En avril 2024, vous recevez en consultation Monsieur C., 40 ans, pour douleurs.

Il est né en France de deux parents non apparentés d’origine sénégalaise. Il n’a pas d’antécédent personnel ou familial. Il travaille comme commercial. Il fume occasionnellement la chicha, pas de tabac, d’alcool ou d’autres toxiques. Son dernier voyage remonte à 2008 au Sénégal. Pas d’animaux. Il ne prend actuellement aucun traitement. Personne dans son entourage n’a eu de symptômes particuliers.

Il se plaint d’une douleur insidieuse des chevilles depuis environ trois ou quatre semaines, avec chaleur locale et impotence fonctionnelle. Il a mesuré sa température à domicile avec quelques épisodes à 38-38,2 °C.

Cliniquement la température est à 37,9 °C, vous constatez en effet un gonflement et une chaleur locale des deux chevilles.
Question 1 - Quel(s) élément(s) recherchez-vous en priorité à l’examen clinique ?
En faveur d’un érythème noueux, orienterait vers la sarcoïdose.
Il est impératif de chercher des arguments pour une endocardite infectieuse.
Orienterait vers une vascularite pouvant être primitive ou satellite d’une infection type endocardite.
Le thymus est intrathoracique et non palpable à l’examen clinique.
À l’issue des premières données d’interrogatoire et d’examen clinique il faut établir un diagnostic syndromique afin de pouvoir formuler des hypothèses diagnostiques et avancer dans le raisonnement : ici nous avons un tableau d’oligo-arthrite.
La topographie de bi-arthrite de cheville est évocatrice de sarcoïdose mais ne dispense pas de chercher des diagnostics différentiels.
Étiologies infectieuses : tuberculose, endocardite, polyarthrite virale, polyarthrite réactionnelle, maladie de Lyme, syphilis…
Rhumatismes inflammatoires chroniques (sarcoïdose en cas d’arthrite de cheville, vascularites, polyarthrite rhumatoïde, psoriasis, antigène HLA-B27, connectivites, maladies auto-inflammatoires…).
Rhumatismes microcristallins (goutte, chrondrocalcinose) à évoquer selon le terrain, mais ici la topographie n’est pas typique.
Manifestations paranéoplasiques : moins probable ici, vu le terrain.
Question 2 - Quel(s) examen(s) prescrivez-vous ?
Bon examen de débrouillage, indiqué en première intention en cas d’oligo-arthrite.
Recherche adénomégalies médiastino-hilaires et/ou anomalies parenchymateuses en faveur d’une sarcoïdose.
Permet également de dépister une caverne tuberculeuse.
Autre examen très utile pour débrouiller une situation. Il permet de montrer l’ancienneté et la sévérité d’un éventuel syndrome inflammatoire, de démasquer un déficit immunitaire humoral (souvent associés à des manifestations dysimmunitaires), un pic monoclonal, ou au contraire une élévation polyclonale des gammaglobulines.
Il n’y a pas de notion de souffle, pour l’instant pas d’indication à effectuer une ETT.
Dépistage de la présence d’antinucléaires sur cellules Hep-2, indiqué en première intention en cas d’oligo- ou polyarthrite.
Il n’y a pas d’anomalie auscultatoire, ni à l’examen cutané. Vous revoyez le patient une semaine plus tard avec une biologie qui est la suivante : hémoglobine (Hb) = 11,6 g/dL ; volume globulaire moyen (VGM) = 69 fL ; leucocytes = 6,8 G/L dont polynucléaires neutrophiles (PNN) = 3,8 G/L, éosinophiles = 0,27 G/L ; basophiles = 0,03 G/L ; monocytes = 0,26 G/L ; lymphocytes = 1,9 G/L.
Bilan hépatique normal. Hémostase normale.
Ionogramme normal ; créatinine = 82 µmol/L ; urée = 6 mmol/L ; protéine C réactive (CRP) = 41,5 mg/L ; calcémie corrigée = 2,43 mmol/L ; albumine = 31 g/L.
Sérologie des virus de l’immunodéficience humaine (VIH), de l’hépatite B (VHB), de l’hépatite C (VHC) négatives ; sérologies du virus d’Epstein-Barr (EBV), du cytomégalovirus (CMV) en faveur d’infections anciennes.
Électrophorèse des protides : hypergammaglobulinémie polyclonale = 25 g/L, profil en faveur d’un syndrome inflammatoire chronique.
Immunofixation : pas d’immunoglobuline monoclonale.
Hémocultures standard négatives en cinq jours (aérobie + anaérobie).
Il a fait un scanner thoracique qui est le suivant.
Figure 1 (Jeanne De la Rochefoucauld, La Revue du Praticien)
Question 3 - Que constatez-vous sur cette coupe de scanner (une ou plusieurs réponses exactes) ?
Cette coupe est en fenêtre médiastinale et ne permet pas d’évaluer le parenchyme.
Adénopathie hilaire droite hypodense en faveur d’un processus nécrotique.
L’anomalie n’est pas située dans l’artère pulmonaire.
La paroi de l’aorte n’est pas épaissie.
Anomalie notée sur la figure 2 (avec une flèche), à visée d’information.
Figure 2 (Jeanne De la Rochefoucauld, La Revue du Praticien)

