près de 16 000 personnes en France, selon l’Institut national du cancer (INCa). Souvent diagnostiqué à un stade avancé, il reste l’un des cancers les plus redoutables, avec un fort impact sur la vie des patients et de leur famille. Améliorer le diagnostic précoce et la prise en charge constitue un défi médical majeur, essentiel pour offrir de meilleures chances de survie. 

Témoignage de Sophie, 46 ans

Le 25 mars 2023, une prise de sang prescrite par mon médecin géné­raliste en raison de démangeaisons et de douleurs abdominales révèle des transaminases et gamma GT élevées. Le biologiste me recommande d’aller aux urgences. Bien que je me sente en forme, j’y passe vingt-quatre heures, puis je reste hospitalisée. Quelques jours plus tard, une imagerie par résonance magnétique puis une endo-­écho­graphie confirment la présence d’une tumeur de 20 à 25 mm de la tête du pancréas, touchant les veines. Le choc est brutal. Ayant travaillé dans un service d’oncologie, je comprends immédiatement la gravité de la situation. Le monde s’effondre. L’annonce à ma famille est déchirante. Malgré la douleur, je reçois un soutien inconditionnel de mon compagnon, de ma famille et de mes proches.

Le chirurgien avait prévu de m’opérer rapidement, mais finalement je dois d’abord débuter une chimiothérapie après l’installation d’un drain pour évacuer la bilirubine. En attendant, un ictère me rend jaune, et je souffre de démangeaisons insupportables. Chaque nuit est une épreuve. Dès que la chimiothérapie commence, je retrouve un semblant d’espoir. Je découvre une immense solidarité autour de moi et une équipe médicale extrêmement réactive. Le traitement est épuisant avec douze cycles de folfirinox (acide folinique, 5 -fluoro-uracile, irinotécan et oxaliplatine), mais je m’accroche. Je lutte contre la fatigue et la faiblesse et je trouve du réconfort et de l’énergie à l’idée de marcher et voir mes proches. Parfois, je me sens seule face à la mort, mais je trouve toujours une oreille attentive à mes peurs et mes angoisses.

Courant septembre, l’équipe médicale m’indique que la date de mon opération est fixée au 2 octobre.

J’utilise ce temps pour me préparer en marchant, rencontrant des pro­ches et profitant de ces moments précieux. L’opération, bien que difficile, est une étape cruciale. Après une dizaine de jours en soins intensifs et deux semaines d’hospitali­sation, je fais face à des difficultés alimentaires et des diarrhées. La veille de ma sortie, le chirurgien me révèle que, bien que les marges de la pièce opératoire soient saines, j’ai trois métastases ganglionnaires lymphatiques. Cette annonce est un nouveau coup dur. La mort semble de nouveau proche et la convalescence est éprouvante.

En décembre, je reprends mon cycle de chimiothérapie, qui se termine en janvier. Commence alors la phase de surveillance. Confrontée à mes émotions, je cherche l’aide d’un psychologue pour ne pas surcharger mon entourage. Peu à peu, je retrouve des habitudes simples et des moments de bonheur. Ma vie est maintenant rythmée par des scanners tous les trois mois. La question de la récidive et de la mort est omniprésente. Je tente de trouver un équilibre fragile, de vivre malgré l’incertitude. Chaque jour est un mélange de fatigue, de douleur, d’angoisse, de découragement, d’espoir, de joie et de bonheur. Je suis en vie.

Commentaire de Sarah Baudry et François Duval, psychologues 

Le témoignage de Sophie éclaire la pluralité des dimensions du vécu du sujet lors de la traversée du cancer du pancréas et les enjeux psychi­ques singuliers qui y sont associés. Elle peut dater le jour de l’annonce du diagnostic, son inscription figée dans le temps en point de bascule de son vécu subjectif. Ses mots désignent l’effraction psychique du réel du cancer et de la confrontation imposée à une mort possible. Dès lors que la maladie grave survient, le corps s’empare de l’espace et la temporalité se trouve remaniée et redéfinie dans un présent spolié de son devenir. Car si «  notre passé contient tout notre être, nous savons que notre futur contient notre mort  »* et cela se concrétise et s’actualise dans cette circonstance. Le cancer immobilise la personne malade dans un espoir éteint d’un temps sans avenir, le désespoir. La brutalité de ce réel dans sa dimension inintégrable est susceptible de suspendre la pensée, de s’associer à une sidération nécessitant ainsi un temps de reprise des éléments communiqués lors de l’annonce du diagnostic à la personne malade dans l’après-coup.

