Vous recevez en consultation une femme de 55 ans, adressée par son médecin traitant pour une anomalie récurrente sur son hémogramme.

Elle n'a pas d'antécédent particulier en dehors d’une fracture tibia-fibula à droite consécutive à un accident de la voie publique il y a quinze ans ainsi qu’une hypercholestérolémie actuellement non traitée. Elle est ménopausée. L’examen clinique est normal. La patiente est apyrétique. L'auscultation cardio-pulmonaire est normale. L’hémogramme réalisé il y a 48 heures est le suivant :

GR : 4 500 000/µL

Hb : 13 g/dL

Hématocrite : 40 %

VGM : 89 fl

TCMH : 29 pg

CCMH : 32.5 g/dL

Leucocytes totaux : 11 G/L

Polynucléaires neutrophiles : 1,7 G/L

Lymphocytes : 8 G/L

Plaquettes 213 G/L

L’hémogramme réalisé il y a six mois était identique à celui-ci.
Question 1 : L’analyse de l’hémogramme révèle ?
Il s’agit ici de connaître les valeurs normales de l’hémogramme. Chez les femmes adultes, les globules sont compris entre 4 000 000 et 5 400 00/µL, l’hémoglobine entre 12 et 16 g/dL et l’hématocrite entre 36 et 47 %. Le VGM est entre 82 et 98 fl, la TCMH entre 27 et 32 pg, et la CCMH entre 32 et 36 pg.
Concernant la formule leucocytaire, les polynucléaires neutrophiles sont compris 1,5 et 7 G/L et les lymphocytes entre 1 et 4 G/L.
Par conséquent, ici la seule anomalie notable est une lymphocytose à 8 G/L.
Question 2 : Les examens paracliniques qui sont indispensables afin de caractériser l’anomalie hématologique présentée par cette patiente sont ?
L’immunophénotypage lymphocytaire va permettre, comme son nom l’indique, de phénotyper la lymphocytose. Elle permet d’explorer les molécules membranaires des lymphocytes et de déterminer le caractère clonal ou non de la lymphocytose. On peut ainsi notamment calculer le score de Matutes , capital pour poser le diagnostic de leucémie lymphoïde chronique (LLC).
Le frottis sanguin permet de contrôler la morphologie des lymphocytes, normale dans la LLC .
Vous avez donc demandé un immunophénotypage lymphocytaire pour explorer la lymphocytose isolée de la patiente. Ce dernier retrouve 6 G/L de lymphocytes exprimant le CD20, le CD19, le CD5 et le CD23. Le FMC7, le CD79b et les immunoglobulines de surface sont très faiblement exprimées. A l’examen clinique que vous complétez, toutes les aires ganglionnaires sont libres. La patiente ne présente ni hépatomégalie ni splénomégalie.
Question 3 : Les informations que vous pouvez déduire de cet immunophénotypesont ?
Pour parler de leucémie lymphoïde chronique de stade A de Binet, il faut au moins 5 G/L de lymphocytes B monoclonaux avec un score de Matutes supérieur ou égal à 4.
Ici la patiente présente 6 G/L de lymphocytes B monoclonaux avec un score de Matutes à 5. Le CD19 et le CD20 sont des marqueurs des lymphocytes B, qu’ils soient normaux ou pathologiques. LE CD5 est un marqueur aberrant (normalement T) de certains lymphocytes B pathologiques, en particulier dans la LLC.

Score de Matutes

Cotation10
CD5+-
CD23+-
Expression slg monotypiquefaibleforte
FMC7-+
Expression de CD79b/CD22faible forteforte

Si le score est supérieur ou égal à 4, le diagnostic de LLC est retenu.
Si le score est inférieur à 3, le diagnostic de LLC doit être écarté.
Si le score est égal à 3, le diagnostic de LLC peut être retenu si les cellules lymphoïdes sanguines expriment les molécules CD5, CD23 et CD43, si l'expression du CD20 est faible, et si la recherche de l'expression de cycline D1 est négative.
Question 4 : Vous proposez à cette patiente ?
Aucun examen paraclinique complémentaire à visée diagnostiqie n'est ici nécessaire. Les LLC de stade A de Binet doivent faire l’objet d’un contrôle tous les six mois sur la base d’un hémogramme et d’un examen clinique complet à la recherche de l’émergence d’un syndrome tumoral.
Vous convoquez cette patiente dans 6 mois avec un hémogramme.
Question 5 : Pourquoi un simple hémogramme deux fois par an est-il suffisant pour assurer un suivi approprié de cette malade ?
L’évolution est le plus souvent progressive, quelle que soit la modalité (augmentation de la lymphocytose, apparition d’adénopathies…).
L’immunophénotype n’est pas contrôlé,  car il ne se modifie pas avec le temps.
Vous suivez donc cette patiente en consultation régulièrement tous les six mois.
Quatre ans après votre première consultation, cette dernière présente les résultats biologiques et l’examen clinique suivant :
présence de 11 G/L de lymphocytes B monoclonaux (pour 12 G/L de lymphocytes totaux) ;
l’hémoglobine est à 13,7 g/dL ;
les plaquettes à 226 G/L. La CRP est à 5 mg/L ;
la vitesse de sédimentation est à 30 mm à la première heure. Les LDH sont à 215 U/L pour une normale entre 220 et 630 U/L ;
la bêta 2 microglobulinémie est à 2,4 mg/L.
L’électrophorèse des protides sériques est la suivante :

