Vous recevez au service d’accueil des urgences M. C., 80 ans, pour dyspnée. Ce patient est non-fumeur. Il vit avec son épouse.

Dans ses antécédents, on note un canal carpien bilatéral opéré, une hypertension artérielle essentielle suivie par son médecin traitant, sous bisoprolol et ramipril, et, depuis une quinzaine d’années, une maladie d’Erdheim-Chester associée à une atteinte osseuse asymptomatique et périrénale sans gravité, sans insuffisance rénale.

Le diagnostic avait été porté de façon fortuite lors d’un scanner effectué il y a quelques années pour une autre raison. Ce scanner avait montré des reins d’aspect « chevelu » et une biopsie périrénale avait confirmé le diagnostic.

La seule manifestation « parlante » de cette histiocytose étant un syndrome inflammatoire prolongé avec une protéine C réactive (CRP) chroniquement aux alentours de 30 mg/L. Le patient ne reçoit pas de traitement particulier et fait l’objet d’une surveillance simple. D’ailleurs, cela fait plusieurs années qu’il a rompu son suivi en médecine interne.

Le patient est porteur d’un pic monoclonal IgG lambda à la limite du seuil de quantification, qui n’a pas bougé depuis des années, sans critères CRAB (calcemia, renal failure, anemia, bone lesion).

L’épisode actuel a débuté il y a trois semaines par une dyspnée sifflante d’aggravation progressive et une prise de poids. Il n’a pas pris de médicament supplémentaire par rapport à son traitement habituel.

Cliniquement, le patient est polypnéique, dyspnéique à la parole et ne tolère pas le décubitus. La pression artérielle est à 100/70 mmHg, la fréquence cardiaque à 89 bpm, la saturation en oxygène à 87 % en air ambiant, la température à 36,2 °C. Les extrémités sont chaudes. Pas de trouble de la conscience.

