La prise d’une contraception hormonale est un facteur de risque connu de cancer du sein. Si ce surrisque est très modeste au niveau individuel, il a un impact visible à l’échelle populationnelle. Ainsi, une étude parue en 2024 dans le Lancet indique que, dans les pays à haut revenus, 3 % des cancers du sein sont attribuables à l’utilisation d’hormones exogènes – ainsi, 2,1 % des cancers du sein au Royaume-Uni seraient attribuables à un traitement hormonal de la ménopause (THM), et 0,8 % aux contraceptifs hormonaux.
Alors que le rôle des œstrogènes dans la promotion du cancer du sein est bien compris, c’est moins le cas pour les progestatifs. Hors du cadre de la contraception, plusieurs études de cohorte dans le THM ont déjà montré que les œstroprogestatifs étaient associés à un surrisque de cancer du sein plus important que les œstrogènes seuls. Toutefois, faute de large étude de cohorte à ce sujet, les données manquent pour comparer l’impact des différents contraceptifs hormonaux sur l’incidence du cancer du sein, notamment les progestatifs oraux pris seuls ou en combinaison avec des œstrogènes (contraceptifs oraux combinés, ou COC).
Cohorte nationale suédoise
Pour mener à bien cette comparaison à grande échelle, des scientifiques du département d’immunologie, de génétique et de pathologie de l’Université d’Uppsala (Suède) ont utilisé les données des registres nationaux de santé suédois, car la prévalence de la contraception par progestatifs oraux seuls ou par COC est particulièrement importante dans ce pays. À partir de ces données, les chercheurs ont évalué la différence entre progestatifs seuls et COC en termes de surrisque de cancer du sein.
La cohorte étudiée comprenait toutes les adolescentes et les femmes de 13 à 49 ans qui résidaient en Suède au 1er janvier 2006. Ont été exclues de l’analyse les femmes ayant eu un cancer du sein, de l’ovaire, du col utérin, de l’utérus, une ovariectomie bilatérale ou un traitement de l’infertilité, ainsi que les femmes décédées ou ayant émigrées avant cette date. Selon les cas, le suivi a ensuite duré jusqu’à l’atteinte d’un des critères d’exclusion précédents, ou bien jusqu’à l’âge de 50 ans, ou bien jusqu’au 31 décembre 2019. Le critère de jugement était le hazard ratio (HR) de l’incidence du cancer du sein en fonction de l’utilisation d’une contraception hormonale et de sa nature, par rapport aux non-utilisatrices de contraception hormonale. L’utilisation des contraceptifs était déduite d’un registre national des prescriptions.
Plus de 2 millions de femmes et ados
Les résultats sont parus le 30 octobre 2025 dans le JAMA Oncology. En tout, la cohorte a inclus 2 095 130 femmes et ados qui ont été suivies sur plus de 21 millions de personnes-années, soit un suivi individuel moyen (± écart-type) de 10,03 ± 4,06 ans. Parmi elles, 1 284 613 personnes (61,2 %) ont utilisé des contraceptifs hormonaux au moins une fois entre 2006 et 2019 (âge moyen = 28,8 ± 9,62 ans). Sur un suivi d’environ 12,3 millions de personnes-années, elles ont été touchées par 8 485 cancers du sein pendant leur suivi. Les femmes n’ayant jamais utilisé de contraception hormonale (âge moyen = 31,98 ± 11,22 ans) ont été touchées par 7 900 cancers du sein en plus de 8,6 millions de personnes-années. Au diagnostic du cancer, l’âge médian (écart interquartile) était de 43 ans (41 - 48 ans).
Risque accru avec les progestatifs oraux
Les femmes ayant utilisé au moins une fois une contraception hormonale avaient un risque accru de cancer du sein (HR = 1,24 ; IC 95 % = [1,20 ; 1,28]), correspondant à 1 cas supplémentaire pour 7 752 utilisatrices (IC 95 % = [5 350 ; 14 070]). L’usage de progestatifs oraux seuls (HR = 1,21 ; [1,17 ; 1,25]) ou de COC (HR = 1,12 ; [1,07 ; 1,17]) était associé à un surrisque de cancer. Le risque augmente avec la durée d’utilisation de la contraception hormonale le HR accru passant par exemple pour les progestatifs oraux seuls de 1,09 ([[1,03 ; 1,15]) pour une durée d’utilisation < 1 an, à 1,30 ([[1,16 ; 1,45]) pour une durée d’utilisation > 10 ans.
Le risque était plus élevé avec le désogestrel oral seul (HR = 1,18 ; [1,13 ; 1,23]) ou en COC (HR = 1,19 ; [1,08 ; 1,31]), ainsi qu’avec l’implant à l’étonogestrel, qui est le métabolite biologiquement actif du désogestrel (HR = 1,22 ; [1,11 ; 1,35]), par rapport aux COC au lévonorgestrel (HR = 1,09 ; [1,03 ; 1,15]) et le dispositif intra-utérin au lévonorgestrel (HR = 1,13 ; [1,09 ; 1,18]).
Aucun surrisque statistiquement significatif de cancer du sein n’a été observé avec les injections d’acétate de médroxyprogestérone, l’anneau vaginal à l’étonogestrel ou les COC à la drospirénone, et ce malgré un grand nombre de patientes – ce qui semble éliminer l’artefact statistique.
Éviter le désogestrel chez les patientes à risque ?
L’étude présente plusieurs limites importantes : la prise de contraceptifs se base uniquement sur les prescriptions, l’adhérence aux contraceptifs à longue durée était potentiellement sous-estimée, et les analyses statistiques n’ont pas pris en compte des facteurs de confusion importants comme les antécédents familiaux, l’allaitement et l’âge à la ménarche.
Les auteurs affirment cependant que leur étude est la plus aboutie sur le risque de cancer du sein associé aux contraceptions progestatives, et que leurs résultats montrent que ce risque varie substantiellement selon le contenu en progestatifs et leur nature.
« La découverte selon laquelle le désogestrel pourrait augmenter le risque de cancer du sein plus que les autres progestatifs n’a pas été signalée auparavant, soulignent-ils.Les individus à risque de cancer du sein pourraient bénéficier d’un évitement des contraceptifs contenant du désogestrel, notamment s’il est sous la forme d’un progestatif seul. » Les auteurs considèrent enfin que les œstrogènes pourraient atténuer les effets délétères des progestatifs, sur la base des différences de HR entre COC et progestatifs seuls.
Ne pas oublier les bénéfices !
Toutefois, des recherches supplémentaires sont nécessaires avant de nouvelles recos, car le risque relatif, bien que statistiquement significatif, correspond à un risque absolu faible de cancer du sein, et doit être considéré dans le contexte plus large des bénéfices bien établis des contraceptifs hormonaux, notamment les oestroprogestatifs qui ontdes effets protecteurs contre d’autres cancers (ovaire et endomètre).
Pour en savoir plus :
Nobile C. Ménopause : la HAS réévalue les traitements hormonaux. Rev Prat (en ligne) 23 octobre 2025.
Dubost E, Duranteau L. Item 330. Prescription et surveillance des classes de médicaments les plus courantes chez l’adulte et chez l’enfant, hors anti-infectieux (voir item 177). Connaître le bon usage des principales classes thérapeutiques - Partie 8a / Les contraceptifs. Rev Prat 2022;72(3):335-9.
Gosset A. Contraception à l’adolescence. Rev Prat 2025;75(3):270-5.
Martin Agudelo L. Cancers du sein : en augmentation ? Rev Prat (en ligne) 6 mars 2025.