Vous hospitalisez dans le service où vous exercez Mme B., 32 ans, pour ascite. Cette patiente est d’origine guinéenne et ne vous déclare aucun antécédent hormis quelques accès palustres au pays. Elle ne travaille pas et est en situation irrégulière comme son mari et son fils de 6 ans avec qui elle vit. Elle présente depuis trois mois environ une altération de l’état général, et plus récemment des douleurs abdominales, une augmentation du périmètre abdominal et une prise de poids. Elle n’a aucune autre plainte.

Votre examen clinique retrouve : Température : 38,2°C, Pression artérielle : 123/65 mmHg, Fréquence cardiaque : 100 batt/min, SpO2 : 99% en air ambiant. L’abdomen est sensible dans son ensemble avec une matité déclive mais sans défense. Le reste de l’examen est normal, en particulier il n’y a pas de signe d’hypertension portale ou d’insuffisance hépatocellulaire.

L’hémogramme de la patiente retrouve:

Leucocytes : 12 000/mm3 dont polynucléaires neutrophiles : 9000/mm3, polynucléaires éosinophiles : 900/mm3, polynucléaires basophiles : 0/mm3, lymphocytes : 1600/mm3, monocytes : 500/mm3, hémoglobine : 10,2 g/dl, VGM : 85fl, plaquettes : 570 000/mm3.
Question 1 : Parmi les propositions suivantes, laquelle (lesquelles) est (sont) éliminée(s) par l’absence de signes d’insuffisance hépatocellulaire et d’hypertension portale ?
L’absence de ces éléments élimine une cirrhose avancée. Toutefois, un carcinome hépatocellulaire peut survenir en l’absence de cirrhose sous-jacente (notamment en cas d’hépatite chronique, par exemple virale), ainsi qu’une thrombose porte (il existe alors un autre facteur favorisant) ou une infection de liquide d’ascite (notamment tuberculeuse…).
Question 2 : Les anomalies de l’hémogramme de la patiente peuvent faire évoquer plusieurs étiologies, lesquelles ?
Les patients d’origine africaine présentent parfois une neutropénie modérée et sans conséquences cliniques. Ici, l’association d’une anémie normocytaire à une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles et à une thrombocytose est en faveur d’un syndrome inflammatoire persistant, mais un syndrome myeloprolifératif peut aussi être évoqué bien que moins probable dans ce contexte.
Vous réalisez une échographie abdominale et retrouvez l’image suivante

 

