Un patient de 34 ans consulte au service d'accueil des urgences en août pour une hyperthermie et des frissons depuis 48 h. Il a eu depuis la veille 5 selles non moulées. À l'arrivée, la température est à 39 °C, la pression artérielle à 140/75 mmHg, le pouls à 110 bpm. L'interrogatoire retrouve un voyage au Cameroun durant 3 mois, avec un retour il y a 24 heures. Il y a fait plusieurs randonnées, vivait chez l'habitant et consommait de la nourriture locale. Il s’est baigné en mer, mais n'a pas fait de baignade en eau douce. Il lui arrivait de marcher pieds nus dehors. Il n'a jamais eu de fièvre pendant son séjour. Il s'agissait de son premier séjour outre-mer.
Question 1: Quelle(s) étai(en)t la(les) vaccination(s) recommandée(s) avant son séjour ?
Il n'existe pas de vaccination du voyageur antipalustre.
Il existe des vaccins antipaludiques, destinés à la prévention des accès sévères des enfants en zone endémique.
Obligatoire dans la plupart des pays tropicaux africains et d'Amérique du Sud. L'Océanie et l'Asie sont indemnes de fièvre jaune (vaccination non recommandée).
Bien que l'efficacité soit imparfaite (50 à 65 %, donc le diagnostic est à évoquer même en cas de vaccination préalable et de signes cliniques évocateurs), cette vaccination est recommandée chez les voyageurs effectuant un séjour prolongé en zone endémique dans des situations d'hygiène précaire (exposition au péril fécal).
À effectuer dans les pays exposés au péril fécal quelles que soient les conditions d'hygiène de séjour du voyageur.
Vaccination ciblée des voyageurs séjournant en Asie ou en Océanie dans les situations suivantes :
séjour (quelle qu’en soit la durée) avec exposition importante en milieu extérieur dans une région endémique, plus particulièrement dans les zones rurales ;
expatriation dans un pays situé dans la zone de circulation du virus ;
toute autre situation jugée à risque par le médecin vaccinateur.
Pas de circulation du virus sur le continent africain.
Toutes les vaccinations recommandées avaient été réalisées.
Question 2: La chimioprophylaxie antipalustre recommandée lors du séjour du patient aurait dû comporté :
Recommandée en zone 1 (absence de résistance à la chloroquine).
Recommandé en zone 2 (résistance faible à la chloroquine)
Traitement curatif des accès palustres simples avec vomissements, de la femme enceinte.
En première intention au Cameroun (zone 3 de chimiorésistance à la chloroquine comme l'ensemble des zones impaludées sub-sahariennes) sont recommandés :
doxycycline : 1 comprimé par jour, à poursuivre jusqu'à 4 semaines après le retour ;
atovaquone-proguanil : 1 comprimé par jour, à poursuivre une semaine au retour (actif sur les formes hépatiques du Plasmodium falciparum).
La prophylaxie médicamenteuse doit toujours être associée aux mesures prophylactiques antivectorielles  (l'anophèle femelle est un "fantôme" : elle pique à la tombée de la nuit, son vol est silencieux et sa piqûre indolore) :
vêtements couvrants et imprégnés de répulsifs vestimentaires ;
utilisation de répulsifs cutanés ;
dormir sous moustiquaire ;
répulsifs péridomicilaires, moustiquaires de fenêtres et de porte ;
lutte contre les gîtes larvaires.
Le patient doit être éduqué à consulter au retour en cas de fièvre même en cas de prophylaxie correctement prise pour réaliser un frottis sanguin/goutte épaisse.
Le patient avait bien pris une prophylaxie par doxycycline, mais l'avait arrêtée une semaine avant son retour.
Question 3: Pendant quelle(s) durée(s) le patient aurait-il dû prendre sa prophylaxie après son retour ?
La doxycyline doit être poursuivie 28 jours (ou 4 semaines) après le retour, car elle n'agit que sur les formes plasmodiales érythrocytaires.
La doxycycline est contre-indiquée chez la femme enceinte et l'enfant de moins de 8 ans (coloration des dents de lait). L'atovaquone-proguanil peut être prescrit en prophylaxie chez l'enfant à partir de 5 kg (hors AMM).
Chez les enfants de moins de 5 kg et chez la femme enceinte, les séjours en zone impaludée sont déconseillés (méfloquine possible chez la femme enceinte, atovaquone-proguanil envisageable en l’absence d'alternative chez la femme enceinte, et séjour impératif).
Question 4: À quelle(s) maladie(s) parasitaire(s) la marche pieds nus en extérieur l'exposait-il ?
Pénétration transcutanée lors de la marche pieds nus en sol boueux.
Pénétration transcutanée lors de la baignade en eau douce.
Transmission vectorielle : moustiques (Anopheles, Culex, Aedes).
Transmission liée au péril fécal. Responsable d'épigastralgies et de diarrhées chroniques.
Larves de mouches (myia mouche) : myiase africaine transmise via les vêtements dans lesquels pondent les mouches.
Question 5: Quelles sont les hypothèses diagnostiques à évoquer en priorité chez ce patient (argument de fréquence et/ou de gravité) ?
À évoquer devant toute fièvre au retour d'un pays tropical.
