L’augmentation de l’expérimentation du cannabis parmi les adultes en France et la concentration toujours croissante en THC de ces produits augmentent la probabilité de voir des troubles liés à cette consommation en pratique clinique. Quels sont les effets aigus, subaigus et chroniques, selon les dernières études ? Quelle prise en charge ? Tour d’horizon pour le MG.

Le cannabis est la substance illicite la plus consommée en France, qui est le troisième pays d’Europe en matière d’usage du cannabis dans l’année parmi les 15 - 64 ans. Selon les dernières données de l’OFDT (2022 - 2023), l’expérimentation – c’est-à-dire la consommation au moins une fois dans la vie – concerne 21 millions de personnes, dont 5 millions d’usagers dans l’année et 1,4 million d’usagers réguliers.

Le taux d’expérimentation parmi les adultes a augmenté de dix points de pourcentage depuis 2014, de sorte qu’en 2023 la moitié des adultes en France déclaraient avoir expérimenté le cannabis. La prévalence de l’usage dans l’année est restée stable sur la même période, à 11 %. Chez l’adolescent, en revanche, tant l’expérimentation que la consommation dans l’année ont diminué sur la même période.

L’augmentation, depuis une dizaine d’années, du taux de THC, principal composant psychoactif du cannabis, dans les divers produits (résines, herbe…) exacerbe l’intensité de ses effets toxiques aigus et chroniques.

Intoxication aiguë

Les effets psychoactifs aigus – souvent recherchés par les consommateurs « récréatifs » sont principalement : euphorie, sédation voire léthargie, intensification des expériences sensorielles ordinaires, distorsion des perceptions.

Les effets somatiques comprennent : altération de la coordination motrice, troubles de l’élocution, sécheresse buccale, augmentation de l’appétit, hyperhémie conjonctivale, nystagmus horizontal, troubles du rythme cardiaque, hypotension orthostatique, bronchodilatation.

L’intensité, le délai d’installation et la durée des symptômes varient en fonction de la dose (principalement de THC), de la voie d’administration et du degré de tolérance de l’utilisateur. L’intoxication par le cannabis inhalé (fumé ou vaporisé) commence en quelques minutes et dure de 3 à 4 heures ; par voie orale, elle commence 30 minutes à 3 heures après l’ingestion et dure 8 à 12 heures.

L’intoxication aiguë (« ivresse cannabique ») est rarement un motif de consultation : elle est généralement légère et spontanément résolue. Toutefois, des tableaux cliniques plus sévères peuvent être observés en cas de consommation concomitante d’autres substances psychoactives, de consommation de cannabinoïdes de synthèse – qui sont notamment source de complications cardiovasculaires plus sévères – ou avec des doses très élevées.

Des malaises anxieux, la survenue d’idées dépressives, paranoïaques, voire délirantes, sont ainsi possibles et justifient une prise en charge hospitalière en particulier devant des signes de gravité (idéations suicidaires, par exemple).

Troubles subaigus : le traitement est symptomatique

Quatre types de troubles psychiatriques subaigus induits par le cannabis sont identifiés dans le DSM-V, qui peuvent persister après les premières 24 heures suivant l’intoxication aiguë, voire qui peuvent survenir au sevrage. Ils disparaissent en général dans le mois suivant l’abstinence. Leur traitement est essentiellement symptomatique.

Les troubles anxieux prennent la forme d’attaques de panique (ou crises d’angoisse aiguës) : le tableau clinique et la prise en charge sont ceux de l’attaque de panique classique.

La psychose cannabique aiguë (pharmacopsychose cannabique), de début brutal, peut apparaître au décours de l’intoxication ou dans le mois qui suit. Le tableau clinique est celui d’un état délirant aigu avec la sémiologie habituelle, mais avec une hétéro-agressivité plus importante, une plus grande fréquence d’hallucinations visuelles, une impression de déjà-vu et/ou un sentiment de dépersonnalisation. Principaux facteurs de risque : antécédents familiaux ou personnels de symptômes psychotiques, cannabis fortement dosé en THC. La guérison survient généralement à l’arrêt de l’intoxication, mais les symptômes peuvent persister plusieurs jours, voire semaines. Un traitement par antipsychotique atypique peut être instauré après bilan préthérapeutique. La rechute est possible lors de nouvelles consommations. L’évolution possible des pharmacopsychoses cannabiques vers un trouble psychotique à long terme a été documentée, notamment dans des registres scandinaves (v. ci-après).

