M. G., 87 ans, consulte dans votre cabinet de neurologie en ville pour vision double. C’est un ancien gendarme qui vit avec son épouse dans une maison avec étage. Il n’a jamais fumé, ne boit pas d’alcool, et est autonome dans la vie quotidienne.

Il a pour antécédents une dyslipidémie, une hypertension artérielle, et un diabète de type 2 équilibré sous antidiabétiques oraux. Il vous montre l’ordonnance du médecin traitant qui comprend du ramipril, de l’atorvastatine, de la metformine et du zopiclone.

Cliniquement, sa diplopie disparaît à l’occlusion de chaque œil successivement.

L’examen des paires crâniennes retrouve également une voix nasonnée, et le patient vous décrit des fausses routes lorsqu’il avale.
Question 1 - Où pourrait se situer le problème neurologique de ce patient (une ou plusieurs réponses exactes) ?
Le patient a pour l’instant une atteinte des paires crâniennes (diplopie binoculaire, voix nasonnée et fausses routes).
La localisation de l’atteinte pourrait être le tronc cérébral. Les paires crâniennes font partie du système nerveux périphérique, on aurait donc pu cocher 2e motoneurone mais assurément pas le 1er (qui correspondrait à une description clinique de syndrome pyramidal).
La jonction neuromusculaire pourrait être impliquée car l’atteinte de la transmission de l’influx nerveux entre nerf et muscles concerne volontiers des muscles soumis à des contractions répétées ou prolongées comme les muscles oculomoteurs, les muscles du voile du palais ou les muscles pharyngés.
Vous continuez votre interrogatoire.
Votre patient vous décrit que sa femme a remarqué qu’il avait une paupière tombante certains soirs. Il a une faiblesse des bras pour attraper des objets en hauteur, par exemple il n’arrive plus à attraper les assiettes du placard lorsqu’il veut mettre le couvert. Il lui arrive d’avoir des fuites urinaires car il n’arrive pas assez vite aux toilettes. Il décrit une fatigabilité au cours de la journée, et il a du mal à monter les escaliers jusqu’à sa chambre le soir. Il rapporte que le premier symptôme qu’il a ressenti, la diplopie, remonte à il y a trois semaines quand il a pris le rendez-vous, et que depuis les autres symptômes sont arrivés.
Le reste de l’examen clinique montre une bonne tenue du Barré et du Mingazzini, une flexion de la nuque possible contre résistance, une bonne motricité axiale, une mastication un peu faible, et une hypotonie faciale droite.
Question 2 - Quel mot-clé de l’énoncé vous oriente immédiatement vers le diagnostic de myasthénie (une seule réponse exacte) ?
Ce n’est pas la paupière tombante en elle-même qui est évocatrice (on peut voir un ptosis physiologique chez les personnes âgées par affaissement de la peau), mais c’est le fait que cela survienne surtout le soir.
Évocateur de myasthénie, mais un déficit de la ceinture scapulaire pourrait se voir également dans un syndrome myogène ou une pathologie extra-neurologique.
Il ne s’agit pas réellement de fuites urinaires, le patient décrit bien qu’il n’arrive pas assez vite aux toilettes (plutôt évocateur d’une faiblesse des membres inférieurs).
Évocateur de myasthénie, mais un déficit proximal des membres inférieurs pourrait se voir également dans un syndrome myogène ou une polyradiculonévrite, par exemple.
La fatigabilité oriente vers la myasthénie, qui est une maladie de l’effort et qui va se traduire par une fatigabilité accrue au cours de la journée, ou au cours d’un effort.
Question 3 - Quelle est votre attitude face au patient (une ou plusieurs réponses exactes) ?
On évalue le déficit moteur dans la myasthénie à l’aide du score de Garches qui comprend la tenue du Barré et du Mingazzini sur une certaine durée.
Mais même sans savoir cela, il faut garder à l’esprit que fournir un effort risque de faire décompenser le patient qui a déjà des critères de gravité.
Bon repère de la réserve respiratoire du patient, qui permettra de surveiller l’évolution après traitement les prochains jours.
Un patient sain peut compter jusqu’à 20 ou plus en une seule inspiration.
Dans la myasthénie, le nombre de mots est souvent réduit (par exemple, le patient s’arrête à 10 ou moins), et la voix devient de plus en plus faible ou s’éteint avant la fin.
Cette évaluation simple, rapide et non invasive est un outil clinique important pour surveiller les patients atteints de myasthénie grave, en particulier ceux ayant des symptômes respiratoires ou bulbaires.
Votre référentiel le précise bien : c’est à pratiquer en hospitalisation seulement, par crainte d’un syndrome vagotonique ou d’une crise cholinergique.
Cela consiste à administrer un équivalent de l’édrophonium (Enlon) par voie intraveineuse lente ou de la néostigmine (Prostigmine) par voie sous-cutanée ou intramusculaire, associée à une injection de 0,25 mg d’atropine pour éviter les effets secondaires intestinaux et une bradycardie.