Vous percevez au stéthoscope des sibilants diffus. Œdèmes péri-malléolaires prenant le godet. L’électrocardiogramme (ECG) est sinusal sans trouble de la repolarisation.
Question 1 - Quelle hypothèse diagnostique vous semble probable devant ce tableau (une ou plusieurs réponses exactes) ?
Devant une dyspnée avec prise de poids, œdèmes des membres inférieurs, orthopnée et sibilants chez le sujet âgé, il y a un diagnostic clinique de décompensation cardiaque globale.
Les sibilants chez le sujet âgé peuvent tout-à-fait se rencontrer dans un tableau de surcharge cardiogénique.
Ici, la clinique est en faveur d’une décompensation cardiaque globale plus que d’un asthme, notamment en raison de l’orthopnée et des signes d’insuffisance cardiaque droite avec les œdèmes des membres inférieurs.
De plus, le patient n’a pas d’asthme dans ses antécédents, c’est atypique voire exceptionnel de développer un asthme à des âges avancés.
En l’absence de tabagisme passé et d’antécédent décrit, on ne retient pas la BPCO en première intention.
Question 2 - Quelle est votre prise en charge immédiate (une ou plusieurs réponses exactes) ?
Le patient a un tableau d’hypervolémie avec signes de surcharge. Il faut lui administrer des diurétiques, en première intention le furosémide, un diurétique de l’anse, en surveillant la diurèse, les variations du poids et la kaliémie.
La pression artérielle est normale, il n’y a donc pas d’indication à la diminuer. Si elle avait été élevée, on aurait pu proposer des dérivés nitrés.
Pas d’aérosols ici car il ne s’agit pas d’un asthme ni d’une BPCO.
L’admission en urgence en coronarographie est indiquée en cas d’infarctus à la phase aiguë. Ici, il n’y a ni douleur thoracique, ni élévation de la troponine, ni modifications à l’ECG. Pas d’argument non plus pour une pneumopathie infectieuse en l’absence de fièvre et de foyer auscultatoire.
Vous avez porté le diagnostic de décompensation cardiaque globale, et initié une déplétion intraveineuse par furosémide avec une amélioration clinique rapide. Le patient est hospitalisé en cardiologie après avoir eu un scanner du thorax qui retrouvait des signes de surcharge cardiogénique sans embolie pulmonaire ou anomalie médiastinale.
L’échographie cardiaque transthoracique effectuée à son arrivée retrouve un rythme sinusal normal, un ventricule gauche modérément hypertrophié, non dilaté, une fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) estimée à 52 %, une cinétique segmentaire sans particularité, un myocarde scintillant, des signes indirects d’augmentation des pressions ventriculaires gauches, sans anomalie ventriculaire droite ou valvulaire.
Question 3 - Quelle(s) pathologie(s) cardiologique(s) évoquez-vous ?
Devant un myocarde scintillant et une légère hypertrophie, le premier diagnostic à évoquer est l’amylose. Pas d’argument ici pour une cause ischémique en l’absence de troubles de la cinétique segmentaire. Le ventricule gauche (VG) n’est pas dilaté. Une cardiopathie hypertensive peut être évoquée devant les antécédents d’hypertension artérielle (HTA) et l’hypertrophie du VG.
L’ECG sinusal à l’arrivée et le rythme sinusal à l’échographie sont en défaveur d’une cardiomyopathie rythmique.
Peu d’argument pour une sarcoïdose vu l’absence d’adénopathies médiastinales et d’infiltrat pulmonaire souvent associés, et l’aspect en échographie est plutôt en faveur d’une amylose.
L’imagerie par résonance magnétique (IRM) cardiaque est en faveur d’une cardiopathie amyloïde.
Question 4 - Quelles sont vos hypothèses étiologiques concernant cette amylose ?
À ce stade, tous les types d’amylose cités ci-dessus sont possibles. Notez que l’amylose sénile est synonyme d’amylose à transthyrétine sauvage.
Amylose AL : hypothèse valable étant donné qu’on ne connaît pas encore l’existence ou non d’un pic monoclonal chez ce patient.
Amylose AA : hypothèse possible car syndrome inflammatoire prolongé mais atteinte cardiaque exceptionnelle (moins de 5 % des cas).
Amylose sénile : à évoquer devant l’âge et le canal carpien.
Amylose à transthyrétine mutée : moins probable, mais à évoquer même si l’âge de révélation est un peu tardif.
Vous souhaitez avancer dans le diagnostic positif et étiologique de cette probable amylose.
Question 5 - Quel(s) examen(s) proposez-vous dans un premier temps ?
Orienterait plutôt vers un type AL ou AA si atteinte glomérulaire.
Pourrait se discuter en présence d’une protéinurie, si la biopsie de glandes salivaires accessoires (BGSA) est négative et si biopsie de graisse abdominale l’est aussi. C’est un geste invasif à risque hémorragique car la coagulation peut être perturbée au cours de l’amylose, donc on essaie dans la mesure du possible d’y surseoir en biopsiant des localisations plus accessibles.
Oui, cela peut permettre de faire le diagnostic en cas d’amylose AL.
Oui, c’est la coloration à privilégier pour mettre en évidence les dépôts amyloïdes.
La coloration de Ziehl-Neelsen permet de mettre en évidence les bacilles acido-alcoolo-résistants (BAAR). La coloration de Gömöri-Grocott est utilisée pour l’identification de champignons. Peu pertinent ici.
La présence d’un pic monoclonal est retrouvée chez environ 10 % des sujets âgés. Par conséquent sa seule présence ne permet pas d’affirmer le type AL, qui nécessite une preuve histologique.
Le patient vous rappelle qu’un pic monoclonal IgG lambda est connu depuis de nombreuses années, de concentration stable. La biologie récente montre l’absence de déséquilibre des chaînes légères libres circulantes, d’ hypogammagobulinémie, et de chaînes légères détectées dans les urines. La BGSA est normale, ainsi que la biopsie de graisse abdominale. Il n’y a pas de protéinurie significative et le sédiment urinaire est normal.
Après discussion avec vos collègues hématologues et cardiologues, devant une BGSA normale et l’absence d’atteinte rénale, le diagnostic d’amylose AL n’est pas retenu.
Question 6 - Quel(s) examen(s) vous permettra d’avancer dans la classification de cette amylose ?
Non, cet examen sert à détecter un foramen ovale perméable et/ou un thrombus ventriculaire gauche.
Non, cet examen est utile pour la recherche de thrombus intracavitaire.
Pas d’intérêt ici.
Oui, la scintigraphie osseuse permet de calculer le score de Perugini qui compare la fixation myocardique et la fixation osseuse, ce score étant prédictif d’une amylose cardiaque de type TTR (sauvage ou mutée).
Sert à évaluer notamment les parathyroïdes.
La scintigraphie osseuse effectuée chez le patient retrouve une fixation myocardique, en faveur d’une amylose à transthyrétine.
Figure (Jeanne de la Rochefoucauld, La Revue du Praticien)
Question 7 - Quelle est/sont la/les implication(s) thérapeutique(s) ?
Pas d’indication en l’absence de pathologie athéromateuse.
Oui, car risque d’hypotension.
Hypotension orthostatique fréquente par un mécanisme de dysautonomie.
Oui, ils sont contre-indiqués dans l’amylose cardiaque.
L’amylose TTR peut résulter du vieillissement (forme sauvage) ou d’une mutation germinale (forme mutée familiale, de nombreuses mutations ont été décrites) conduisant à une altération de la stabilité des tétramères de transthyrétine et à leur dépôt dans les organes cibles.
Les atteintes cliniques les plus fréquentes sont la neuropathie périphérique avec atteinte notamment dysautonomique pouvant être sévère, la cardiopathie infiltrative, et diverses manifestations rhumatologiques non spécifiques (canal carpien, canal lombaire rétréci, rupture tendineuse) pouvant précéder de plusieurs années les autres manifestations.
À noter que certains traitements « classiques » de l’insuffisance cardiaque sont contre-indiqués dans l’amylose cardiaque du fait de leur mauvaise tolérance, notamment les bêtabloquants et, de façon plus large, les traitements bradycardisants, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ECA), les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (ARA-II).
Une thérapie ciblée, le tafamidis, a l’autorisation de mise sur le marché dans l’amylose cardiaque à transthyrétine diffuse, avec des résultats assez modestes et un coût très élevé. Sa prescription est discutée au cas par cas en consultation de cardiologie spécialisée.
En cas de diagnostic d’amylose TTR, un génotypage est proposé à visée de dépistage familial et de conseil génétique.

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