Une patiente de 58 ans consulte aux urgences pour une fièvre (température 38,5 °C) évoluant depuis 3 heures.

Elle est actuellement en cure de chimiothérapie pour un cancer mammaire gauche par FEC 100 réalisée il y a 8 jours associant cyclophosphamide (alkylant), épirubicine (anthracycline) et 5-fluorouracile. Il s’agit de sa troisième cure de chimiothérapie néoadjuvante d’une mastectomie totale associée à un curage ganglionnaire axillaire gauche. Elle a également une nutrition parentérale du fait d’une anorexie majeure.

À l’arrivée, sa température est à 39 °C.
Question 1 - Quel(s) examen(s) paraclinique(s) réalisé(s) en urgence conditionnera(ont) votre prise en charge dans l’heure suivant l’admission ?
Connaître le nombre de polynucléaires neutrophiles (PNN) : neutropénie fébrile = urgence thérapeutique nécessitant de débuter en urgence une antibiothérapie et un isolement protecteur.
Le résultat des hémocultures n’est jamais immédiat, il dépend du temps de pousse bactérienne (quelques heures à plusieurs jours pour certaines bactéries fastidieuses, notamment du groupe HACEK).
Devant une neutropénie fébrile, réaliser de manière systématique :
– hémocultures (périphérie, PICC-line, port-à-cath) ;
– bandelette urinaire et examen cytobactériologique des urines (BU-ECBU) : la leucocyturie peut manquer en cas de neutropénie ;
– radiographie thoracique, voire tomodensitométrie (TDM) thoracique.
L’examen des muqueuses est présenté ci-dessous :
Question 2 - Quelle(s) anomalie(s) de la NFS pourrai(en)t expliquer cette lésion ?
Syndrome anémique, pâleur.
Urticaire éventuellement.
Aphte profond = ulcération muqueuse retrouvée au cours des neutropénies très profondes.
Bulles hémorragiques, purpura, ecchymoses, hématomes.
Leucoplasie chevelue au cours des infections par le virus d’Epstein-Barr (EBV), associée ou non au virus de l’immunodéficience humaine (VIH).
La pression artérielle (PA) de la patiente est à 130/60/mmHg, le pouls à 105 bpm, la saturation en oxygène (SpO2) à 98 % en air ambiant. La température est de 39,5 °C. L’examen clinique est sans particularité par ailleurs, en dehors de la lésion orale présentée.
La NFS réalisée en urgence est donnée ci-dessous :
– hémoglobine (Hb) : 8,4 g/dL ;
– volume globulaire moyen (VGM) : 87 fL ;
– plaquettes : 110 000/mm3 ;
– globules blancs (GB) : 1 560/mm3 ;
– polynucléaires neutrophiles (PNN) : 70/mm3 ;
– lymphocytes : 1 200/mm3 ;
– éosinophiles (Eo) : 140/mm3 ;
– monocytes : 100/mm3.
Question 3 - Vous mettez en place la (les) mesure(s) barrière(s) suivante(s) :
En cas de déplacement, faire porter au patient un masque de type FFP2 (« filtering facepiece particles », masque « canard »), seul masque capable de prévenir le risque de transmission aspergillaire et la pneumocystose.
Pas de données scientifiques probantes, des précautions standard sont suffisantes si elles sont appliquées en plus du masque chirurgical ; elles sont même déconseillées dans les environnements non contrôlés.
Lavage des mains au sérum à l’acide hyaluronique (SHA), usage de gants en cas d’exposition aux liquides biologiques.
Recommandations : Société française d’hygiène hospitalière (SF2H). Quelles mesures pour maîtriser le risque infectieux chez les patients immunodéprimés ? (novembre 2016).
Recommandé en dessous de 500/mm3 : risque infectieux avéré (majeur en dessous de 100/mm3).
Lever l’isolement après deux NFS successives montrant des PNN à plus de 500/mm3.
Vous retenez le diagnostic de neutropénie fébrile, peu symptomatique et sans critère de gravité.
Question 4 - En première intention vous réalisez en systématique l’(les) examen(s) paraclinique(s) suivant(s) :
L’ECBU doit être systématique même en l’absence de leucocyturie (agranulocytose).
Les hémocultures sont à réaliser de manière concomitante sur port-à-cath et en périphérie.
Uniquement réalisée en cas de syndrome méningé.
Radiographie pulmonaire même en l’absence de foyer auscultatoire (avoir la tomodensitométrie (TDM) thoracique « facile »).
Les signes cliniques et paracliniques peuvent être amoindris chez le neutropénique (comme chez l’immunodéprimé largo sensu) même s’ils ont un fort potentiel aggravant. Rester systématique chez ces patients et recourir aux examens tomodensitométriques facilement.
La BU ne retrouve ni leucocyturie ni nitriturie. Il n’y a pas de foyer infectieux évident sur la radiographie pulmonaire. La patiente continue de s’alimenter, sans vomissements.
Question 5 - Vous décidez de débuter le traitement suivant :
(ZAQ) Urgence thérapeutique.
Les urgences infectieuses (et donc une antibiothérapie dans l’heure) sont :
– sepsis/choc septique ;
– fièvre de l’immunodéprimé (asplénique, neutropénique, VIH < 200 CD4/mm3, traitement immunosuppresseur, transplantés…) ;
– fascite et/ou dermohypodermite nécrosante ;
– purpura fulminans/méningite bactérienne.
Prise en charge thérapeutique : évaluer le risque, les signes de gravité et la tolérance digestive.
1. Neutropénie fébrile à faible risque (non profonde, de durée prévisible < 7 jours) ET sans signe de gravité ET sans intolérance digestive (ou score de MASCC inférieur ou égal à 21 = risque faible) --> possible traitement oral par amoxicilline-acide clavulanique et ciprofloxacine.
2. Dans les autres cas : débuter un traitement intraveineux probabiliste par bêtalactamine de large spectre +/- amikacine si critère de gravité +/- vancomycine si point d’appel cutané/cathéter.
 