Sophie nomme l’ébranlement de ses repères et assises psychiques et le point de rupture dans son vécu subjectif face au réel qui s’impose. La confrontation à la menace de mort la propulse dans une solitude radicale dans sa dimension impartageable. Le silence est destructeur en cela «  qu’il s’impose comme la reconnaissance de la béance à venir  ». On peut concourir à redonner consistance à un présent intemporel, diffus et confus en privilégiant l’échange, plutôt qu’un «  se taire ou faire taire  ». À ce titre, le témoignage de Sophie est édifiant. Il s’inscrit dans le droit-fil de cette parole énoncée/entendue, offerte/reçue, il est une prise de parole d’une au profit de tous. Celle qui s’attache à soulager ceux qui devront, vaille que vaille, vivre, traverser l’épreuve du cancer du pancréas. Les atteintes corporelles qu’entraînent le cancer et les soins, le corps objet de sensations et éprouvés nouveaux (phé­nomènes douloureux, inconforts, étrangetés) mis en mots par Sophie viennent signifier l’impuissance du sujet face aux vacillements des limites du corps réel et de l’image du corps. Elle décrit le télescopage entre la temporalité psychique et celle des soins, les multiples remaniements du temps et l’incertitude qui y est associée. Les épisodes successifs de la maladie et ses traitements, subis dans «  une réalité imprévisible et fulgurante, prennent le malade à l’improviste  »*. Le temps devient menaçant tant il est chaotique, alternatif et saccadé. Sophie se désigne comme «  ayant travaillé en oncologie   ». Ainsi, le sujet confronté au cancer a des représentations singulières auxquelles il convient de prêter attention. La personne malade est un sujet pris dans la culture, dans le social ; le cancer est à la fois objet de l’individuel et du collectif. Il s’agit d’accueillir et d’entendre le sujet dans son individualité, de porter une écoute au récit qu’il fait de sa maladie qui renseigne le médecin. En d’autres termes, de restaurer un savoir du côté du sujet-­patient, afin de créer un partage soignant-soigné. Lorsque le corps est livré à l’évolution qui expose à des changements physiques, le médecin doit s’attendre à «  l’inévitable désordre psychique inhérent au souffrir de cette informe angoisse de mort   ».* Il dispose dans son arsenal thérapeutique d’un atout maître propre à l’humain, un anxiolytique «  naturel  »  : la parole.

Sophie qualifie l’annonce du cancer à sa famille par le terme «  déchirante  »  ; la traversée du cancer est susceptible de bouleverser la dynamique familiale. Il semble précieux de considérer le lien avec les proches, de leur donner une place dans le combat contre la maladie et dans le parcours de soins. Sophie témoigne des éléments d’inconciliabilité in­hérents à l’appareil psychique et formule une demande pour un espace de réflexion singulier afin de mettre en mots et en sens son vécu dans le contexte du cycle de surveillance. Il semble précieux de proposer un dispositif pour soutenir la pensée afin qu’une demande puisse émerger du côté du patient. Cette parole reçue ne laisse pas toujours indemne l’interlocuteur. Elle l’envahit et le confronte à une réalité crue, abrupte et incontournable, qui peut le laisser en désarroi ou même dans l’effroi. Face à cette violence, la circulation de la parole s’esquisse en voie créatrice, permettant de soutenir le personnel de santé dans sa capacité à penser le soin et à former un tissage autour du sujet, afin de l’accompagner dans sa singulière traversée du cancer du pancréas. Le patient «  ne quémande ni pitié ni compassion, il aspire à une reconnaissance implicite de son bouleversement intérieur  ».* C’est sur ce douloureux cheminement que le praticien est engagé au-delà de son rôle même, là où le médecin-sujet prend le pas sur le médecin-praticien.

Commentaire du Dr Aurélien Lambert responsable de l’hôpital de jour d’oncologie médicale (PRIMO)

Le cancer du pancréas, bien qu’il ne soit pas le plus fréquent, est l’un des cancers les plus meurtriers. Son incidence est en constante augmentation dans les pays développés. En France, on dénombre environ 16 000 nouveaux cas en 2024, avec un nombre de décès presque équivalent. Fait nouveau et préoccupant, l’incidence chez les personnes âgées de moins de 40 ans augmente également de manière significative.

Les signes d’alerte sont souvent discrets et malheureusement détectés à un stade tardif, révélant fréquemment une situation avancée, voire métastatique, synonyme d’impossibilité de traitement chirurgical et donc bien souvent de guérison. 

Parmi les symptômes les plus caractéristiques, on retrouve des douleurs abdominales ou dorsales, souvent décrites comme une sensation de coup de poignard dans le dos, typiques des douleurs neuropathiques liées au cancer du pancréas  ; un ictère, observé principalement dans les tumeurs situées au niveau de la tête du pancréas, en raison de l’obstruction du canal biliaire. 

La perte de poids importante, rapide et inexpliquée ainsi que la fatigue sont aussi des symptômes très fréquents dès les premiers stades. L’amaigrissement s’accompagne de nausées et très souvent d’une perte d’appétit. Enfin, l’apparition récente d’un diabète inexpliqué peut également être un signal d’alerte.

