Le 21 mai, à 23 heures, vous recevez Mme L., 75 ans, ayant les signes d’alerte d’un accident vasculaire cérébral (AVC) pour un épisode transitoire de trouble visuel apparu brutalement il y a deux heures.

Cette patiente est une ancienne secrétaire à la SNCF, elle vit seule, est autonome pour les activités de la vie quotidienne, n’a pas d’intoxication alcoolo-tabagique. Elle est droitière.

Elle a pour antécédents une hypertension artérielle ancienne traitée par une bithérapie (inhibiteur de l’enzyme de conversion [IEC] et diurétique thiazidique), une dyslipidémie sous statine et un surpoids (indice de masse corporelle [IMC] à 31).

Vous interrogez la patiente concernant ses symptômes. Elle vous décrit l’histoire suivante : elle était en train de dîner avec sa fille quand elle s’est brutalement mise à ne plus voir le côté gauche de sa fille. De même, elle ne voyait plus la gauche de la télévision dans le salon. Ce trouble a duré trente minutes puis elle s’est remise à voir normalement.
Question 1 - Quel(s) territoire(s) vasculaire(s) pourrai(en)t être en cause dans les symptômes transitoires énoncés par la patiente ?
L’hémianopsie désigne la perte de la vision dans un hémichamp visuel (et non d’un seul œil), le trouble affecte habituellement un hémichamp visuel au niveau des deux yeux.
Le type d’hémianopsie est très important car il permet de localiser une atteinte neurologique, en connaissant le trajet des voies optiques.
Figure 1 (Colombe Chedal-Anglay, La Revue du Praticien)

 Figure d’après le Collège des enseignants de neurologie (CEN). Altération aiguë de la vision.
 
Cette question supposait d’avoir bien en tête le schéma des voies optiques, et d’avoir des repères sur les principaux territoires vasculaires cérébraux et l’atteinte clinique associée. Il bien mentionné par le CEN que l’hémianopsie latérale homonyme gauche peut se voir dans un AVC sylvien superficiel droit.
Figure 2 (Colombe Chedal-Anglay, La Revue du Praticien)

Tableau d’après le Collège des enseignants de neurologie. Altération aiguë de la vision.
Devant cette hémianopsie latérale homonyme (HLH) gauche transitoire d’il y a moins de quatre heures, vous suspectez un AVC et demandez une imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale en urgence.
Voici plusieurs captures d’IRM en séquence diffusion, correspondant à des patients différents :
Figure 3 (Colombe Chedal-Anglay, La Revue du Praticien)
Figure 4 (Colombe Chedal-Anglay, La Revue du Praticien)
Figure 5 (Colombe Chedal-Anglay, La Revue du Praticien)
Figure 6 (Colombe Chedal-Anglay, La Revue du Praticien)
Figure 7 (Colombe Chedal-Anglay, La Revue du Praticien)
Question 2 - À votre avis, quelle est plus probablement l’IRM de notre patiente ?
Il s’agit d’un infarctus frontal gauche, dans le territoire de l’artère cérébrale antérieure gauche. Cliniquement la patiente aurait une aphasie et un déficit du membre inférieur droit.
Il s’agit d’un infarctus dans le territoire sylvien profond droit : corona radiata et noyau lenticulaire. Cliniquement la patiente aurait une hémiplégie gauche aux trois étages et une dysarthrie.
Il s’agit d’un infarctus bulbaire postéro-latéral droit, dans le territoire de la PICA droite. Cliniquement on aurait un syndrome alterne du tronc cérébral de type Wallenberg.
Il s’agit d’un infarctus sylvien superficiel et profond gauche. Cliniquement, cela pourrait se traduire par une hémiplégie droite et un mutisme, entre autres.
Il s’agit d’un infarctus occipital droit : c’est la seule lésion parmi toutes ces IRM qui peut expliquer une HLH gauche.
Une HLH est liée à l’atteinte rétrochiasmatique de la bandelette optique controlatérale au côté de l’atteinte (ici c’est bien la bandelette optique droite qui est atteinte). Le plus souvent, cela traduira un AVC de la circulation postérieure, et ce symptôme est alors volontiers isolé, mais ça peut aussi se voir dans un AVC sylvien superficiel (dans ce cas volontiers associé à un déficit moteur, des troubles sensitifs).
Cette question est aussi l’occasion de rappeler qu’une régression clinique des symptômes n’exclut pas que l’accident ischémique soit bel et bien constitué à l’imagerie : on est bien dans le cadre d’un AVC et non d’un accident ischémique transitoire (AIT) chez notre patiente.
Voici d’autres coupes axiales de l’IRM de notre patiente, cette fois en séquence FLAIR.
Figure 8 (Colombe Chedal-Anglay, La Revue du Praticien)
Question 3 - Comment décririez-vous ce que vous voyez (une ou plusieurs réponses exactes) ?
Les lésions qu’on voit en FLAIR sont toujours des lésions de plus de quatre heures, c’est la séquence diffusion qui permet de voir les lésions avant quatre heures.
On ne peut pas dire si les lésions prennent le contraste sur une IRM FLAIR, il faudrait voir la séquence injectée (piège, attention !).
Il s’agit d’une IRM axiale en séquence T2 FLAIR qui retrouve plusieurs lésions évocatrices de séquelles d’AVC (hypersignaux qui ne touchent pas les ventricules latéraux, et une lésion corticale sur la première coupe) dans différents territoires vasculaires. Certaines lésions semblent anciennes avec formation d’une lacune centrale.
Figure 9 (Colombe Chedal-Anglay, La Revue du Praticien)