L'amœbose colique est responsable d'un syndrome dysentérique sans fièvre (contrairement à l'amœbose hépatique, fébrile).
Pas d'épidémie de fièvre Ebola au Cameroun. Fièvre, diarrhée puis syndrome hémorragique et défaillance multi-organes.
Vaccination très efficace.
À évoquer même en cas de vaccination préalable du fait de l'efficacité imparfaite de la vaccination (de 50 à 65 %) et de la gravité de la pathologie.
Toute fièvre au retour d'un pays tropical est un paludisme jusqu'à preuve du contraire.
Autres étiologies responsables de diarrhées fébriles aiguës au retour d'un pays tropical : syndromes entéro-invasif et gastroentéritique en général dont salmonelloses mineures et shigelloses, hépatites virales aiguës, VIH...
Vous suspectez en priorité les deux diagnostics de gravité et d'urgence : fièvre typhoïde et paludisme.
Question 6:Pour confirmer ces hypothèses diagnostiques, vous prescrivez : 
Permet de déterminer l'espèce plasmodiale et la parasitémie.
Impératives devant toute fièvre ou hypothermie : réaliser au minimum 2 paires d'hémocultures aérobies et anaérobies, de préférence lors des accès fébriles.
Aucun intérêt de le sérologie de Fernand Widal et aucune place dans le diagnostic de la fièvre typhoïde.
Pas de place de la sérologie palustre dans le diagnostic des accès palustres : peut aider au diagnostic des paludismes viscéraux et des splénomégalies palustres hyperimmunes.
Méthode plus sensible que le frottis sanguin mais de lecture difficile.
Le diagnostic d'accès palustre repose sur l'association d'un test de dépistage et d'une méthode de concentration : frottis sanguin ou test de diagnostic rapide associé au QBC ou à la goutte épaisse. En effet les méthodes de concentration sont plus sensibles.
Le diagnostic de la fièvre typhoïde repose sur les hémocultures et les coprocultures.
Le frottis sanguin est réalisé en urgence et retrouve la présence de 3 % de trophozoïtes jeunes.
Question 7: À la vue du tableau clinique, des éléments anamnestiques, quelle(s) est(sont) le(s) diagnostic(s) probable(s) ?
Premier accès fébrile, absence de signes de sévérité, parasitémie 4%.
Premier accès fébrile. 
Le paludisme viscéral évolutif se manifeste chez des personnes vivantes en zone endémique par une altération de l'état général, une fébricule, une anémie, une volumineuse splénomégalie et une sérologie positive. La parasitémie est faible et parfois indétectable.
La trypanosomiase africaine se diagnostique également sur les frottis sanguins qui retrouvent des trypanosomes et non des trophozoïtes
La présence de trophozoïtes associée à un accès fébrile suffit à porter le diagnostic d'accès palustre.
Les trophozoïtes sont les formes parasitaires intra-érythrocytaires.
N.B. : les espèces plasmodiales responsables d'accès de reviviscence sont Plasmodium ovale et vivax.
Vous suspectez un accès palustre simple.
Question 8: Par argument de fréquence, quelle(s) espèce(s) plamodiale(s) est(sont) la plus probablement impliquée(s), et guidera(ont) votre prise en charge thérapeutique en urgence ?
Argument de fréquence et de gravité.
Uniquement décrit en Asie du Sud-Est.
Le Plasmodium falciparum est responsable d'environ 90 % des accès palustres au retour d'Afrique sub-saharienne. 95 % des accès palustres à Plasmodium falciparum surviennent dans les 3 mois suivant le retour de la zone impaludée. Il s'agit de la seule espèce responsable d'accès palustres graves (hors Plasmodium knowlesi, rare, limité au continent asiatique).
Tout accès palustre, en l'absence d'identification formelle, justifie d'utiliser des molécules actives sur le Plasmodium falciparum (diagnostic de gravité).
Vous examinez de nouveau votre patient : il est conscient, orienté, sa fréquence respiratoire est à 22 cpm, SpO2 = 98 % en air ambiant, pression artérielle à 134/64 mmHg, pouls à 110 bpm, température à 39,5 °C
Voici les résultats du bilan biologique d’entrée :
Hémogramme : Hb : 9 g/dL ; Ly :1,2 G/L ; PNN : 6 G/L ; Eo : 0,3G/L ; plaquettes : 56 000/mm3
TP : 80 %  - TCA : 29 sec (témoin : créatininémie : 110 mmol/L ; urée : 13 mmol/L ; K+ : 4,5mmol/L ; Na+ : 146 mg/L ; Glycémie : 4 mmol/L ; CRP : 75mg/L.
Question 9: Quel(s) est(sont) le(s) signe(s) de gravité(s) sur le bilan biologique présenté ci-dessus ?
Anémie 7g/dL.
La protéine C réactive est aspécifique, et signe juste le syndrome inflamamtoire biologique.
L'hypoglycémie (glycémie 2,2 mmol/L) n'est pas retrouvée ici.
La thrombopénie est fréquente mais n'est pas un signe de gravité (hémorragie clinique et hémoglobinurie macroscopique). Lorsqu'elle est 50 000/mm3, il s'agit d'un critère d'hospitalisation.
L'examen ci-dessus ne retrouve aucun signe de sévérité.
Les examens manquants sont :
la gazométrie artérielle qui permet de rechercher une hyperlactatémie et/ou une acidose métabolique et/ou une hypoxémie.
le bilan hépatique (bilirubinémie).
 