Le test de Coombs direct globulaire est positif. La patiente présente désormais des adénopathies supra-centimétriques, non douloureuses, non compressives, cervicales et axillaires bilatérales. 
Question 6 : La présence de ces adénopathies, dans le contexte décrit ici ?
Les adénopathies de la LLC sont habituellement bilatérales et symétriques. La transformation est souvent sous la forme d’une adénopathie pathologique prédominante. L’infection locale (= ORL) donne des adénopathies locales (= cervicales) et pas axillaires. Par contre, une polyadénopathie peut être d’une autre cause : toxoplasmose, VIH…
La classification de Binet est une classification clinico-biologique. Seuls l’hémogramme et la palpation des aires ganglionnaires sont suffisants pour l’établir. La classification de Binet distingue 5 aires ganglionnaires cliniques (Cf. figure 1). Par conséquent, dans le cadre diagnostique  le myélogramme et la TDM TAP sont inutiles. Ici, la patiente présente donc une LLC stade A selon la classification de Binet (Cf. tableau).
Figure 1 - 5 aires ganglionnaires

Tableau - Classification de Binet
StadeAires lymphoïdes palpablesHémoglobuline
< 10 g/100 mL ou
Plaquettes < 100 000 / mm3
A< 3NON
B> ou = 3NON
CQuel que soit le nombre d'aires
lymphoïdes palpables
OUI
Question 7 : La discordance entre la CRP et la VS peut s’expliquer par :
Le pic peut faire accélérer la VS, comme l’anémie ou la présence d’anticorps sur la paroi des globules rouges.
Question 8 : Il existe une anomalie de l’électrophorèse des protides sériques. Celle-ci vous invite à :
Tout pic n’est pas un myélome : ici, un bilan est inutile, le pic est en rapport avec la LLC, surtout qu’il est de petite taille.
Question 9 : A ce stade, la prise en charge de la patiente va consister en ?
Cela reste une LLC de stade A. La surveillance est la référence. On ne biopsie pas une adénopathie dont les caractéristiques ne sont pas évocatrices d’une transformation.
Deux ans plus tard, la patiente se présente aux urgences pour un essoufflement assez marqué, apparu assez rapidement (quelques jours) alors qu’elle était capable il y a une semaine de courir trente minutes sans être essoufflée. On remarque d’emblée une pâleur marquée, ainsi qu’une coloration jaune pâle des conjonctives. Elle est apyrétique. L'auscultation cardio-pulmonaire retrouve un souffle systolique 2/6. Il n’y a pas de splénomégalie, les adénopathies notées précédemment ont diminué de taille. Son hémogramme réalisé il y a une semaine était normal en dehors de la présence d’une lymphocytose à 17 G/L. Celle de ce jour est la suivante :
GR : 2 500 000/µL
Hb : 7,4 g/dL
Hématocrite : 23 %
VGM : 92 fl
TCMH : 30 pg
CCMH : 32 g/dL
Leucocytes : 22 G/L
Lymphocytes : 17 G/L
Plaquettes : 224 G/L
Réticulocytes : 195 G/L
Question 10 : L’anémie est :
Question 11 : L’origine hémolytique de l’anémie est évoquée par ?
Souffle et pâleur sont évocateurs de l’anémie, indépendamment de son origine.
Question 12 : A ce stade, l’indication d’une transfusion de culots globulaires peut se discuter. Les éléments de l’observation qui y invitent sont ?
L’indication se fait sur la clinique. Et dans la clinique, sur des signes de tolérance : la patiente « souffre » de son essoufflement mais pas de son souffle. Ce n’est pas parce que l’on a une hypercholestérolémie que l’on a un état vasculaire altéré.
Question 13 : L’indication de la transfusion est retenue. Vous devez alors transfuser des concentrés érythrocytaires ?
Les culots réchauffés sont pour les anémies hémolytiques secondaires à une agglutinine froide.
Il s’agit ici d’une anémie hémolytique auto-immune compliquant une leucémie lymphoïde chronique. Elle est traitée par une corticothérapie à 2 mg/kg/j pendant 1 mois, puis une décroissance de 0,1 mg/kg chaque mois.
L’évolution du taux d’hémoglobine montre :
à 1 mois : 12,6 g/dL
