Décarbonation à l’AP-HP : la dynamique est lancée

Plus encore que d’autres types d’activité, le secteur de la santé est doublement concerné par la crise environnementale et la nécessité d’une transformation écologique. 

D’une part, le secteur représente, d’après The Shift Project*,¹ près de 8 % des émissions de gaz à effet de serre de la France même si ce sont surtout des émissions indirectes (pour comparaison, le secteur de l’aviation ne pèse « que » 5 %²). Le secteur sanitaire et médico-social a donc un rôle à jouer dans la diminution des émissions nationales ; dans sa « Feuille de route de la planification écologique du système de santé »,³ le ministère de la Santé a d’ailleurs annoncé un objectif de réduction de 5 % des émissions par an jusqu’en 2030. Les hôpitaux doivent s’engager et participer à l’effort collectif de réduction de l’empreinte environnementale nationale. 

D’autre part, le dérèglement climatique et la crise environnementale dans son ensemble provoquent des modifications de notre écosystème, qui affectent notre santé. L’augmentation des zoonoses ou des maladies respiratoires liées aux déséquilibres que subit la biodiversité en sont des exemples frappants. Par ailleurs, l’intensification des phénomènes extrêmes liés au dérèglement climatique (ouragans, inondations, etc.) crée un risque important pour les infrastructures hospitalières. Une étude a montré que près de 4,4 % des établissements français (soit plus de 100 sur les 2 321 évalués) seraient soumis à un fort risque de fermeture due à des événements climatiques extrêmes au cours du XXI^e siècle si nous ne diminuons pas les émissions globales.⁴ 

Face à ce constat, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a fait de la décarbonation l’un des axes majeurs de son pilotage stra­tégique. Cette démarche est structurée par le département Trans­formation écologique et santé environnementale de la Direction de la stratégie et de la transfor­mation, en collaboration avec la sous-commission développement durable de la commission médicale d’établissement. Un réseau de référents a également été constitué au sein des 38 établissements pour représenter les communautés médicale, soignante et administrative et accompagner les initiatives locales. 

La démarche de décarbonation s’appuie sur trois axes :

• sensibiliser et engager les professionnels ;
• mesurer et piloter l’empreinte carbone ;
• définir des objectifs et mettre en œuvre des actions de décarbonation.

La transformation écologique en santé est un sujet complexe où les intuitions peuvent s’avérer trompeuses et où la connaissance joue un rôle majeur dans la mobilisation des parties prenantes. L’AP-HP a donc lancé le déploiement de l’atelier de sensibilisation Plan Health Faire au cours de l’été 2023 (fig. 1). Ce jeu pédagogique et scientifique permet aux participants de mieux comprendre les conséquences du dérèglement climatique sur la santé et d’appréhender les principaux enjeux de la transformation écologique pour l’hôpital. 

En un an et demi, plus de 80 animateurs et animatrices ont été formés au sein des établissements de l’AP-HP et plus de 2 700 personnes y ont participé (sur un effectif total d’environ 90 000 salariés). Objectif à terme  : que chaque agent de l’AP-HP soit sensibilisé !

Le pilotage de la performance environnementale d’une structure nécessite une évaluation quantitative de ses impacts. C’est pourquoi un bilan carbone est réalisé tous les ans, sur l’ensemble du périmètre de l’AP-HP.

Par ailleurs, à partir du bilan carbone décliné par établissement, chacun présente annuellement au directeur général de l’AP-HP sa stratégie de décarbonation. Cet engagement de la direction générale pour la transformation écologique permet de faire de cette démarche un levier stratégique et de soutenir les initiatives qui émergent sur le terrain.

Le bilan carbone de l’AP-HP réalisé pour l’année 2022 (très similaire dans ses résultats à sa mise à jour en 2023)  a mis en évidence le poste d’émissions principal : les soins (achat de médicaments, de consommables de laboratoire, de dispositifs médicaux, de gaz médicaux et de produits de soin à usage unique), sur lesquels les efforts de décarbonation doivent donc porter (fig. 2).

