Monsieur G., âgé de 37 ans, consulte aux urgences pour dyspnée et prise de poids. Il décrit l’apparition progressive sur plusieurs semaines d’un gonflement de ses jambes, puis de son ventre et du visage, suivie de l’apparition d’une dyspnée au moindre effort depuis quelques jours. Il n’a pas d’antécédent particulier en dehors d’une allergie à la pénicilline pour laquelle il a fait un œdème de Quincke dans l’enfance et d’une crise de colique néphrétique il y a deux ans.

Paramètres vitaux : fréquence cardiaque (FC) à 89 bpm ; saturation pulsée en oxygène (SpO2) à 94 % en air ambiant ; température (T°) = 36,4 °C ; pression artérielle (PA) à 111/76 mmHg ; fréquence respiratoire (FR) à 19 cycles par minute.

À l’examen clinique, vous mettez en évidence des œdèmes des lombes et des membres inférieurs prenant le godet. Il existe un abdomen tendu avec une matité à la percussion sans organe palpé. À l’auscultation pulmonaire, murmure vésiculaire aboli aux bases de manière symétrique sans bruit surajouté. À l’auscultation cardiaque, bruits du cœur réguliers sans souffle perçu, mais présence d’un frottement péricardique. Pas de turgescence jugulaire (TJ) ni de reflux hépato-jugulaire (RHJ). Le poids est de 105 kg contre 78 kg il y a six mois.
Question 1 - Devant ce tableau clinique, vous vous orientez (une ou plusieurs réponses exactes) :
On observe des œdèmes généralisés avec épanchement des séreuses (ascite, épanchement pleural et péricardique).
Un tableau d’anasarque doit faire éliminer une cirrhose décompensée (insuffisance hépatocellulaire avec hypertension portale) mais ici le frottement péricardique et l’œdème du visage ne sont pas en faveur de cette hypothèse en priorité.
Il s’agit d’un tableau d’anasarque avec vraisemblablement la présence d’un épanchement généralisé des séreuses et œdème des membres inférieurs (OMI). L’œdème du visage (souvent présent en décubitus donc au réveil) est en faveur d’un syndrome néphrotique.
Un tableau d’anasarque doit faire éliminer une insuffisance cardiaque globale mais ici l’absence de TJ/RHJ et l’œdème du visage ne sont pas en faveur de cette hypothèse en priorité.
Pas d’ascite, d’OMI, ou d’épanchement des séreuses (sauf si néoplasie invasive) dans un syndrome cave supérieur.
Vous cherchez à éliminer les causes principales de ce tableau d’anasarque. À l’examen clinique, il n’y a pas de signe d’hypertension portale en dehors de l’ascite ni d’insuffisance hépatocellulaire. Vous réalisez un électrocardiogramme (ECG) qui est sinusal et régulier (78 bpm), pas de trouble de la conduction ni de trouble de la repolarisation. Pas d’hématurie macroscopique.
Vous réalisez un bilan biologique sanguin : natrémie = 140 mmol/L ; kaliémie = 4,8 mmol/L ; créatininémie = 92 µmol/L (débit de filtration glomérulaire [DFG] estimé selon CKD-EPI à 91 mL/min/1,73 m²) ; urée = 10 mmol/L ; peptide natriurétique de type B (BNP) = 12 ng/L (N < 24 ng/L) ; albumine = 17 g/L ; bilirubinémie totale = 6 µmol/L (N < 21 µmol/L) ; aspartate aminotransférase (ASAT) = 31 UI/L (N < 40 UI/L) ; alanine aminotransférase (ALAT) = 25 UI/L (N < 40 UI/L) ; gamma-glutamyl transférase (GGT) = 64 UI/L (N < 60 UI/L) ; phosphatase alcaline (PAL) = 100 U/L (N < 129 UI/L).
Le bilan urinaire est en cours. Vous réalisez dans l’intervalle une bandelette urinaire : protéinurie à 4 croix, leucocytes négatifs, nitrates négatifs, sang à 1 croix.
Question 2 - Concernant ces résultats, quelle(s) est/sont le(s) affirmation(s) exacte(s) ?
L’albumine est une protéine fabriquée par le foie donc en cas d’insuffisance hépatocellulaire la production est en effet diminuée. Toutefois, la normalité de l’examen clinique hépatologique et la normalité des paramètres biologiques témoignant de la fonction hépatique est en défaveur d’une cause hépatique. Par ailleurs, il existe une protéinurie importante qui nous oriente vers une cause néphrologique.