La disparition des signes neurologiques après quelques minutes est très évocatrice du diagnostic de myasthénie.
Le patient a actuellement des signes de gravité avec les troubles de déglutition (fausses routes). L’énoncé ne témoigne pas de signe de détresse respiratoire, mais la myasthénie peut s’aggraver de façon très rapide, voire brutale. Il est indispensable d’envoyer ce patient aux urgences afin qu’il soit hospitalisé et bénéficie d’une surveillance et d’un traitement de la crise en urgence.
Vous avez donc hospitalisé votre patient en neurologie. Son score myasthénique de Garches est grave (43/100).
Question 4 - Quelle prise en charge proposez-vous en urgence (une ou plusieurs réponses exactes) ?
Échanges plasmatiques également possibles, selon la disponibilité de l’hôpital.
Le patient doit être à jeun per os devant le risque de fausses routes, il sera alimenté par la sonde gastrique et les traitements seront également administrés dessus, notamment la pyridostigmine.
Les anticholinestérasiques sont toujours prescrits en première intention et permettent d’améliorer transitoirement les symptômes musculaires.
C’est le traitement de fond, qui va mettre trois à six mois à agir, donc ce n’est pas le traitement de l’urgence.
La question ne proposait pas les corticoïdes per os, qui permettent d’assurer le relais avec les immunosuppresseurs de fond d’épargne cortisonique. Mais il vaut mieux éviter dans les situations aiguës les corticoïdes, qui peuvent aggraver les symptômes.
Question 5 - Quel professionnel paramédical souhaitez-vous que le patient rencontre dès le lendemain et pourquoi ?
Le patient n’a pas de difficulté motrice de la main, distracteur.
Question qui demande de hiérarchiser les priorités, et de faire preuve de bon sens. Déjà, le travail à l’effort avec le kinésithérapeute n’est pas d’actualité car il ne faut pas fatiguer le patient avec trop d’efforts. La rééducation oculomotrice n’est pas une urgence, mais pourra être utile si le patient ne récupère pas de sa diplopie. De même, si le patient en fait la demande, il pourra rencontrer un psychologue mais rien dans l’énoncé indique qu’il soit en détresse à l’heure actuelle. La priorité est de faire appel à un orthophoniste pour qu’il évalue les troubles de la déglutition, et autorise ou pas une alimentation avec éventuellement une texture adaptée.
Le patient a vu l’orthophoniste dès le lendemain qui préconise une alimentation par sonde naso-gastrique mais autorise des apports per os « plaisir » en texture mixée. Le patient a, dès sa première cure d’immunoglobines intraveineuses, une amélioration nette de son score de Garches à 60/100.
Question 6 - Vous souhaitez avancer dans le diagnostic du patient, quels examens allez-vous demander parmi cette liste (plusieurs réponses exactes) ?
Pas d’indication dans une suspicion de myasthénie.
Avec les anticorps dirigés contre le récepteur de l’acétylcholine (anti-RACh).
Systématique, pour la recherche de thymome associé.
Ce serait intéressant si on suspectait une pathologie neurologique satellite d’un cancer (clinique de ganglionopathie ou d’encéphalite limbique, par exemple) mais c’est rarement le cas dans la myasthénie.
Voici l’ENMG de votre patient :
Figure 1 (Colombe Chedal-Anglay, La Revue du Praticien)
Figure 2 (Colombe Chedal-Anglay, La Revue du Praticien)
Figure 3 (Colombe Chedal-Anglay, La Revue du Praticien)
Question 7 - Quelle(s) réponse(s) est/sont exacte(s) ?
Un ENMG de myasthénie retrouve un décrément (diminution de l’amplitude du potentiel moteur à stimulation répétitive) supérieur à 10 %.
La présence d’un bloc de conduction à 58 % sur le nerf fibulaire profond droit, localisé sous le col est évocatrice d’une compression nerveuse à ce niveau, le col de la fibula étant une zone anatomique où le nerf est superficiel et fragile.
Un bloc de conduction sur le nerf fibulaire profond évoque une compression focale (croisement prolongé des jambes) ou un traumatisme du col de la fibula.
L’ENMG montrerait en distalité en stimulo-détection des signes d’atteinte axonale avec en premier lieu une diminution de l’amplitude des potentiels d’action, ce qui n’est pas le cas ici au nerf plantaire médial et fibulaire profond. Les anomalies constatées en détection (électromyogramme) dans le vaste externe droit et le tibial antérieur gauche peuvent être an rapport avec de discrètes radiculopathies L4-L5-S1 bilatérales.
La forme bulbaire est limitée aux troubles de la déglutition, de la phonation et de la mastication. Ici il y a une faiblesse des membres cliniquement et sur l’ENMG un décrément au nerf axillaire.
Vous avez confirmé le diagnostic de myasthénie auto-immune en présence d’une clinique concordante, d’un ENMG qui retrouve un décrément, et des anticorps anti-RACh fortement positifs.

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