Une femme de 71 ans consulte avec sa fille pour plainte mnésique évoluant depuis un an.

On vous rapporte des oublis de plus en plus fréquents, une anorexie, une perte de poids ainsi qu’une tendance à l’insomnie. La malade fait de moins en moins d’activité, elle ne sort plus, ne voit plus personne. Elle passe ses journées dans son lit ou dans son canapé à regarder la télé ou à lire le même magazine depuis quatre mois. La patiente est veuve depuis un an.

Ses antécédents sont marqués par une HTA traitée par amlodipine et ramipril, un diabète de type 2 évoluant depuis vingt ans traité par metformine et gliclazide, une ostéoporose traitée par zolédronate et Cacit D3 et une polyarthrose traitée par du paracétamol, de l’Aspegic en prévention cardiovasculaire primaire et de l’oméprazole. Elle vous rapporte par ailleurs plusieurs épisodes de chute depuis trois mois. Elle vous donne également un bilan biologique d’il y a six mois qui retrouvait un DFG à 70 mL/min, et une microalbuminurie à 44 mg/24 heures. Votre examen clinique retrouve un poids à 66 kg pour une taille à 1,67 m, une TA à 110/65 mmHg, FC à 64 batt/min. Le reste de l’examen clinique est normal.
Question 1 : Quels diagnostics neurologique ou psychiatrique évoquez-vous ?
- Plainte mnésique sans « démence » objectivée, il n’y a pas l’altération de la qualité de vie, on peut évoquer un MCI (trouble neurocognitif léger)
- Symptomatologie dépressive manifeste, il faut évoquer et prendre en charge un épisode dépressif caractérisé, qui peut mimer ou majorer un épisode dépressif
Question 2: Comment se définit un trouble neurocognitif mineur ?
Dans le DSM-5, on ne parle plus de démences et apparentés (dans le DSM-IV TR) mais de troubles neurocognitifs majeur et mineurs. On rajoute l’étiologie quand elle est connue par exemple : « trouble neurocognitif majeur dû à la maladie d’Alzheimer ou trouble neurocognitif léger dû à l’infection par le VIH ». Cette classification est plus...
- En résumé, les différences entre un trouble neurocognitif majeur (ex-démence) et un trouble neurocognitif mineur sont :
le trouble neurocognitif léger ne touche qu’un seul domaine cognitif (le plus souvent la mémoire)
il n’y a pas de trouble de l’autonomie

 

 
Après évaluation, vous concluez sur une probable dépression.
Question 3 : Quelle est votre démarche ?
- Les troubles neurosensoriels sont source d’isolement et donc à risque d’engendrer ou aggraver une dépression
- De 3 à 5 % dans la population gériatrique générale et jusqu’à 50 % chez les sujets âgés en institution
- L’échelle de Norton est utilisée dans les escarres
- La dépression est une cause classique de trouble mnésique, particulièrement chez le sujet âgé. Elle peut mimer un véritable pseudo-démentiel. Il faut y penser de manière systématique. Un traitement d’épreuve est souvent réalisé
Question 4 : Quel est votre traitement ?
Moyen mnémotechnique pour ne rien oublier en psychiatrie : « BIO/PSYCHO/SOCIAL »
- ISRS toujours en première intention dans la dépression même chez le sujet âgé. Les tricycliques sont prescrits en deuxième intention
- Les benzodiazépines ne sont pas recommandées dans la prise en charge des syndromes dépressifs, de plus dans le contexte gériatrique, cette famille de médicament est source de nombreuses complications (chutes, confusion, etc.)
Vous revoyez la patiente à trois mois et demi.
Question 5 : Que devez-vous faire ?
- Spécificité du sujet âgé : pensez à l’ionogramme sanguin, à la recherche d’une hyponatrémie
- Le temps nécessaire pour apprécier l’efficacité d’un ISRS est de 6-8 semaines
- La sismothérapie n’est pas contre-indiquée chez le sujet âgé
- Dans l’hypothèse où le traitement a été commencé à une posologie réduite, il faut s’assurer que le patient ou le médecin a bien pensé à monter la posologie pour arriver à une dose optimale
Vous vous intéressez à l’ordonnance de la patiente.
Question 6 : Quel(s) médicament(s) vous arrêtez ? (quel est votre nettoyage d’ordonnance ?)
- Pas d’indication à un IPP ici, donc arrêt. Les IPP sont une des classes pharmacologiques les plus mal prescrites : 
Forgacs I, Loganayagam A. Overprescribing proton pump inhibitors. BMJ 2008;336:2-3.
- Comme tout médicament, ils ne sont pas dénués de risques : augmentation de l’atrophie gastrique et association avec le cancer de l’estomac.
Poulsen AH, Christensen S, McLaughlin JK, Thomsen RW, Sorensen HT, Olsen JH, Friis S. Proton pump inhibitors and risk of gastric cancer: a population-based cohort study. Br J Cancer 2009;100:1503-7.