La prise en charge du cancer du pancréas peut être divisée en trois situations cliniques distinctes  :

  • les cancers opérables d’emblée constituent la situation la moins fréquente. La chirurgie est presque systématiquement suivie d’une chimiothérapie adjuvante. Le traitement de référence actuel est le protocole Folfirinox (ou la gemcitabine pour les patients non éligibles). Habituellement, ces traitements sont dispensés durant six mois après la chirurgie  ;
  • les cancers avancés ou métastatiques, non opérables, relèvent d’une stratégie palliative, ce qui ne signifie pas l’absence de traitement. Le Folfirinox est le traitement de premier choix. D’autres options incluent l’association de gemcitabine et nab-paclitaxel en première intention. C’est la situation la plus sombre en matière de pronostic avec des médianes de survie autour de douze mois  ;
  • les cancers borderline ou non opérables d’emblée, situation la plus complexe, concernent les tumeurs dites «  borderline  » (ou à la limite de la résécabilité) qui ne sont pas opérables immédiatement mais pourraient le devenir après un traitement initial. La stratégie recommandée consiste à débuter par une chimiothérapie néoadjuvante, idéalement avec le protocole Folfirinox. Ensuite, si une chirurgie devient possible, elle est réalisée, suivie d’une chimiothérapie adjuvante. Toutefois, le taux de succès reste limité et les récidives fréquentes.
 

Actuellement, seulement environ 20  % des patients atteints d’un cancer du pancréas pourront un jour bénéficier d’une chirurgie, que ce soit d’emblée ou après une chimiothérapie néoadjuvante. Cela signifie que 80  % des patients ne peuvent pas être opérés et, par conséquent, ne peuvent pas espérer une guérison.

Ce constat, longtemps considéré comme un dogme, évolue lentement grâce à l’avènement des thérapies ciblées, par exemple un inhibiteur de PARP, l’olaparib, indiqué chez les patients avec une mutation germinale des gènes BRCA1 ou BRCA2, c’est-à-dire une altération génétique constitutionnelle.

De nouvelles approches théra­peutiques commencent à montrer des résultats encourageants, comme les thérapies ciblées anti-­FGFR, les anti-­KRAS G12C, les anti-­ALK/ROS/NTRK, l’immunothé­rapie chez les patients atteints de cancers MSI-H (microsatellite instable). Ces avancées restent néanmoins limitées à des sous-groupes très restreints de patients.

Une autre perspective innovante réside dans l’utilisation de vaccins thérapeutiques. Un essai d’envergure est attendu pour le tout début de l’année 2025 en France.

Les signatures génomiques semblent également une avancée prometteuse en permettant de prédire la réponse des patients aux chimiothérapies.

La démocratisation des analyses de génétique tumorale pourrait permettre de recueillir des données fiables et en plus grand nombre pour mieux comprendre les mécanismes de développement et de résistance.

À terme, des stratégies révolutionnaires seraient envisageables, où l’analyse génomique initiale fournirait des indications précises pour choisir le meilleur traitement possible  ; le suivi de la réponse au traitement serait réalisé via un dosage quantitatif de l’ADN tumoral cir­culant (ctDNA)  ; la surveillance de l’évolution clonale serait assurée par des biopsies liquides itératives, potentiellement réalisées chaque mois, permettant de détecter précocement l’émergence de clones résistants et d’adapter rapidement le traitement.

* Ruszniewski M. Face à la maladie grave. Patients, familles, soignants. Dunod 2021, 224 pages.
Encadre

L’Association Espoir Pancréas développe de nombreux partenariats

L’association Espoir Pancréas, créée à Nancy en novembre 2016, prend une envergure nationale grâce aux nombreux partenariats avec des centres hospitaliers régionaux et centres de lutte contre le cancer. Des délégations sont en cours d’installation dans les principales régions de France.

Espoir Pancréas s’engage pleinement dans la lutte contre le cancer du pancréas en poursuivant ses objectifs clés :

  • faire progresser la connaissance et la détection précoce du cancer du pancréas  ;
  • faire entendre la voix des patients, des familles et des proches  ;
  • faire connaître les meilleures prises en charge et les avancées des traitements.

Espoir Pancréas propose un accompagnement personnalisé à chaque étape du parcours de soins  : information, écoute et soutien moral sont au cœur de ses actions.

L’association œuvre également à sensibiliser le grand public et les professionnels de santé sur l’importance de la détection précoce et des avancées médicales en matière de traitements.

L’association, forte de ses bénévoles, est un espace de solidarité et de partage, où chacun peut trouver l’aide dont il a besoin.

À partir de l’automne 2024, Espoir Pancréas élargit son champ d’action en direction des patients touchés par un cholangiocarcinome, avec la création de la branche «  Espoir Voies biliaires  ».

Philippe Francois-Steininger, président d’Espoir Pancréas

www.espoir-pancreas.fr

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Pour en savoir plus

Association Espoir Pancréas  : www.espoir-pancreas.fr

Fondation Aide et recherche en cancérologie digestive (ARCAD)  : https ://www.fondationarcad.org

Association française pour la recherche sur le cancer du pancréas (AFRCP)  : https ://www.afrcp.org/fr/

Club français du pancréas (CFP)  : https ://clubfrancaispancreas.fr

Association pour l’étude des cancers et affections des voies biliaires (ACABI)  : https ://acabi.fr

Unicancer  : https ://www.unicancer.fr/fr/

Institut Curie  : http ://curie.fr

Gustave-Roussy  : https ://www.gustaveroussy.fr

Institut Paoli-Calmettes  : http ://www.institutpaolicalmettes.fr

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