Cependant, pour décliner cette analyse à l’échelle opérationnelle et agir sur le terrain, le secteur sanitaire reste confronté à un manque critique de données relatives à l’empreinte des produits de santé utilisés et des actes de soins réalisés. Pour pallier ce manque, l’AP-HP a développé l’outil Carebone qui permet d’estimer les émissions de gaz à effet de serre associées :

• à un médicament ou un dispositif médical spécifique ;
• à un acte médical ;
• à l’ensemble d’un parcours patient, incluant tous les actes médicaux (consultations, actes chirur­gicaux, examens, etc.) dont il a bénéficié.

Cet outil, disponible sur le site de l’AP-HP, rend possible la comparaison de l’empreinte carbone de deux pratiques de soins, par exemple. Ainsi, les professionnels de santé peuvent intégrer à leur réflexion des arguments écologiques chiffrés et scientifiques.

Les établissements de l’AP-HP se sont dotés d’objectifs de décarbonation chiffrés pour 2024, assortis de feuilles de route d’actions à mettre en œuvre. L’objectif consolidé pour l’AP-HP est une réduction de 2,17 % des émissions de gaz à effet de serre en 2024 ; il est en grande partie porté par le soin, qui représente environ la moitié du potentiel de décarbonation (fig. 3). 

Pour atteindre cet objectif ambitieux, des groupes de travail spécifiquement orientés vers la décarbonation du soin ont été lancés en 2024. Ces groupes, qui réunissent des professionnels de profils variés (médecins, pharmaciens, cadres, infirmières, techniciens de laboratoire, référents logistique, etc.), ont pour mission de recenser les initiatives existantes (nombreuses à l’AP-HP), de les partager entre établissements, d’identifier d’autres actions possibles et de les expérimenter pour, notamment :

• diminuer la consommation de médicaments, en améliorant la gestion des stocks et en travaillant sur la juste prescription ;
• privilégier des modes d’admi­nistration moins émetteurs (par exemple, l’administration par voie orale est a priori moins émettrice que la voie intraveineuse) ;⁶
• réduire l’utilisation de dispositifs médicaux, en évitant le gaspillage et en étudiant la possibilité de passer à des alternatives réutilisables ;
• limiter les demandes d’examens biologiques ou d’imagerie pour faire baisser la consommation de réactifs.

Grâce à l’outil Carebone, il est possible de chiffrer l’impact de ces actions. À partir de la fin 2024, des expérimentations démarreront dans les services volontaires pour s’assurer que ces actions sont également pertinentes du point de vue technique, humain et financier. Il est évident que la qualité des soins et la sécurité du patient restent prioritaires et que les actions expérimentées seront, au préalable, validées médicalement ; mais de nombreuses actions vertueuses pour le climat le sont aussi pour le patient. Ainsi limiter les examens invasifs au strict nécessaire, privilégier la voie orale plutôt qu’intraveineuse ou prescrire le bon médicament au bon moment sont autant d’actions qui favorisent le bien-être du patient et améliorent la qualité et la sécurité de sa prise en charge.

L’AP-HP est donc engagée dans une démarche de réduction de son empreinte carbone, mais son impact sur l’environnement ne se limite pas aux émissions de gaz à effet de serre. 

Des actions visent aussi à limiter l’exposition des patients et agents aux polluants, comme les perturbateurs endocriniens. Une initiative phare est le programme « Éco­maternité », porté en collaboration avec l’ARS Île-de-France, qui promeut la santé environnementale avec, par exemple, des projets comme « Mon éco-logis », vitrine de sensibilisation à l’exposition aux polluants dans le quotidien installée dans les salles d’attente de certaines maternités (fig. 4).

De plus en plus de professionnels de santé s’engagent pour rendre l’hôpital plus durable. Même s’il reste beaucoup à faire, la démarche lancée à l’AP-HP est dynamique et portée par tous les niveaux de l’institution.