Vous recevez un soir aux urgences Mme D., 67 ans, pour une douleur basithoracique bilatérale.

Elle n’a pas d’antécédent en dehors d’une pneumonie récidivante depuis trois mois.

Elle ne prend aucun traitement.

La douleur dure depuis plusieurs jours, d’intensité progressivement croissante, actuellement à 9/10 malgré des antalgiques de palier 1. Elle ne rapporte pas d’élément déclencheur.

Les paramètres vitaux sont les suivants : pression artérielle (PA) = 123/76 mmHg ; fréquence cardiaque (FC) = 99 bpm ; saturation en oxygène (SpO2) = 97 % en air ambiant ; température (T°) = 37,1 °C. 

L’examen clinique cardiopulmonaire est normal. L’électrocardiogramme (ECG) montre une tachycardie sinusale.
Question 1 - Quel(s) examen(s) complémentaire(s) demandez-vous en première intention ?
Bilan de douleur thoracique > 65 ans.
Éliminer l’embolie pulmonaire devant la douleur et la tachycardie sinusale.
Probabilité non forte d’embolie pulmonaire.
La douleur thoracique aiguë est une situation clinique fréquente dont l’objectif principal en urgence est d’éliminer les diagnostics graves (péricardite, infarctus du myocarde, embolie pulmonaire et dissection aortique).
Le Collège de cardiologie propose la réalisation systématique d’un ECG, d’un dosage de la troponine ultrasensible et d’une radiographie thoracique.
Ici, la probabilité clinique d’embolie pulmonaire (douleur thoracique, tachycardie sans syndrome coronarien aigu [SCA]) indique la réalisation de D-dimères avant la réalisation de l’angioscanner.
La troponine est normale. Les D-dimères sont à 890 ng/L.
La radiographie thoracique montre un minime épanchement pleural bilatéral.
Vous complétez votre bilan par un angioscanner qui élimine une embolie pulmonaire, confirme l’épanchement pleural bilatéral et des séquelles de pneumonie aux bases. Une coupe montre une fracture vertébrale de T1.
Figure (Jeanne Gauthier, La Revue du Praticien)
Question 2 - Sur cette coupe, quel(s) signe(s) radiographique(s) notez-vous en faveur d’une fracture vertébrale pathologique ?
N’oriente pas vers une origine secondaire.
Visibles notamment au niveau sternal.
Les vertèbres lombaires ou thoraciques basses sont le site préférentiel de l’ostéoporose.
En faveur de fractures bénignes et non visible ici.
Les critères radiologiques d’une fracture bénigne sont :
– pas au-dessus de T4 ;
– pas de bombement de l’arc postérieur ;
– pas de lyse corticale ;
– trame homogène à distance de l’impaction ;
– signe du puzzle (on peut « recoller » les morceaux d’os).
Mme D. a des fractures d’allure pathologique.
Question 3 - Comment complétez-vous le bilan dans l’immédiat (une ou plusieurs réponses exactes) ?
Pas en première intention.
Pas d’intérêt pour le diagnostic de cancer chez la femme. Faire un dosage de l’antigène spécifique de la prostate (PSA) chez l’homme pour rechercher un cancer de prostate.
Rechercher une gammapathie monoclonale.
Il s’agit du bilan d’ostéopathie fragilisante. Non utile en urgence le soir même au service d’accueil des urgences (SAU) devant une fracture d’allure secondaire.
Devant la découverte de fracture pathologique, il faut réaliser d’une part un bilan étiologique à la recherche d’une pathologie maligne (myélome, métastases) ou infectieuse (tuberculose), et d’autre part un bilan de gravité avec le bilan phosphocalcique.
Le bilan biologique montre :
– hémoglobine (Hb) = 9,3 g/dL ; leucocytes = 7 G/L ; plaquettes 302 G/L ;
– créatinine = 109 µmol/L ; sodium (Na) = 143 mmol/L ; potassium (K) = 4,7 mmol/L ; calcium (Ca) = 2,68 mmol/L ; pH = 1,16 mmol/L ;
– électrophorèse des protéines sériques : albumine = 35 g/L ; gammaglobulines = 2 g/L sans aspect monoclonal.
Question 4 - Quelle est votre principale hypothèse diagnostique (une seule réponse exacte) ?
