Dermatite chimique

Un patient de 30 ans, sportif, consulte pour une éruption douloureuse sur la face antérieure de ses deux jambes (fig. 1 et 2) évoluant depuis 24 heures avec aggravation progressive. Il n’a aucun antécédent médical notable et ne prend aucun traitement. 
L’examen clinique met en évidence des plaques érythémateuses bien délimitées, vésiculo-bulleuses, sans signe de surinfection. Le patient est apyrétique. Il n’y a aucune adénopathie satellite. Le placard est bien délimité et le reste de l’examen clinique est sans particularité. 
Lors de l’interrogatoire, le patient révèle avoir réalisé des travaux de jardinage la veille. Il portait des vêtements couvrants sur les membres supérieurs et des gants, mais était en short.
Un prurit est apparu immédiatement après l’exposition sur les zones non protégées. Après lavage à l’eau et au savon, il s’est automédiqué avec des antihistaminiques H1, avec une disparition transitoire des symptômes. Face à l’aggravation des douleurs et à l’apparition de lésions vésiculo-papuleuses érythémateuses le lendemain matin, il consulte.
Un interrogatoire plus complet révèle qu’il a tronçonné un parterre d’agaves. 

Les agaves, appartenant à la famille des Agavaceae, sont des plantes originaires des climats arides mexicains. Couramment utilisées en France comme plantes ornementales, elles s’adaptent particulièrement bien au climat du sud de la France. Elles sont ainsi omniprésentes dans les jardins et espaces naturels en région méditerranéenne et en Corse.1 Leur toxicité, bien connue des professionnels du paysage, est largement méconnue du grand public. La sève d’agave contient des saponines et des cristaux d’oxalate de calcium, deux composés hautement irritants pour la peau. Au Mexique, où l’agave est cultivée comme matière première pour la fabrication de la tequila, les travailleurs exposés quotidiennement développent fréquemment des dermites irritatives, connues sous le nom de « mal des agaveros ».1,2 Il s’agit d’éruptions érythémateuses inflammatoires, associées à des lésions papulo-vésiculeuses. 

La prévention repose sur le port de vêtements couvrants et un lavage immédiat de la peau à l’eau et au savon en cas de contact avec la sève.

Dans la littérature, de rares cas de dermatite irritative purpurique secondaires à l’exposition à l’agave ont été rapportés, dont le dernier date de 2011.3,4 Tous les patients concernés avaient été exposés à des projections végétales lors de l’utilisation d’outils motorisés, notamment des tronçonneuses, suggérant un rôle favorisant de ces mécanismes dans l’apparition des lésions purpuriques.2,5 

Dans le cas présenté ici, avec un contexte typique de dermatite causée par l’agave, la bonne réponse aux antihistaminiques en automédication a incité à les poursuivre, accompagnés par un traitement local par flamazine. Un antalgique de palier 1 (paracétamol) a également été ajouté.

Le lendemain, le patient a consulté à nouveau pour majoration de la douleur, avec persistance des lésions vésiculo-bulleuses et apparition de plaques purpuriques, bien délimitées par le short pour la partie proximale et par les chaussettes pour la partie distale. Devant le risque de surinfection, des lavages des jambes par savon antiseptique ont été introduits. Aucun prélèvement n’a été réalisé devant ce tableau typique et l’absence de suspicion clinique de vascularite ou d’érysipèle.

Pour une surveillance optimale, et en l’absence de traitement spécifique, il a été demandé au patient d’envoyer une photographie quotidienne de l’évolution de ses lésions. 

À J2, le patient a décrit des sueurs et frissons nocturnes importants. Des douleurs invalidantes à la marche sont apparues ainsi qu’un prurit intense. Après nouvel examen clinique écartant une surinfection et un érysipèle – absence d’adénopathie satellite sensible, placard inflammatoire strictement limité au pourtour lésionnel, apyrexie depuis le matin, évolution vers des lésions purpuriques –, le traitement a été modifié : antihistaminiques double dose et antalgiques de palier 2. 

Au quatrième jour, le patient est apyrétique, mais les douleurs à la marche persistent et les antihistaminiques double dose ne parviennent pas à soulager le prurit, toujours aussi intense. Devant l’aggravation du tableau purpurique sans signe de surinfection (fig. 3), une corticothérapie locale est initiée.

Le lendemain, les douleurs à la marche ont diminué mais le prurit reste important, aggravé par la pommade corticoïde. Cliniquement, des lésions croûteuses secondaires à la disparition des bulles sont mises en évidence (fig. 4).

