Le risque de malnutrition et de déshydratation est élevé pour les patients atteints de démence, notamment par manque d’apports. Pour prévenir ces risques, la Société européenne de nutrition clinique et métabolisme (ESPEN) vient de mettre à jour des recommandations destinées aussi bien aux professionnels des établissement de santé qu’à ceux suivant ces patients en pratique de ville.
Ces guidelines sont fondées sur une révision de la littérature et sur un consensus d’experts. En effet, en raison du manque d’études appropriées sur ce sujet, la plupart des recommandations sont des rappels de bonne pratique, en attendant la publication de futures études de plus haute qualité. Qu’en retenir pour la pratique en médecine générale ?
Symptômes de la démence entraînant un risque de dénutrition
De nombreux changements physiopathologiques, ainsi que des comorbidités ou des effets iatrogènes survenant au cours de ces maladies neurodégénératives peuvent avoir des conséquences négatives sur les habitudes alimentaires, aboutissant à une perte de poids et à un risque de dénutrition et déshydratation :
- l’anosmie, l’agueusie et perte de l’appétit sont typiques des premiers stades de la démence et sont associés à une perte de poids précoce ;
- les troubles de l’orientation et de l’attention peuvent engendrer des problèmes pour faire les courses et préparer les aliments, aboutissant à une dégradation de la qualité des apports alimentaires ;
- une dépendance croissante en raison de l’apraxie et de l’agnosie compromettent la capacité à initier et poursuivre les repas ; en parallèle, un isolement social réduit la possibilité de manger et de boire avec d’autres personnes ;
- des troubles comportementaux tels que l’agitation et l’hyperactivité peuvent rendre les repas difficiles ;
- la perte de certaines aptitudes motrices comme l’utilisation des couverts peut compromettre la capacité à boire et à manger ;
- les effets sédatifs de certains traitements médicamenteux peuvent réduire la volonté de manger ;
- des troubles de la déglutition peuvent apparaître.
Les conséquences graves d’un apport alimentaire et hydrique insuffisant, bien connues pour les personnes âgées (sarcopénie, fragilité, risque accru de mortalité…), sont ainsi majorées chez celles atteintes de démence. Les carences nutritionnelles et la déshydratation peuvent altérer davantage les capacités cognitives, déclenchant un cercle vicieux qui accélère la démence.
Quelles recommandations pour la pratique clinique ?
Dépister régulièrement la dénutrition
Une évaluation systématique de l’état nutritionnel au moment du diagnostic de démence est recommandée, indépendamment des comorbidités et même chez les patients en surpoids ou obèses.
Ensuite, un dépistage à intervalles réguliers devrait être effectué, par exemple tous les trois mois, et aussi en cas de changement de l’état général, de la capacité à manger ou boire, ou en cas d’apparition de troubles du comportement pouvant affecter ces dernières.
La mesure du poids une fois par mois est préconisée et particulièrement importante (le poids déclaré ne suffit pas, encore moins dans des situations de démence). En effet, si la perte de poids – signe principal de dénutrition – précède souvent le diagnostic de la démence, elle s’accélère à mesure que cette dernière progresse, touchant près de la moitié des patients atteints de formes légères à modérées de la maladie d’Alzheimer, par exemple.
Une évaluation de la force et de la masse musculaire pour dépister la sarcopénie peuvent aussi être effectuées en parallèle, si possible.
Il n’y a pas d’outils spécifiques validés pour les patients atteints de démence : il convient de se servir des critères diagnostiques et des examens utilisés pour la population âgée générale. Toutefois, certaines échelles permettent d’évaluer les problèmes liés à l’alimentation aux stades modérés à sévères de la maladie : Edinburgh Feeding Evaluation in Dementia Questionnaire (EdFED-Q), Eating Behaviour Scale (EBS).