La normalité du BNP (B-type natriuretic peptide) a une valeur prédictive négative > 98 % d’une insuffisance cardiaque. De plus, l’examen clinique et le terrain sont en défaveur d’une cause cardiaque.
L’association d’une hypoalbuminémie et d’une protéinurie doit faire suspecter un syndrome néphrotique.
Un tableau d’anasarque peut être provoqué par une perte digestive de protéines importantes dans le cadre d’une entéropathie exsudative. Le dépistage se réalise par l’évaluation de la clairance de l’alpha 1 anti-trypsine fécale sur des selles de trois jours dont l’augmentation témoigne d’une perte de protéine digestive.
Certaines pathologies rénales s’accompagnent d’un défaut de fonctionnement du rein (défaut de filtre avec protéinurie, par exemple) sans altération du DFG.
Finalement, le bilan urinaire revient.
Ionogramme urinaire sur échantillon : natriurèse = 12 mmol/L ; kaliurèse = 32 mmol/L ; urée urinaire = 210 mmol/L ; protéinurie = 8 g/L ; créatininurie = 5 mmol/L ; albuminurie = 6 g/L.
Examen cytobactériologique des urines (ECBU) : leucocytes = 8/mm; hématies = 17/mm; présence d’acanthocytes ; examen direct négatif. Culture en cours.
Question 3 - Concernant ces résultats, quelle(s) est/sont le(s) réponse(s) exacte(s) ?
On note de nombreux marqueurs d’insuffisance rénale fonctionnelle (Nau 20 mmol/L, Na/K 1, urée urinaire/urée plasmatique > 10...) traduisant une activation du système rénine-angiotensine-aldostérone en réaction à une hypoperfusion rénale vraie ou relative. Cette situation d’hypovolémie efficace est assez classique au cours du syndrome néphrotique.
La présence de cylindres hématiques ou d’acanthocytes (hématies déformées) à l’examen cytobactériologique des urines traduit le passage des globules rouges à travers le filtre glomérulaire et donc une hématurie d’origine néphrologique.
Par opposition au syndrome néphrotique pur, le syndrome néphrotique impur se définit par un syndrome néphrotique associé à au moins un des trois éléments suivants : hypertension artérielle, insuffisance rénale (organique), ou hématurie microscopique. Il existe ici une hématurie.
Une protéinurie est glomérulaire si elle est composée de plus de 50 % d’albumine. Ici, le rapport protéinurie/créatininurie est à 1,6 g/mmol (ou approximativement 16 g/g) avec un ratio albuminurie/créatininurie à 1,2 g/mmol (ou approximativement 12 g/g). La part d’albuminurie représente 75 % de la protéinurie totale.
La leucocyturie est définie par un taux de leucocytes urinaires > 10/mm3. Ici, il n’y a donc pas de leucocyturie. En contexte de leucocyturie, il faut évoquer une infection urinaire (même en l’absence de germe retrouvée), une néphropathie tubulo-interstitielle, une cystite non infectieuse (interstitielle, radique...) ou encore une tumeur urothéliale.
Vous concluez à un syndrome néphrotique impur chez ce jeune patient expliquant son tableau d’anasarque.
Question 4 - Sur le plan thérapeutique, quelle(s) sont le(s) proposition(s) exacte(s) ?
En contexte de tableau d’anasarque, la déplétion volémique par diurétique de l’anse est le premier traitement afin d’améliorer l’état clinique du patient. La déplétion agit également de manière synergique avec les inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone (inhibiteur de l’enzyme de conversion/antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II [IEC/ARA II]) pour diminuer la protéinurie.
Il faut limiter la perte de poids (généralement 1 kg par jour maximum) car une déplétion rapide peut favoriser un collapsus vasculaire et induire des thromboses vasculaires.
Un traitement anti-protéinurique par IEC/ARA II doit être débuté puis être majoré jusqu’à dose maximale tolérée en première intention. Le traitement par inhibiteur de SGLT2 peut être ajouté dans un second temps en cas d’inefficacité ou d’intolérance aux traitements de première ligne.