Des troubles du sommeil liés au cannabis sont observés. Leur prévalence est inconnue, mais ceux liés au sevrage toucheraient jusqu’à deux tiers des patients (notamment insomnie, rêves altérés…). Le traitement n’est pas codifié, mais les règles d’hygiène de sommeil et la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) sont suggérés.

Enfin, des cas de délire induit par le cannabis ont été documentés, mais leur prévalence est inconnue (souvent diagnostiqués à tort comme une pharmacopsychose cannabique). Le tableau est plus souvent celui d’un délire hyperactif (hyperadrénergique) – caractérisé par l’hyperactivité, l’agitation et la désorientation, souvent accompagné d’hallucinations – que d’un délire hypoactif. La prise concomitante d’antidépresseurs tricycliques semble être un facteur de risque.

Trouble de l’usage du cannabis : poser la question

La fréquence et la durée de la consommation de cannabis sont les principaux facteurs de risque d’une addiction (« trouble lié à l’usage ») ; la quantité et la concentration en THC sont des facteurs de risque probables. Le risque est également accru pour les patients consommant d’autres substances psychoactives, en cas d’antécédent de violences dans l’enfance, de consommation parentale de cannabis, d’antécédents de troubles psychiatriques ou comportementaux, de situations stressantes ou de précarité. Enfin, une prédisposition génétique a été mise en évidence dans plusieurs études, largement partagée avec celle des autres troubles de l’usage des substances.

Les médecins généralistes ont une place privilégiée pour repérer ce trouble : il est ainsi recommandé d’interroger les patients, notamment les adolescents, pour dépister et orienter (v. encadré ci-dessous).

Différentes techniques thérapeutiques ont été évaluées :

  • les interventions brèves (15 - 30 min) avec entretien motivationnel ont montré une efficacité à court terme chez les patients ayant un trouble de l’usage léger et chez les adolescents ;
  • des techniques psychosociales, notamment la TCC et les thérapies motivationnelles seules ou en combinaison, ont aussi montré une efficacité à court-moyen terme ;
  • d’autres techniques comportementales de renforcement peuvent y être ajoutées, pour les patients non répondeurs initialement : par exemple, des récompenses financières sur le modèle de celles ayant montré une certaine efficacité pour le sevrage tabagique ;
  • la thérapie familiale est particulièrement utile chez l’adolescent.

Il n’existe aucun traitement substitutif ou d’aide à l’arrêt du cannabis ayant l’AMM.

Syndrome de sevrage

Les manifestations incluent : humeur dépressive, anxiété, agitation, irritabilité, diminution de l’appétit, troubles du sommeil. Des symptômes physiques comme les douleurs abdominales, musculaires, tremblements, tremblements ou céphalées sont moins fréquents.

Ces signes commencent généralement 1 à 2 jours après le sevrage, atteignent un pic après 2 à 6 jours et peuvent durer plusieurs semaines. Ils sont positivement corrélés à la fréquence et à la durée de la consommation de cannabis.

Un traitement n’est généralement pas nécessaire, sauf si les troubles du sommeil ou de l’humeur interfèrent avec la vie quotidienne. Un traitement hospitalier n’est justifié qu’en cas d’idéations suicidaires ou d’exacerbation d’un trouble psychiatrique coexistant.

Il est symptomatique (anxiolytiques non benzodiazépiniques, antipsychotiques sédatifs). Aucun médicament n’a l’AMM dans cette indication.

Autres complications de la consommation chronique

La consommation de cannabis à long terme est associée à plusieurs effets délétères pour la santé. Les associations sont d’autant plus fortes que la consommation a commencé à l’adolescence, qu’elle est continue et que les produits consommés sont puissants. La causalité est toutefois difficile à établir dans les études.