N.B. : score de MASCC (0-26) :
Un traitement probabiliste oral est débuté par amoxicilline-acide clavulanique et ciprofloxacine. Une hémoculture revient positive à levures (identification en cours).
Question 6 - Vous décidez de débuter un traitement par :
(PMZ)
Une hémoculture positive à levure doit toujours être traitée, même isolée.
(ZAQ)
Urgence diagnostique et thérapeutique absolue : 40 % de mortalité avec traitement.
Dans l’attente de l’identification : échinocandine en première intention (résistance naturelle de Candida glabrata et Candida glabrata krusei aux azolés).
Un traitement probabiliste par échinocandine par voie intraveineuse est débuté. Les hémocultures réalisées sur le port-à-cath et en périphérie (2/2) sont positives à Candida albicans.
Question 7 - Vous réalisez en systématique l’(les) examen(s) complémentaire(s) suivant(s) :
Recherche d’endocardite.
Recherche de choriorétinite.
Le premier jour de négativité des hémocultures est considéré comme le premier jour de traitement.
Il est impératif de rechercher une endocardite (indication chirurgicale) et une choriorétinite : cela conditionne la prise en charge thérapeutique.
IRM cérébrale : seulement en cas d’endocardite avérée ou de signes focaux.
Traitement antifongique adapté secondairement à l’identification microbienne (ici relais par fluconazole), à poursuivre 14 jours après négativation des hémocultures en l’absence de localisations secondaires septiques.
Dans le cadre de cette infection de port-à-cath, il faudra également :
– réaliser un écho-Doppler sur la chambre implantable à la recherche d’une thrombophlébite septique ; 
– retirer la chambre implantable.
La conservation du port-à-cath est possible sur les infections de port-à-cath à staphylocoques à coagulase déficients et entérocoques, discutée au cas par cas pour les entérobactéries (sauvetage du port-à-cath) uniquement en l’absence de complications (endocardite/ostéite/emboles septiques/abcès/thrombophlébite/évolution favorable sous antibiothérapie systémique) : verrou antibiotique et antibiothérapie systémique.

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