Les recommandations internationales sur la prise en charge de la dyslipidémie n’ont cessé de revoir à la baisse les cibles de LDL-cholestérol. Mais une réduction trop intense pourrait-elle être délétère pour le cerveau, l’organe le plus riche en cholestérol de l’organisme ? L’American Heart Association a conduit une vaste revue de la littérature pour évaluer les risques de démence et d’AVC hémorragique…

Le rôle établi du LDL-cholestérol dans l’athérosclérose et l’efficacité de son abaissement massif pour prévenir les événements cardiovasculaires expliquent les cibles ambitieuses édictées dans les recommandations des sociétés savantes européennes, où prévaut le paradigme « lowest is best  » (de < 100 mg/dL à < 55 mg/dL en fonction du risque des patients). Pour les patients à haut et très haut risque, en particulier, ces cibles n’ont cessé d’être revues à la baisse au fil des années.

Si leurs valeurs idéales font l’objet de nombreux débats, il existe aujourd’hui un consensus émergent qui juge physiologique et non pathogène un niveau compris entre 25 et 60 mg/dL. Néanmoins, des inquiétudes demeurent quant aux possibles effets neurotoxiques de taux bas (< 70 mg/dL) et très bas (< 25 mg/L) de LDL-c. Un certain nombre d’études ont suggéré que le traitement par statines et l’abaissement des taux de LDL-c sont associés à des troubles cognitifs, voire à la démence. Par ailleurs, certaines études ont également suggéré que des taux bas (< 70 mg/dL) de LDL-c étaient associés à la survenue d’AVC hémorragiques.

Étant donné que le cerveau est l’organe le plus riche en cholestérol (il contient environ 25 % du contenu corporel total de cholestérol), certains experts se sont en effet demandé si les stratégies « agressives » d’abaissement du LDL-c n’induiraient pas des changements anormaux dans la structure et la fonction cérébrales.

C’est pourquoi un groupe de travail de l’American Heart Association a récemment entrepris une vaste revue de la littérature, dans le but d’évaluer les preuves existantes pour étayer ou réfuter ce lien entre l’abaissement massif du LDL-c et les risques neurovasculaires. Leurs résultats ont récemment été publiés dans la revue Arteriosclerosis, Thrombosis, and Vascular Biology.

Confirmation du bénéfice CV de l’abaissement du LDL-c

De nombreuses études randomisées contrôlées inclues dans cette analyse confirment que la réduction du taux de LDL-c réduit la morbidité et la mortalité CV chez les patients à haut risque de maladie CV athéroscléreuse, en prévention primaire ou secondaire. Ces données sont complétées par celles provenant d’études épidémiologiques et génétiques qui montrent une corrélation entre les taux de LDL-c et le risque coronaire.

Les essais concernant les thérapies par statines ont montré que plus le taux de LDL-c est abaissé, plus les événements CV sont réduits aussi. Des essais portant sur l’ajout d’autres traitements hypolipémiants (ézétimibe, inhibiteurs du PCSK9) qui permettent d’atteindre des cibles encore plus basses apportent quant à eux des preuves d’une réduction plus importante des événements athéroscléreux. Ces résultats concernent différents groupes de patients, avec différentes comorbidités et des profils de risque CV distincts, mais semblent particulièrement importants chez les patients ayant un antécédent d’infarctus du myocarde dans l’année précédente, un diabète de type 2 ou encore une maladie artérielle périphérique.

Selon les auteurs, ces données étayent le bien-fondé d’une stratégie agressive d’abaissement du LDL-c sans seuil inférieur.

Des risques neurocognitifs ?

Des études rétrospectives, cas-témoins et longitudinales prospectives suggèrent que le traitement par statines et l’abaissement du taux de LDL-c seraient associés à des troubles cognitifs, à la démence voire à la maladie d’Alzheimer.

Toutefois, les études observationnelles et randomisées disponibles ne vont pas dans ce sens. Des essais randomisés tels que le HPS (Heart Protection Study) et l’essai PROSPER (Prospective Study of Pravastatin in the Elderly at Risk) ne permettent pas d’affirmer que le traitement par statines est lié en soi à un déclin cognitif ou à une maladie d’Alzheimer sur un suivi d’environ 5 ans. D’autres, tels que l’essai EBBINGHAUS (Evaluating PCSK9 Binding Antibody Influence on Cognitive Health in High Cardiovascular Risk Subjects), n’ont pas trouvé un effet négatif significatif sur la cognition chez les patients prenant d’autres traitements hypolipémiants en plus des statines (pour des cibles < 25 mg/dL). Ces conclusions sont étayées par des méta-analyses d’essais randomisés.

Les auteurs en déduisent que les données disponibles ne permettent pas de conclure que l’abaissement du LDL-c a des effets délétères sur la cognition, du moins sur la durée de suivi des essais disponibles (entre 1,6 et 6,0 années de suivi), et que des études supplémentaires sont donc nécessaires pour évaluer cet aspect sur des périodes plus longues. Entre temps, les cibles de LDL-c préconisées dans les guidelines en vigueur restent raisonnables.

Et le risque d’AVC hémorragique ?

Des études épidémiologiques suggèrent qu’il existe une relation inverse entre les niveaux de LDL-c et le risque d’AVC hémorragique. Par ailleurs, il a été suggéré que l’utilisation des statines pourrait favoriser ce risque, en raison de leurs propriétés antithrombotiques et fibrinolytiques. Toutefois, de nombreuses études randomisées et méta-analyses n’ont pas trouvé un risque accru d’AVC hémorragique chez les patients sans antécédents de maladie cérébrovasculaire traités par statines. Quant aux autres hypolipémiants, les auteurs soulignent qu’il n’existe pas non plus de preuves qu’ils augmentent le risque hémorragique. En ce qui concerne le traitement par statines et/ou par inhibiteurs du PCSK9 chez les patients ayant un antécédent d’AVC hémorragique, les données sont encore parcellaires.

Enfin, les travaux étudiant des patients ou des populations ayant un faible taux de LDL-c tout au long de leur vie n’indiquent pas une vulnérabilité particulière aux AVC hémorragiques.

En revanche, de faibles taux de LDL-c sont corrélés à un risque plus faible d’AVC ischémique. Ainsi, les auteurs en concluent que les inquiétudes concernant un éventuel risque d’AVC hémorragique des traitements hypolipémiants ne doivent pas dissuader les cliniciens de traiter les patients selon les cibles de LDL-c actuellement recommandées en fonction du niveau de risque de chacun.

Pour en savoir plus
Goldstein LB, Toth PP, Dearborn-Tomazos JL, et al. Aggressive LDL-C Lowering and the Brain: Impact on Risk for Dementia and Hemorrhagic Stroke: A Scientific Statement From the American Heart Association.  Arterioscler Thromb Vasc Biol 2023;43:e404-e442.

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