à 2 mois : 12,4 g/dL
à 3 mois : 10,2 g/dL
à 4 mois : 9,6 g/dL
à 5 mois : 9,1 g/dL
A six mois, l’hémoglobine est à 9,5 g/dL, avec un VGM à 89 U3, des réticulocytes à 46 000 G/L
Question 15 : A ce stade, vous pouvez éliminer comme origine de l’anémie :
Ce n'est pas une hémolyse auto-immune car arégénérative.
Ce n'est pas une hémorragie chronique, car pas de microcytose (hémorragie chronique = carence en fer).
Ce n'est pas une érythroblastopénie, car pas de réticulocytopénie.
Ce n'est pas une carence en folates,  car pas macrocytaire.
L’hémogramme complet est le suivant :  
Hémoglobine : 9,5 g/dL
VGM : 89 fl
Leucocytes : 36 G/L
Polynucléaires neutrophiles : 1,7 G/L
Lymphocytes :  33 G/L
Plaquettes : 88 G/L
La CRP est à 6 mg/L
A l’examen clinique, la patiente présente une discrète pâleur cutanéo-muqueuse. La patiente n’est pas dyspnéique. Vous retrouvez de nombreuses adénopathies supra-centimétriques au niveau des aires ganglionnaires inguinales, axillaires, et cervicales. Il existe une splénomégalie.
Question 15 : Dans cette observation, quels sont les paramètres qui permettent de classer cette LLC comme un stade C de Binet ?
Classification Binet  :
StadeAires lymphoïdes palpablesHémoglobuline
< 10 g/100 ml ou
Plaquettes
< 100 000/mm3
A<3NON
B> ou = 3NON
CQuel que soit le nombre d'aires lymphoïdes palpablesOUI
Vous  décidez de traiter la patiente par  six cures de RFC (rituximab, fludarabine, cyclophosphamide).
Huit jours après sa deuxième cure de RFC, la patiente est admise aux urgences dans un contexte de sepsis sévère (pression artérielle à 80/60 mmHg puis à 110/80 mmHg après remplissage par cristalloïdes, quelques marbrures au niveau des genoux initialement). Température à 39°7 C avec des frissons.
L’hémogramme est le suivant :
GR : 3 800 000/µL
Hb : 9,4 g/dL
Hématocrite : 37 %
VGM : 85 fl
TCMH : 29 pg
CCMH : 34 g/dl
Leucocytes : 6 G/L dont 99 % de lymphocytes
Plaquettes : 66 G/L
Question 16 : Parmi les propositions suivantes concernant l’antibiothérapie à administrer ici, vous retenez ?
Ici, la patiente a 99% de lymphocytes sur son hémogramme. Elle a donc au mieux 0,06 g/L de PNN. Donc cette patiente est en agranulocytose fébrile chimio-induite. De plus, elle est en sepsis sévère. Il est donc recommandé de prescrire une bi-antibiothérapie par voie IV. Elle s’améliore après remplissage, le transfert en réanimation ne semble pas nécessaire. On n’attend jamais les prélèvements pour débuter une antibiothérapie chez un patient neutropénique.
Question 17 : Parmi les facteurs d’immunodépression présents chez cette patiente, vous retenez ?
L’hypogammaglobulinémie est visible sur l’électrophorèse des protides sériques.
Cet épisode septique est résolutif en 72 heures grâce à votre antibiothérapie bien conduite. Deux hémocultures sont positives à Staphylococcus aureus, l’antibiogramme confirme une sensibilité à la méticilline.
Question 18 : En quoi cela modifie votre prise en charge ?
Au bout de deux ans de surveillance, l’état général de la patiente s’altère rapidement. Elle se plaint d’une asthénie majeure, d’une anorexie à l’origine d‘un amaigrissement de 7 kilos en trois mois (poids de forme 58 kg). Par ailleurs, elle présente de la fièvre tous les soirs depuis un mois à 38 °C, vers 21 h  et des sueurs profuses la nuit. Enfin, une adénopathie sus-claviculaire gauche a, selon la patiente, brutalement augmenté de volume, et est parfois douloureuse.
Question 19 : A la lumière de ces éléments, quelles peuvent être les hypothèses ?
Ne pas oublier que la LLC expose au risque infectieux et d’autres tumeurs.
Vous réalisez une TEP-TDM.
Question 20 : Quelle aide peut vous apporter cet examen ?
La TEP ne permet pas de faire un diagnostic positif. La LLC est une pathologie où la TEP n’a pas d’indication.

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