Les critères de gravité sont : "CHUCHI GLAPIRA"
Choc : neurologique (obnubilation, somnolence, Glasgow < 11) / respiratoire (PaO2/FiO2 < 300 mHg, PaO2 < 60 mmHg, SpO2 < 90%, fréquence respiratoire > 32/min) / hémodynamique (PAS < 80mmHg, marbrures).
HémoglobinUrie macroscopique
Convulsions : au moins 2 par 24 heures
Hémorragie
Ictère
hypoGlycémie
hyperLactatémie : supérieure à la normale
Anémie < 7 g/dL
Parasitémie > 4 %
Insuffisance Rénale aiguë et oligurie
Acidose 
Question 10: En l'absence de signes de gravité et de vomissements, les alternatives thérapeutiques chez ce patient sont :
Dérivé de l'artémisinine.
Uniquement prophylactique.
Traitement prophylactique.
Dérivé de l'artémisinine.

Trois situations cliniques de prise en charge thérapeutique des accès palustres :

Accès simple : dérivés de l’artémisinine 3 jours PO (réaliser un ECG) ou atovaquone-proguanil (au cours des repas ; possible chez l'enfant à partir de 5 kg >5 kg)
N.B.: enfant <18 mois et <5 kg: quinine ; femme enceinte au premier trimestre : quinine +/- clindamycine.
Accès simple et vomissements : quinine IV 5 jours (perfusion lente, ECG, glycémie+/-quininémie).
Accès grave : prise en charge en réanimation et artésunate IV 3 jours ou 3 injections minimum (puis relais PO par des dérivés de l'artémisinine).
 