 

- Association à une augmentation du risque cardiovasculaire :  Zhu W, Hong K. Potential Cardiovascular Risks of Proton Pump Inhibitors in the General Population. Int Heart J 2017;58:163-6. doi:10.1536/ihj.16-208
- Arrêt d’un des anti-HTA, on préférera arrêter un inhibiteur calcique plutôt que l’IEC (ramipril) qui est particulièrement intéressant chez cette patiente du fait de l’HTA et à visée de néphroprotection (néphropathie diabétique très probable)
- L’aspirine se discute en prévention primaire mais si risque de chute, étant donné le faible niveau de preuve, on préférera l’arrêter.
Question 7 : Quelle est/sont votre modification du traitement antidiabétique dans ce contexte ?
- Sulfamides hypoglycémiants et sujet âgé chuteur est une association à éviter. En effet, le principal effet secondaire de cette classe thérapeutique est la survenue de malaise hypoglycémique (et donc de chute potentielle)
- La réduction de moitié de la posologie de metformine est indiquée pour un DFG entre 30 et 60 mL/min
- Pas d’indication à un arrêt de la metformine ici
- Le répaglinide (NOVONORM®) est une bonne option chez les malades insuffisants rénaux et les sujets âgés (de par la dégradation de la fonction rénale physiologique et par le moindre risque d’hypoglycémie que les sulfamides classiques)
- Le switch pour un IDPP4 est légitime ici, même si l’efficacité de ses médicaments est moindre sur l’HbA1c, ils donnent moins d’hypoglycémie
Question 8 : Quelle(s) situation(s) à risque de chute grave identifiez-vous chez cette patiente ?
Trois situations à risque de chute grave (recommandation HAS sur les chutes du sujet âgé) :
- Ostéoporose avérée car risque de fracture important
- Prise de traitement anticoagulant car risque de saignement
- Isolement social et familial car risque de ne pas être retrouvé et donc de station prolongée au sol (rhabdomyolyse, dénutrition, etc.)
Question 9 : Quel(s) sont les examens complémentaires en rapport avec les chutes répétées réalisez-vous pour évaluer la patiente ?
- Il existe des recommandations pour l’évaluation des patients chuteurs, émise par la HAS. Il ne s’agit pas de prescrire tous azimuts mais de cibler les prescriptions qui auront un impact sur la prise en charge du patient
- L’imagerie cérébrale n’est pas recommandée ici, sauf point d’appel clinique
Question 10 : Comment évaluez-vous le risque de récidive de chute de la patiente ?
- Les deux tests cités dans les recommandations de la HAS sont le timed up and go test et le test de station unipodale
- Le test de Tinetti et le Walking talking test sont faits régulièrement en gériatrie, dont il faut connaître l’existence. Le Walking and talking test se déroule en faisant marcher le patient et en lui tenant une discussion, si le patient n’arrive pas à suivre la discussion, c’est qu’il a besoin de réfléchir pour marcher, ce qui est un facteur de risque majeur de chute. Cela arrive souvent quand les patients ont déjà fait une chute et devant la peur de retomber se focalisent sur leur marche.
- Échelle de Hamilton et mini-GDS sont des scores qui évaluent la dépression
Vous évaluez la marche et vous retrouvez un refus de mobilisation, une tendance à la rétropulsion avec flexion des genoux lors du lever du fauteuil.
Question 11 : Quel diagnostic évoquez-vous ?
- Le syndrome post-chute (ou syndrome de désadaptation psychomotrice) survient après une ou plusieurs chutes de la personne âgée. Il est une véritable sidération des automatismes entraînant la perte plus ou moins complète des réactions d’adaptation.
- Il se caractérise (illustration par la photo ci-dessous):
un trouble postural en position assise ou debout, la rétropulsion, rendant souvent la station debout impossible sans aide humaine ;