Le syndrome néphrotique s’accompagne souvent d’une hypogammaglobulinémie secondaire à la perte d’immunoglobulines dans les urines, ce qui entraîne une immunodépression (susceptibilité aux germes encapsulés). Il est nécessaire de vérifier les vaccinations obligatoires du patient et de les compléter si besoin (vaccination antipneumococcique notamment).
Un syndrome néphrotique accompagnée d’une hypoalbuminémie 20 g/L est une indication à une anticoagulation curative en l’absence de contre-indication. En effet, il existe un risque thrombotique important corrélé à la profondeur de l’hypoalbuminémie lié à une perte des protéines physiologiques anticoagulantes dans les urines.
Vous débutez un traitement par Lasilix 80 mg par jour avec un objectif de perte de 1 kg maximum par jour. Vous débutez en parallèle un traitement par Ramipril à 1,25 mg par jour que vous augmentez jusqu’à 5 mg/j. Vous débutez également un traitement par Eliquis 5 mg matin et soir à visée anticoagulante. En parallèle, vous débutez un régime pauvre en sel chez le patient.
Voici le bilan de glomérulopathie non invasif que vous avez réalisé : sérologie VIH négative ; Ag HBs négatif ; Ac HBs positif ; Ac HBc négatif ; sérologie VHC négative. Anticorps anti-nucléaires négatifs. Complément C3, C4 et CH50 normaux. HbA1C à 5 %. Électrophorèse des protéines sériques : hypogammaglobulinémie isolée à 5 g/L. Anticorps anti-récepteurs de la phospholipase A2 (anti-PLA2R) négatifs.
Devant ce tableau de syndrome néphrotique impur, vous décidez de réaliser une biopsie rénale après avoir réalisé une tomodensitométrie thoraco-abdomino-pelvienne (TDM-TAP) sans particularité :
– en microscopie optique : 15 glomérules ; 1 pain à cacheter. Épaississement spiculé de la membrane basale glomérulaire. Pas de prolifération mésangiale, endo- ou extracapillaire ;
– en microscopie électronique : 11 glomérules, dépôts d’IgG granuleux en regard du versant externe de la membrane basale glomérulaire. Pas de dépôt d’IgA. Pas de dépôt de C1Q. Faible marquage C3 en regard de la membrane basale glomérulaire. Pas de marquage PLA2R positif.
Question 5 - Concernant ces résultats, quelle(s) sont le(s) réponse(s) exacte(s) ?
Le marquage PLA2R sur la biopsie ou l’identification du PLA2R dans le sang permet de retenir le diagnostic de GEM primitive mais il existe toutefois des formes primitives PLA2R négatives (THS7A positive, par exemple) mais également des formes secondaires (post-infectieuses, paranéoplasiques, secondaires à des maladies auto-immunes...).
L’atteinte rénale du lupus peut se manifester par une GEM comme celle qu'a le patient (GEM lupique classe V), toutefois les caractéristiques à l’immunofluorescence sont différentes. En effet, on retrouve souvent un aspect « full house » avec des dépôts d’IgG, d’IgM et d’IgA ainsi que de complément C1Q, C3 ou C4. Par ailleurs, le lupus s’accompagne quasi constamment d’anticorps anti-nucléaires qui sont ici négatifs.
Certains médicaments comme les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont susceptibles d’être associés à une GEM secondaire.
Le profil sérologique vis à vis de l’hépatite B est compatible avec une vaccination antérieure (Ac Hbs positif avec Ac Hbc et Ag Hbs négatifs) donc il n’y a pas d’infection à l’hépatite B.
Les cancers sont une cause de GEM secondaire notamment si l’âge est supérieur à 50 ans : cancers pulmonaires, mammaires, coliques, mélanomes en particulier.
Vous concluez à une glomérulonéphrite extra-membraneuse (GEM) chez ce patient expliquant son syndrome néphrotique.
En le réinterrogeant vous apprenez qu’il a eu, à l’occasion d’un festival il y a douze mois, des relations sexuelles à risque avec des partenaires multiples. Il aurait eu quelques semaines après une lésion indolore génitale qui a rapidement disparu. Dans un second temps, il aurait eu une éruption cutanée de tout le tégument pendant quelques jours qu’il a attribuée à une virose. Vous suspectez une infection sexuellement transmissible (IST).
Question 6 - Concernant ce tableau, quelle(s) sont les proposition(s) exacte(s) ?