Pas d’argument dans les antécédents.
Associée à une hyper-gamma-globulinémie et pas de fracture secondaire.
Moins probable que le myélome (voir R5).
N’explique pas l’hypogammaglobulinémie et la fracture d’allure pathologique ; habituellement plutôt hypophosphorémie.
Devant l’association fracture pathologique + hypogammaglobulinémie + hypercalcémie corrigée + anémie + insuffisance rénale (critères CRAB).
Les critères CRAB du myélome sont :
– hypercalcémie (> 0,25 mmol/L par rapport à la normale ou > 2,75 mmol/L) ;
– insuffisance rénale (créatinine > 177 mmol/L ou Cl créatinine < 40 mL/min) ;
– anémie (Hb < 2 g/dL par rapport à la normale ou < 10 g/dL) ;
– ≥ 1 lésion ostéolytique (radiographies standard, scanner corps entier faibles doses, tomographie par émission de positons (TEP-scan).
À noter que l’absence de pic monoclonal n’exclut pas un myélome (qui peut dans ce cas être à chaînes légères).
Question 5 - Quel(s) résultat(s) confirmerai(en)t le diagnostic de myélome ?
Au moins 10 %.
Protéinurie monoclonale urinaire supérieure au seuil de protéinurie à 500 mg/24 h.
Le dosage pondéral n’est pas utile dans ce contexte.
Les critères diagnostiques du myélome sont :
• plasmocytose médullaire supérieure ou égale à 10 % ;
+
• au moins un événement définissant le myélome :
– signes CRAB ;
– lésion focale à l’IRM osseuse > 10 mm ;
– plasmocytose médullaire > 60 % ;
– ratio chaîne légère libre impliquée sur non impliquée ≥ à 100.
Le myélogramme montre 90 % de plasmocytes dysmorphiques. La recherche de protéinurie est positive et faite de chaînes légères kappa.
Question 6 - Comment prenez-vous en charge l’atteinte rénale (une ou plusieurs réponses exactes) ?
Pas d’intérêt.
Adapter les doses à la fonction rénale. Il faut rapidement diminuer la masse tumorale pour soigner l’atteinte rénale.
Évite la précipitation des chaînes légères dans les urines.
Peu de risque de syndrome de lyse dans le myélome.
Fait partie du traitement de référence et d’urgence pour diminuer la masse tumorale.
Les principales atteintes rénales du myélome sont :
– tubulopathie myélomateuse = nécrose tubulaire aiguë par précipitation de chaînes légères d’immunoglobuline monoclonale. Terrain de myélome avec forte masse tumorale, à chaînes légères libres. Favorisée par la déshydratation, l’hypercalcémie, le pH acide, les produits de contraste iodés… ;
– amylose AL = dépôts amyloïdes de chaînes légères. Néphropathie glomérulaire ;
– syndrome de Randall = dépôts de chaînes légères non organisés.
La réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) propose un traitement par daratumumab, bortézomib, lénalidomide et dexaméthasone, à doses adaptées à la fonction rénale.
Question 7 - Comment prenez-vous en charge le risque infectieux (une ou plusieurs réponses exactes) ?
Indispensable sous bortézomib.
Recommandé. À noter que ce nouveau vaccin contre le zona n’est pas vivant et peut donc être administré chez ces patients immunodéprimés.
Risque de pneumocystose, notamment en cas d’atteinte pulmonaire préexistante au traitement.
Risque de réactivation virale. Discuter un traitement préventif par ténofovir (pour information : recommandé en systématique si traitement par rituximab).
Recommandée chez l’immunodéprimé. Classiquement schéma Prevenar13 + Pneumo23 mais l’arrivée du Prevenar20 va probablement modifier cette stratégie.
Discuter également les perfusions d’immunoglobuline en cas d’infections répétées.
On surveillera et préviendra également le risque de cytopénie, de neuropathie périphérique et de thrombose.
Ne pas oublier d’associer des bisphosphonates au vu de l’atteinte osseuse (à adapter à la fonction rénale).

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