la marche avec aide humaine met en évidence : petits pas glissés, en appui talonnier sans déroulement du pas au sol avec possible élargissement du polygone de sustentation. Il existe un retard de l'initiation de la marche ou freezing ;
par des troubles neurologiques avec hypertonie oppositionnelle, altération des réactions d’adaptation posturale et des réactions parachutes ;
par une composante anxieuse majeure déclenchée en position debout (« phobie de la marche », voire « phobie de la verticalisation »).
Ces signes ne sont pas expliqués par des lésions traumatiques ou neurologiques de la chute. Ce syndrome a un mauvais pronostic, avec un risque évolutif important vers la perte fonctionnelle de la marche et une perte d'indépendance pour les gestes de la vie quotidienne. Il représente une urgence gériatrique et impose une hospitalisation avec la mise en œuvre rapide d’une prise en charge pluridisciplinaire incluant notamment une rééducation fonctionnelle et une psychothérapie
Votre évaluation gériatrique est terminée et vous décidez, en accord avec la patiente et sa famille, de mettre en place une curatelle.
Question 12 : A propos de la curatelle : quelle est la démarche et que pouvez-vous en dire ?
- La famille demande au MT de faire une demande de mise sous tutelle
- Le MT rédige un CMI avec la mesure qui lui paraît appropriée
- La famille contacte le tribunal qui lui envoie un dossier à remplir et la liste des médecins experts
- Le médecin expert rédige un CMI et la mesure qui lui paraît appropriée 
- Le juge envoie des demandes aux membres de la famille et amis qui peuvent témoigner de l’état du patient
- Le juge rencontre la personne à protéger
- Avec tous ces éléments, le juge prend une décision et rend le jugement final
Vous revoyez la patiente douze mois plus tard.
Les mesures de protection et les aides à domicile sont bien en place. Votre examen clinique retrouve une fièvre à 39,1 °C, des signes fonctionnels urinaires depuis quatre jours, pour lesquels elle n’a pas consulté.
La bandelette urinaire retrouve : leucocyturie +++, sang +/-, nitrite -, protéine +. Elle se plaint d’avoir une activité́ physique minimale, et « une faiblesse physique ». Elle pèse aujourd’hui 62 kg.
Question 13 : Devant les résultats de la bandelette urinaire et l’étiologie bactérienne, quel germe évoquez-vous ?
Le germe le plus fréquemment en cause dans les infections urinaires sans nitrites est Staphylococcus saprophyticus (jusqu’à 10 % dans les cystites simples)
Nous sommes dans le cas d’une infection urinaire à risque de complication.
Question 14 : Quel(s) critère(s) vous permet de porter ce diagnostic ? 
- Ici, nous retrouvons l’élément : âge > 65 ans + 3 critères de Fried (perte de poids involontaire, activité́ physique réduite et faiblesse musculaire) permettant de parler d'infection urinaire à risque de complication.
- C’est la classification utilisée dans les nouvelles recommandations de la SPILF (cf. tableau)
Question 15 : À propos des critères de Fried
Les critères de Fried permettent d’établir le diagnostic de fragilité (présence de 3 critères sur 5)
- Les critères de la fragilité des sujets âgés selon Fried sont :
1. perte de poids involontaire > 4,5 kg en un an

2. force de préhension inférieure au 20e percentile pour le sexe et l’IMC
3. sentiment de fatigue et d’épuisement
4. vitesse de marche sur 4,5 m inférieure au 20e percentile pour le sexe et la taille
5. sédentarité

- La fragilité décrit la notion d’un équilibre précaire qui peut rapidement évoluer vers un pronostic défavorable, c’est-à-dire dans le contexte de la gériatrie une décompensation fonctionnelle aiguë, une perte d’autonomie ou une entrée en institution
- L’élément central de la fragilité est la perte de muscle (sarcopénie)

 

 

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