Le tableau est typique d’une syphilis (phase primaire avec le chancre indolore non inflammatoire à fond induré et propre, et phase secondaire avec l’exanthème maculo-papuleux). Cette maladie est transmise par la bactérie Treponema pallidum. La bactérie Hæmophilius ducreyi est responsable d’une autre IST, le chancre mou, caractérisé par une ulcération génitale douloureuse, inflammatoire, à fond purulent.
Bien que le traitement par pénicilline G intramusculaire soit le traitement de référence de la syphilis, le patient a une allergie aux pénicillines avec un antécédent de réaction grave. Le traitement s’orientera plutôt dans ce cas vers la doxycycline per os pendant quatorze jours. Il est également possible de tenter une désensibilisation aux pénicillines en milieu spécialisé notamment en cas de contre-indication à la doxycycline.
La syphilis est une cause rare mais connue de GEM secondaire. Le mécanisme supposé est immunologique. L’éradication de l’infection est nécessaire dans ce contexte et s’accompagne souvent d’une rémission au moins partielle de la GEM.
La maladie de Lyme est causée par Borrelia burgodferi, une bactérie du groupe des spirochètes, groupe auxquels appartient également Treponema pallidum (responsable de la syphilis ici en cause) ou encore les bactéries de type Leptospira (responsable de la leptospirose).
Des signes neurologiques doivent être recherchés car évocateurs d’une neurosyphilis. La mise en évidence d’une neurosyphilis est importante car le traitement diffère (pénicilline G par voie intraveineuse pendant quatorze jours ou induction de tolérance en cas d’allergie).
Vous confirmez le diagnostic de syphilis (EIA positif et VDRL [venereal disease recherch laboratory] positif) et de probable GEM secondaire à une infection syphilitique (le reste du bilan de GEM secondaire est négatif). Il n’y a pas de signes neurologiques. Vous débutez un traitement par doxycycline per os pendant quatorze jours devant l’antécédent d’allergie aux pénicillines.
À deux semaines du début du traitement, le patient consulte de nouveau aux urgences pour douleurs du flanc droit associées à l’apparition d’une hématurie macroscopique. Le patient vous avoue ne pas avoir pris le traitement anticoagulant car son père est décédé d’un accident vasculaire cérébral hémorragique sous anticoagulant. Vous réalisez une biologie : natrémie = 139 mmol/L ; kaliémie = 4,8 mmol/L ; créatininémie = 104 µmol/L (DFG estimé à 64 mL/min/1,73 m² selon CKD-EPI) ; albuminémie = 18 g/L ; lactate déshydrogénase (LDH) = 800 UI/L (N < 220 UI/L) ; hémoglobine = 14 g/dL ; leucocytes = 7 000/mm; plaquettes = 388 000/mm3.
Question 7 - Concernant ce tableau clinique, quelle(s) sont le(s) réponse(s) exacte(s) ?
Une augmentation du taux de LDH peut être secondaire à une hémolyse mais reste très aspécifique d’autant que l’hémoglobine est normale chez ce patient. Les LDH sont élevées dans les situations de lyse cellulaire (hémolyse, syndrome de lyse, rhabdomyolyse ou infarctus de tout tissu). Dans le cadre d’une thrombose de la veine rénale, comme suspectée ici, les LDH peuvent être augmentées par souffrance tissulaire rénale et on peut également mettre en évidence des images d’infarctus rénal.
Une imagerie des vaisseaux et notamment des veines rénales peut permettre d’affirmer le diagnostic de thrombose des veines rénales. On peut proposer le Doppler (limité par la morphologie du patient, l’échogénicité et l’expérience de l’opérateur), l’angio-tomodensitométrie (très efficace mais risque de néphrotoxicité des produits de contraste iodés), ou encore l’angio-IRM (efficace mais accessibilité plus restreinte).
La thrombose des veines rénales impose, au contraire, un traitement anticoagulant efficace pour éviter l’aggravation et l’extension de la thrombose (risque d’embolie pulmonaire) notamment chez un patient ayant un état d’hypercoagulabilité.
La GEM se complique souvent d’hématurie microscopique mais rarement d’hématurie macroscopique. Ici l’hématurie macroscopique est en lien avec la thrombose des veines rénales.
L’état d’hypercoagulabilité est une complication du syndrome néphrotique. La thrombose des veines rénales est plus fréquente en cas de GEM que dans les autres causes de syndrome néphrotique.

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