Légende : 1 : aorte descendante ; 2 : oreillette droite ; 3 : naissance de l’aorte ascendante ; 4 : ventricule gauche ; 5 : bronche souche gauche ; 6 : ganglion hilaire ; flèche rouge : ganglion nécrotique (centre hypodense).
Le compte-rendu du scanner mentionne des ganglions médiastino-hilaires nécrotiques, les coupes parenchymateuses du scanner révèlent un infiltrat micronodulaire péri-hilaire bilatéral prédominant dans les territoires supérieurs.
Question 4 - Quelle(s) est/sont votre/vos principale(s) hypothèse(s) diagnostique(s) ?
Oui, sachant qu’une réaction granulomateuse peut accompagner un grand nombre de pathologies parmi lesquelles la tuberculose.
Le caractère nécrotique des ganglions et l’absence de signe cutané excluent ce syndrome.
Le patient n’a ni le terrain ni la présentation.
La sarcoïdose et la tuberculose font partie toutes les deux des granulomatoses. Ces dernières peuvent être primitives (c’est le cas de la sarcoïdose) ou secondaires (à une infection, ou à une néoplasie, ou à un corps étranger), localisées ou systémiques.
Le caractère nécrotique des ganglions médiastino-hilaires empêche de s’orienter d’emblée vers le diagnostic de sarcoïdose et doit faire rechercher une tuberculose ou un lymphome.
Il existe de rares cas de sarcoïdose avec ganglions nécrotiques (nous verrons d’ailleurs que c’était le cas pour ce patient) mais cette présentation est très atypique et il faut s’acharner à éliminer les diagnostics différentiels.
Le patient est hospitalisé en médecine interne pour explorations diagnostiques. Il n’y a pas de ganglion palpable cliniquement. À l’arrivée dans le service, le patient a perdu 6 kg et rapporte des sueurs nocturnes. Un complément par scanner abdomino-pelvien ne révèle pas d’anomalie supplémentaire.
Les BK crachats effectués trois matins de suite sont négatifs à l’examen direct.
Question 5 - Par quel(s) examen(s) complétez-vous le bilan ?
Pour voir s’il existe une alvéolite et en obtenir la formule, pour augmenter la rentabilité en cas de tuberculose pulmonaire, pour étendre les recherches bactériennes. On peut également effectuer un phénotypage lymphocytaire sur le LBA pour voir s’il y a un déséquilibre du rapport CD4/CD8.
Pas pour des micronodules.
Les deux hypothèses à éliminer en premier sont la tuberculose et le lymphome. Le diagnostic reposera à la fois sur une histologie et sur les cultures mycobactériennes.
Le patient bénéficie d’une biopsie ganglionnaire transbronchique qui met en évidence des granulomes sans nécrose caséeuse, sans cellule suspecte de malignité.
LBA : alvéolite lymphocytaire, une augmentation du ratio CD4/CD8, pas de bacille acido-alcoolo-résistant à la coloration de Ziehl et Gomori-Grocott, culture de mycobactéries négative à huit semaines.
Le suivi ultérieur est marqué par une amélioration spontanée des symptômes avec disparition de la fièvre et des sueurs, reprise de poids, décroissance de la CRP. La relecture du scanner en staff de radiologie thoracique confirme que l’atteinte est compatible avec une sarcoïdose. Les explorations fonctionnelles respiratoires (EFR) sont normales. Il est donc décidé de ne pas instaurer de traitement particulier.
Vous revoyez le patient six mois plus tard en consultation de suivi. Sa pression artérielle est normale. Il se plaint d’une légère dyspnée aux efforts importants (il est sportif), la créatinine est à 125 µmol/L avec sédiment urinaire montrant une protéinurie de profil tubulaire à 0,8 g/24 h, leucocyturie+, pas d’hématurie.
Échographie rénale montrant des reins de taille normale sans dilatation des cavités pyélocalicielles, bonne différenciation cortico-médullaire.
L’HbA1c est négative ainsi que les sérologies virales et le bilan auto-immun. Les anomalies persistent après quinze jours de réhydratation per os. Pas d’anomalie des fractions C3 et C4 du complément. Albuminémie normale.
Question 6 - Quelle est votre attitude (une ou plusieurs réponses possibles) ?
Indiquée en cas de suspicion d’amylose.
Indiquée en cas de suspicion d’amylose ou sarcoïdose mais diagnostic déjà posé ici.
Pas besoin de faire par voie trans-jugulaire car absence de trouble de l’hémostase ou de traitement anticoagulant/antiagrégant.
Indiquée en cas de suspicion d’amylose.
Atteinte rénale manifestement tubulaire, dans un contexte de sarcoïdose connue, une atteinte rénale de la sarcoïdose est possible et doit être documentée par biopsie rénale pour ensuite poser ou non l’indication d’un traitement spécifique.
Pas d’argument clinique ou anamnestique pour une amylose, il n’y a donc pas d’indication à faire de biopsie des glandes salivaires ou de graisse abdominale.
La biopsie rénale montre une néphrite tubulo-interstitielle avec des granulomes épithélio-giganto-cellulaires sans nécrose caséeuse.
Question 7 - Que déduisez-vous de ce résultat (une ou plusieurs réponses possibles) ?
L’atteinte rénale tubulo-interstitielle est rare mais classique.
L’évolution se fait rarement vers une insuffisance rénale terminale, néanmoins il s’agit d’une atteinte d’organe significative qui nécessite un traitement, en première intention par corticothérapie générale.

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