La découverte de l'artémisinine  (procédés d'extraction et de purification) par la Chinoise Tu Youyou a été récompensée par le prix Nobel de médecine en 2015. Il s'agit maintenant du traitement de référence des accès palustres. Des souches plasmodiales résistantes à l'artémisinine commencent à émerger.
Question 11: Le patient commence à vomir. En cas d'accès palustre simple et de vomissements itératifs, quelle(s) molécule(s) pourriez-vous utiliser ?
Traitement des accès palustres simples sans vomissements.
Traitement des accès palustres graves.
Réservé aux accès palustres simples sans vomissements.
Traitement de deuxième intention des accès palustres simples sans vomissements.
cf. commentaire de la question 10.
La quinine par voie intraveineuse doit être utilisée avec prudence : ECG, glycémie, calcémie et kaliémie préthérapeutique. Ne jamais faire de bolus (risque de torsade de pointe), à perfuser lentement (8 mg/kg/8 h en perfusion lente sur 4 heures dans une solution glucosée G5 % ou G10 %).
Les effets indésirables de la quinine sont le cinchonisme (fréquent, non grave et ne nécessitant pas l'arrêt de la molécule), l'allongement du QTc avec le risque de torsade de pointe, l'hypoglycémie.
Question 12: Avant que vous ne débutiez un traitement spécifique, le patient se dégrade rapidement : sa pression artérielle systolique chute à 56 mmHg, apparaissent des marbrures des membres inférieurs. Il est rapidement transféré en unité de soins intensifs pour poursuite de la prise en charge.
Traitement des accès palustres simples sans vomissements.
L'artésunate est le traitement de référence des accès palustres graves, y compris chez l'enfant et la femme enceinte.
Traitement proposé par certains centres en association à la quinine (non consensuel), désuet depuis l'apparition de l'artésunate.
Peut être discuté en cas d'absence de disponibilité de l'artésunate, mais traitement de deuxième intention.
Traitement de troisième intention des accès palustres simples sans vomissements.
Un critère de gravité suffit à définir un accès palustre grave.
La prise en charge de l'accès palustre grave repose sur :
surveillance et prise en charge en unité de soins intensifs ou de réanimation ;
traitement par artésunate par voie intraveineuse (demande d'ATU).
En cas d'indisponibilité de l'artésunate débuter un traitement par quinine dans l'attente. 
L'artésunate par voie intraveineuse traite un accès palustre grave mais laisse un accès palustre simple à traiter : réaliser 3 injections minimum puis effectuer un relais dès que possible par dérivés de l'artémisinine orale pour la durée classique de traitement de l'accès simple (3 jours).
Question 13: Quel(s) mesure(s) complémentaire(s) et suivi est (sont) à mettre en place ?
La déclaration est obligatoire pour les paludismes autochtones (France et DOM et les paludismes d'importation (DOM hors Guyane).
Absence de transmission interhumaine du paludisme donc aucune précaution complémentaire n'est nécessaire.
Absence de transmission interhumaine du paludisme donc aucune précaution complémentaire n'est nécessaire.
Absence de transmission interhumaine du paludisme donc aucune précaution complémentaire n'est nécessaire.
La parasitémie doit diminuer de 25 % à J3, être négative à J7 (efficacité du traitement). La récidive ou l'échec tardif est surveillé par le contrôle à J28.
Le patient évolue favorablement. Après 3 injections d'artésunate par voie intraveineuse, un relais oral par artéméther-luméfantrine est débuté pour 3 jours. Il rentre à domicile. Il effectue correctement son suivi, mais consulte à J24 de l'accès palustre pour une majoration de la dyspnée. Son dernier bilan biologique réalisé à J21 de l'accès retrouvait une hémoglobine à 6 g/dL, VGM à 102 fL, réticulocytes à 220 000/mm3. Il n'y a aucun saignement extériorisé.
Question 14: Quelle(s) exploration(s) complémentaire(s) de première et de deuxième intention vous semble(nt) utile(s) dans le cadre de l'exploration de cette anémie ?
Haptoglobine effondrée, LDH élevée en faveur d'une hémolyse, quelle qu'en soit la cause.
La schizocytose oriente vers nune hémolyse mécanique.
Recherche d'une anémie hémolytique auto-immune.
À la recherche d'un échec de traitement ou une réviviscence.
Responsable d'hémolyse intracorpusculaire : favisme.
Une anémie normo-macrocytaire régénérative doit faire suspecter une hémorragie aiguë ou une hémolyse.
L'hémolyse peut être intracorpusculaire (anomalie de la membrane de l'hématie, du système enzymatique de l'hématie ou de l'hémoglobine) ou extracorpusculaire (anémie hémolytique auto-immune, mécanique, dont CIVD et microangiopathie thrombotique, immuno-allergique, infectieuse dont paludisme...).
En cas d'anémie au décours d'un accès palustre il est impératif de réaliser à nouveau un frottis sanguin / goutte épaisse à la recherche d'un échec de traitement ou d'un accès de reviviscence (co-infection possible, traitements usuels non actifs sur les hypnozoïtes).
En cas d'anémie survenant au décours d'un traitement par artésunate, le HCSP recommande le bilan suivant :
fer, ferritinémie, CTF, CST ;
test de Coombs érythrocytaire et recherche d'agglutines froides ;
recherche d'un déficit en G6PD ;
haptoglobine, LDH, recherche de schizocyte ;
tout examen jugé pertinent par le médecin.
Le bilan biologique sanguin retrouve une haptoglobine effondrée, des LDH très élevés. Le frottis sanguin et la goutte épaisse sont négatifs (absence de Plasmodium spp.). Les autres explorations sont en cours. 
Question 15: Quelle(s) est(sont) l’(les) hypothèse(s) à évoquer en priorité ?
Tableau de choc, hémolyse aiguë survenant dans les heures après un traitement par quinine.
Pas d'accès de réviviscence à Plasmodium falciparum (pas d'hypnozoïtes).
L'hémolyse retardée est une complication fréquente de l'artésunate à ne pas méconnaître, rarement grave mais pouvant nécessiter des transfusions.
Sa survenue est dépistée par la réalisation de bilans biologiques de contrôle systématiques à J3, J7, J14, J21, J28 comportant : NFS, réticulocytes, haptoglobine (en plus du frottis sanguin / goutte épaisse à J3, J7 et J28). Elle évolue classiquement spontanément favorablement.

 

 

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