Question 3 : Sur la coupe échographique, à quoi correspond la distance mesurée en A ?
Il s’agit d’une échographie en mode classique, ou l’image mesurée a une tonalité liquidienne (apparait en noir avec structures sous-jacentes bien visibles, à la différence de l’air qui empêche la visualisation des structures plus profondes). A gauche de la flèche, des anses digestives sont visibles.
L’échographie abdominopelvienne ne montre aucune anomalie en dehors de l’ascite, en particulier le foie est normal. Vous réalisez une ponction de liquide d’ascite.
Question 4 : Quelle(s) analyse(s) demandez-vous sur le liquide d’ascite ?
Le glucose et les LDH ont peu d’intérêt diagnostic sur une ascite, en revanche la concentration de protides aide à distinguer différentes étiologies. Une culture de mycobactérie est indispensable dans ce contexte même si elle est peu souvent rentable, en revanche le phénotypage lymphocytaire n’est pas réalisé en première intention en l’absence de suspicion forte de lymphome (il faudra bien sûr réaliser une analyse anatomopathologique !).
Cette ponction montre une concentration de protides à 35 g/L et la présence de 700 éléments nucléés/mm3 (70% de lymphocytes).
Question 5 : Pour établir le diagnostic étiologique de l’ascite, quel(s) examen(s) vous semble-t-il pertinent de demander ?
Ici, le tableau est celui d’une ascite exsudative et non d’une cirrhose, qui peut être éliminée par la normalité du foie, l’absence de signes d’insuffisance hépatocellulaire/hypertension portale, et le taux de protides élevés dans l’ascite. Les causes principales sont la tuberculose et la carcinose péritonéale. Le CA125 peut être faussement élevé dans de nombreuses causes d’ascite, y compris sans néoplasie sous-jacente.
L’examen direct de la ponction de liquide d’ascite en coloration de Gram et de Ziehl est négatif. Les tests hépatiques et l’ionogramme sanguin sont normaux. Le test de relargage de l’interféron gamma est positif.
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Question 6 : Les anomalies constatées sur cette figure vous permettent d’évoquer plusieurs diagnostics, lesquels ?
L’électrophorèse des protides montre une hypergammaglobulinémie polyclonale ainsi qu’une discrète augmentation des alpha et beta globulines. Un syndrome inflammatoire prolongé (et non aigu) pourrait entrainer ces anomalies, ainsi que beaucoup d’infections chroniques, certains lymphomes et certaines maladies auto-immunes.
Question 7 : A ce stade, quel diagnostic permettant d’expliquer l’ensemble du tableau vous semble le plus probable ?
Comme évoqué plus haut, les principaux diagnostics différentiels à évoquer sont la tuberculose et la carcinose péritonéale. La patiente étant jeune, migrante, avec un syndrome inflammatoire chronique et un test de relargage de l’interféron gamma positif, le diagnostic de tuberculose parait ici plus probable, ce d’autant que l’échographie ne retrouvait pas d’arguments pour une carcinose ou une maladie métastatique. La présence de BAAR à l’examen direct d’une ascite (ou d’une pleurésie) tuberculeuse est exceptionnelle. Une imagerie complémentaire abdominopelvienne et/ou l’efficacité du traitement d’épreuve permettront de confirmer le diagnostic
Vous décidez de débuter un traitement antituberculeux.
Question 8 : Dès lors vous prescrivez :
Seules les tuberculoses multirésistantes ou neuroméningées nécessitent des durées de traitement plus longues que 6 mois. La corticothérapie est indiquée en cas d’atteinte neuroméningées ou péricardique. Une quadrithérapie standard est recommandée dans ce cas.
Vous revoyez la patiente en consultation 15 jours plus tard alors que celle-ci est rentrée à domicile. Elle vous explique qu’elle ne se sent pas mieux, et les douleurs abdominales persistent. Un appel au laboratoire de bactériologie vous informe que les cultures de mycobactérie sur l’ascite n’ont pas poussé.
Question 9 : Pour mieux comprendre l’absence d’amélioration malgré le traitement mis en place, quel(s) examen(s) demandez-vous ? 
Plusieurs explications peuvent rendre compte de l’absence d’amélioration. Il peut s’agir d’une mauvaise prise ou d’une erreur d’observance (qui pourraient être confirmées par l’absence de coloration orangée des urines, l’absence d’augmentation de l’uricémie ou un dosage insuffisant d’antibiotique sanguin), ou d’une résistance aux antibiotiques utilisés. Le diagnostic doit aussi être remis en question (carcinose péritonéale ?).La positivité de la culture est inconstante et peut prendre plusieurs semaines
Finalement, la patiente vous avoue qu’elle n’a pas pris le traitement car elle pensait ne pas pouvoir le payer.
Question 10 : A ce propos, il est exact que :
La prise en charge en ALD et la déclaration obligatoire peuvent être effectuées dès lors qu’un traitement a été mis en place. Du fait de la situation irrégulière de la patiente, celle-ci a donc droit à l’Aide Médicale d’Etat (AME).
Le centre de lutte antituberculeux (CLAT) a contacté les deux sujets contacts en vue d’un dépistage : le mari de la patiente (non vacciné par le BCG), et son fils (vacciné à la naissance par le BCG).
Question 11 : Concernant le mari de la patiente, vous recommandez :
L’enfant ne sera traité qu’en présence d’une tuberculose latente, ce qui nécessite un bilan minimal. De plus, le traitement est différent de celui d’une tuberculose maladie.
Les deux sujets contact n’ont aucun symptôme, et les radiographies thoraciques sont normales. L’induration de l’IDR à la tuberculine de l’enfant est mesurée à 11mm, et celle de l’adulte à 4mm.
Question 12 : Que recommanderiez-vous concernant le mari de la patiente ?
Une induration 5mm est normale en l’absence de vaccination par le BCG
Question 13 : Que recommanderiez-vous concernant le fils de la patiente ?
Une induration 15mm est attendue pour cet enfant vacciné par le BCG depuis moins de 10 ans et il ne s’agit donc pas d’une tuberculose latente
Un mois plus tard, alors que la patiente s’améliore cliniquement, vous réalisez une prise de sang de suivi qui retrouve :
ASAT et ALAT à 2N, PAL, ɣGT et bilirubine totale normales. Vous demandez une sérologie hépatite B retrouvant des anticorps anti-HBs et anti-HBc positifs, et un antigène HBs négatif.
Question 14 : Quelle conduite à tenir proposez-vous ?
Le profil sérologique est celui d’une hépatite B ancienne et considérée comme guérie, ne pouvant être responsable de la cytolyse actuelle, plutôt à imputer au traitement antituberculeux. Une surveillance plus rapprochée des tests hépatiques est nécessaire sans modification du traitement si la cytolyse reste 5N.
La patiente souhaite débuter une contraception orale.
Question 15 : Quelle(s) est (sont) la (les) proposition(s) exacte(s) ?
La Rifabutine est par exemple employée en cas d’utilisation de traitement antirétroviral au cours de l’infection par le VIH pour éviter les interactions notamment avec les inhibiteurs de protéases. Au cours de la grossesse, une supplémentation en vitamine B6 et en vitamine K (dernières semaines) est nécessaire.
Référence : Enquête autour d’un cas de tuberculose : recommandations pratiques du Haut Conseil de la Santé Publique (octobre 2013)

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