Corriger les facteurs identifiés de dénutrition selon une approche individualisée
Si la plupart des symptômes liés à la démence qui affectent la nutrition sont difficiles à corriger (v. ci-dessus), d’autres sont plus faciles à traiter ou à compenser par certaines stratégies, permettant de réduire le risque de dénutrition. Par exemple :
- problèmes de mastication ou de déglutition : optimiser les soins bucco-dentaires ; modifier les textures des aliments, proposer une rééducation ;
- xérostomie : vérifier et si possible adapter les traitements médicamenteux en cause, mettre l’accent sur l’importance des apports hydriques réguliers ;
- limitations de la mobilité : mettre en place des aides spécifiques (pour les courses, la cuisine), des ustensiles adaptés… ;
- en cas de comorbidités psychiatriques (anxiété, dépression…) : favoriser les repas partagés avec d’autres personnes.
En outre, une réévaluation régulière des traitements médicamenteux et de leur balance bénéfices/risques au regard de l’état nutritionnel devrait être effectuée lors de tout changement de la situation clinique et au moins une fois par an. En effet, si les effets précis des médicaments sur l’apport et l’état nutritionnel ne sont pas bien étudiés chez les personnes atteintes de démence, une association entre la polymédication et la malnutrition est démontrée dans la population âgée générale.
Enfin, les restrictions alimentaires sont d’autant plus dangereuses dans cette population et doivent être évitées.
Quelle place pour les CNO ?
Les compléments nutritionnels oraux (CNO) sont recommandé pour les personnes atteintes de démence qui ne couvrent pas leurs besoins nutritionnels par l’alimentation habituelle malgré une supervision et une assistance alimentaires adéquates.
De plus, si leur prise est recommandée dans l’objectif d’améliorer l’apport énergétique et protéique pour maintenir l’état nutritionnel, elle ne l’est pas dans un objectif de correction ou prévention du déclin cognitif. Ainsi, certains CNO disponibles sur le marché, commercialisés avec des allégations spécifiques en ce sens (amélioration des fonctions cognitives, etc.) ne sont pas recommandés, faute de données sur leur efficacité réelle à l’heure actuelle.
Lire aussi notre article : Place et bon usage des compléments nutritionnels oraux
Par ailleurs, ne sont pas recommandés :
- les produits visant à stimuler l’appétit ou prendre du poids, qu’il s’agisse de traitements médicamenteux ou de produits vendus comme « naturels » (phytothérapie, boissons…) ;
- les exhausteurs de goût ;
- le régime cétogène ;
- une supplémentation en oméga- 3 ni en probiotiques dans le but de ralentir le déclin cognitif ;
- une supplémentation systématique en micronutriments, en dehors d’une carence avérée.
Enfin, à tous les stades de la maladie, l’amélioration de l’état nutritionnel et de l’hydratation nécessitent une approche individualisée et holistiques. Quelques conseils de bon sens supplémentaires, notamment pour les aidants, sont détaillés dans l’encadré ci-dessous.
Conseils pour prévenir la dénutrition chez le patient atteint de démence
Les personnes atteintes de démence devraient être encouragées à partager leurs repas avec d’autres personnes afin d’améliorer leur qualité de vie.
Un soutien et une assistance pendant les repas devrait leur être proposés, en fonction de leurs préférences et leurs capacités individuelles à assurer des apports alimentaires et hydriques adéquats.
Pour favoriser leur autonomie, des ustensiles appropriés pour manger et/ou boire devraient leur être proposés.
Une rééducation visant à maintenir ou à améliorer leurs capacités à manger et à boire doit être mise en place lorsqu’approprié (avec la progression de la maladie, les patients peuvent « oublier » comment manger et boire).
Des boissons et en-cas supplémentaires entre les repas peuvent leur être proposés fréquemment pour contrecarrer la diminution des ingesta.
Les patients et leurs aidants devraient bénéficier de conseils diététiques individuels de la part d’un expert en nutrition.
Lire aussi :
Nobile C. Dénutrition de l’adulte : dépister et diagnostiquer en pratique quotidienne. Rev Prat (en ligne) 8 novembre 2022.
Nobile C, Martin Agudelo L. Votre patient âgé maigrit : que faire ? Rev Prat (en ligne) 17 novembre 2021.
Nobile C. Sujet âgé dénutri : quelle prise en charge, en pratique ? Rev Prat (en ligne) 16 novembre 2020.
Dénutrition de l’adulte, dossier élaboré selon les conseils scientifiques du Pr Éric Fontaine. Rev Prat 2022;72(8):849-81.