La disparition des douleurs à la marche au sixième jour permet l’arrêt des antalgiques. En revanche, le prurit est toujours très invalidant, à prédominance nocturne, après application de dermocorticoïdes. Une augmentation de la posologie des antihistaminiques le soir (2 comprimés de cétirizine 10 mg en une prise) est décidée, avec l’ajout d’une crème émolliente. 

À J7, une évolution favorable de l’éruption cutanée est notée, avec érythème localisé autour des séquelles croûteuses et hyperpigmentation cutanée en regard des zones présentant les premiers signes de résorption (fig. 5). Un arrêt de la corticothérapie locale est décidé avec toutefois la poursuite des antihistaminiques double dose et de la crème émolliente. 

Au huitième jour, l’amélioration est notable sur tous les tableaux. Deux jours plus tard, l’érythème est localisé uniquement autour des séquelles croûteuses. La cétirizine (10 mg par jour) et l’application de crème émolliente sont poursuivies.  

C’est à J12 que la disparition complète des démangeaisons permet l’arrêt des antihistaminiques.

Enfin, à J16, la résolution des lésions et des symptômes est complète, sans cicatrices ni hyperpigmentation cutanée (fig. 6 et 7). 

Un protocole de traitement des dermatites chimiques causées par la projection de cristaux d’oxalate de calcium présents dans les agaves peut être proposé :

  • rinçage immédiat à l’eau et au savon après un contact cutané avec la sève ;
  • antalgie adaptée (palier 2 si nécessaire) ;
  • traitement antihistaminique à forte dose pendant 10 jours, puis simple dose jusqu’à cicatrisation, soit 20 jours au total ;
  • dermocorticoïdes d’action forte pouvant être introduits dès la phase initiale et poursuivie pendant 7 jours ;
  • antisepsie des lésions par une solution moussante à base de chlorhexidine ;
  • crèmes émollientes dès assèchement des lésions initiales.
Références 
1. Anses. Agave d'Amérique. https://bit.ly/43RaOYs
2. Genillier-Foin N, Avenel-Audran M. Dermatite purpurique de contact au suc d’Agave americana. Ann Dermatol Vénéréologie 2007;134(5):477‑8. 
3. de la Cueva P, González-Carrascosa M, Campos M, et al. Dermatitis de contacto por Agave americana. Actas Dermo-Sifiliográficas 2005;96(8):534‑6. 
4. Barabash-Neila R, Zulueta-Dorado T, Conejo-Mir J. Dermatitis irritativa de contacto por Agave americana con componente purpúrico. Actas Dermo-Sifiliográficas 2011;102(1):74‑6.
5. Avenel-Audran M. Peau, plantes et jardinage. Rev Fr Allergol 2009;49(3):259‑63.
0
La Revue du Praticien Médecine Générale

Aranéisme

Sabrina, 12 ans, consulte car elle a été piquée par une araignée il y a 2 jours au niveau de la cuisse. L’examen montre, à l’endroit de la morsure, une lésion qui a l’aspect d’un placard érythémateux large avec, au centre, une zone croûteuse suintante.

Les araignées se divisent en 2 groupes : les mygalomorphes (mygales) et les aranéomorphes. L’envenimation humaine par ces derniers se caractérise par 2 types de manifestations :

– le lactrodectisme, dû à des morsures par Lactrodectus tredecimguttatus (veuve noire) qui vit dans des zones peu urbanisées, notamment en Corse ; la neurotoxicité liée à la piqûre entraîne des troubles neurovégétatifs (hypersudation, variation de la PA) et des contractures abdominales, le plus souvent très douloureuses ;

– le loxoscelisme, causé par de petites araignées du genre Loxosceles reclusa (araignée violon), se manifestant par un syndrome viscéro-nécrotique, comme chez cette patiente. Au départ, au niveau du point de piqûre se forme une vésicule entourée par un placard érythémateux, parfois algique, qui peut ensuite devenir nécrotique, voire se surinfecter. Une atteinte généralisée (hémolyse, insuffisance rénale aiguë) est rare, et touche surtout les sujets immunodéprimés.

La prise en charge repose sur la désinfection de la lésion, des antalgiques et des antihistaminiques (si prurit). Dans les formes sévères, une hospitalisation est nécessaire. En cas de surinfection, une antibiothérapie est indiquée (amoxicilline-acide clavulanique par exemple).

Pour en savoir plus
De Haro L. Petites bêtes nuisibles en été.  Rev Prat Med Gen 2011;25:503-4.
0
La Revue du Praticien Médecine Générale
S'abonner à La Revue du Praticien Médecine Générale