Concernant les troubles psychiatriques :

  • la consommation de cannabis est un facteur de risque de schizophrénie avec une relation dose-dépendante, en particulier chez les hommes, lorsque la consommation débute à l’enfance-adolescence et en présence d’antécédents familiaux. Elle peut précipiter l’entrée dans la maladie pour les sujets vulnérables, mais aussi aggraver son évolution ;
  • de nombreuses études (mais pas toutes) établissent un lien significatif entre la consommation de cannabis et le risque de développer une dépression à long terme ; pour les troubles anxieux, les preuves d’une association significative sont plus robustes.

Plusieurs fonctions cognitives pourraient être altérées par la consommation chronique de cannabis, avec des effets faibles à modérés mais significatifs : mémoire épisodique verbale, mémoire de travail, attention, prise de décision, flexibilité cognitive et contrôle inhibiteur.

Des complications respiratoires sont rapportées en lien avec une consommation chronique : toux, augmentation des sécrétions bronchiques, sensibilité aux infections sont les plus fréquemment observées. Les données semblent insuffisantes pour conclure sur un risque de BPCO et d’altération de la fonction pulmonaire directement imputables au cannabis. Cependant, que ce soit le tabac ou le cannabis, les deux substances consommées ensemble de façon chronique se potentialisent.

Enfin, concernant le risque de divers cancers, s’il est difficile d’évaluer le rôle du cannabis indépendamment de celui du tabagisme (souvent concomitant), des études récentes ont montré : un sur-risque de cancers ORL associé à la consommation chronique de cannabis indépendamment de celle de tabac ; une possible relation causale entre la consommation de cannabis et la survenue de carcinome épidermoïde du poumon, de cancer du col utérin, du larynx et du sein (études de randomisation mendélienne), ou encore un sur-risque de cancer du testicule.

Encadre

Addiction au cannabis : que faire en MG ?

Les médecins généralistes sont en 1re ligne pour repérer un trouble de l’usage du cannabis (les critères diagnostiques du DSM-V sont rappelés dans le tableau téléchargeable sur ce lien). Or, selon le Collège de la médecine générale, ils interrogent encore trop peu les patients sur leur consommation (moins d’un tiers). La démarche est particulièrement utile devant le patient adolescent : les enquêtes suggèrent que, si les adolescents n’abordent pas le sujet spontanément en consultation, ils sont néanmoins prêts à échanger sur leur consommation lorsqu’ils sont interrogés par leur médecin.

Il est utile de s’appuyer sur un outil standardisé comme le questionnaire CAST (téléchargeable sur ce lien).

L’évaluation faite, des objectifs raisonnables peuvent être définis (arrêt si possible ou objectifs gradués) et un suivi au long cours envisagé.

En cas de sévérité, adresser vers une structure adaptée. Pour en trouver une proche du domicile du patient : www.drogues-info-service.fr/Recherche-professionnelle-multicriteres

La prise en charge est le plus souvent possible en ambulatoire, mais une hospitalisation peut être nécessaire dans certains contextes (échecs répétés, polyconsommations, comorbidités sévères).

Pour en savoir plus : Martin Agudelo L. Addictions : des fiches synthétiques pour les MG.Rev Prat (en ligne) 21 mars 2024.

D’après
Gorelick DA. Cannabis-Related Disorders and Toxic Effects.N Engl J Med 2023;389:2267-75.
Karila L, Benyamina A. Item 78. Addiction au cannabis, à la cocaïne, aux amphétamines, aux opiacés, aux drogues de synthèse (v. item 322).Rev Prat 2022;72(10);1137-44.
Franchitto N. Complications somatiques du cannabis.Rev Prat 2020;70(1);69-76.
Martin Agudelo L. Addictions : des fiches synthétiques pour les MG.Rev Prat (en ligne) 21 mars 2024.
Dervaux A. Consommation de cannabis et comorbidités psychiatriques.Rev Prat 2018;68(6);670-4.

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés

Une question, un commentaire ?