Les lésions visibles sur ces séquences sont :
– des lésions séquellaires lacunaires dans le territoire sylvien profond bilatéraux ou lésions sous corticales (lésions profondes par opposition aux lésions corticales, superficielles), par exemple touchant les noyaux caudés avec une volumineuse lacune gauche et une plus petite controlatérale (flèches rouges) ; 
– une lésion occipitale gauche d’allure plus récente (flèche jaune), lésion corticale car elle touche le cortex occipital (le cortex étant la substance grise qui apparaît en « blanche » en T2 FLAIR).
Vous avez admis votre patiente en unité de soins intensifs neurovasculaires (USINV).
Vous avez demandé un angioscanner des troncs supra-aortiques avant de verticaliser votre patiente. Cet examen retrouve une sténose de la carotide interne droite à 50 %. Les autres vaisseaux (axes vertébraux et polygone de Willis) sont non athéromateux avec un polygone de Willis sans variante anatomique. L’électrocardiogramme (ECG) que vous avez réalisé à l’entrée est en rythme sinusal.
Question 4 - Que concluez-vous quant à l’étiologie des AVC de la patiente (une ou plusieurs réponses exactes) ?
Un mécanisme athéro-embolique partant de la sténose carotidienne droite n’expliquerait pas les AVC controlatéraux (sauf circulation cérébrale anormale avec par exemple une sylvienne gauche issue de la carotide droite mais ce n’est pas le cas ici).
Un mécanisme jonctionnel partant de la sténose carotidienne droite n’expliquerait pas les AVC controlatéraux et, qui plus est, un mécanisme jonctionnel est à évoquer devant des AVC à la jonction entre deux territoires artériels (perfusion de dernier pré), ce qui n’est pas le cas ici.
L’étiologie micro-angiopathique correspond à des micro-infarctus profonds de moins de 20 mm de diamètre, et est liée à l’occlusion des artérioles profondes cérébrales en premier lieu à cause d’une maladie hypertensive mal contrôlée. Elle n’expliquerait pas l’AVC cortical et par ailleurs les lacunes visibles font plus de 20 mm.
Cette patiente illustre un cas d’AVC multiples, cortico-sous-corticaux bilatéraux, d’âges différents : ceci est très évocateur d’une cardiopathie emboligène.
Dans ce contexte, il faut absolument traquer la fibrillation auriculaire qui est, de loin (50 %), la cause la plus fréquente d’AVC ischémique d’origine cardio-embolique. Si la surveillance scopée ne retrouve pas de trouble du rythme, on proposera un Holter ECG, voire un Holter ECG longue durée. Les autres causes d’AVC d’origine cardio-embolique seront explorés par une ETT, voire une ETO à la recherche d’une valvulopathie, d’une insuffisance cardiaque voire d’une endocardite (si fièvre et souffle cardiaque).
Un externe zélé a décidé de refaire l’ECG le lendemain de votre visite (J2 d’hospitalisation) où vous lui expliquiez vouloir traquer la fibrillation auriculaire (FA).
Figure 10 (Colombe Chedal-Anglay, La Revue du Praticien)
Question 5 - Qu’en pensez-vous (une ou plusieurs réponses exactes) ?
Distracteur.
On peut retenir avec certitude la cause cardio-embolique aux AVC devant le diagnostic de fibrillation auriculaire paroxystique. Le traitement anticoagulant sera débuté dans les jours suivants l’AVC (pas immédiatement car les premiers jours d’un AVC ischémique comprennent un risque de transformation hémorragique). L’échocardiographie transthoracique (ETT) fait partie du bilan de toute FA (Collège de cardiologie). Pas besoin d’un Holter ECG puisqu’on a déjà réussi à documenter la FA.
Extrait du Collège de cardiologie :
« Devant la découverte d’une FA, on demande :
– un bilan biologique : ionogramme sanguin, créatinine, TSH ultrasensible, numération globulaire,
– une échocardiographie à la recherche d’une cardiopathie sous-jacente. »
Vous avez débuté un traitement par anticoagulants oraux directs (AOD) à J7 de l’AVC. Elle est sortie d’hospitalisation sans déficit séquellaire de son AVC récent.
Le 7 août, vous êtes de garde en neurologie lorsqu’on vous appelle au sujet de votre patiente. Elle a eu brutalement il y a quarante-huit heures un tableau persistant d’hémiplégie gauche aux trois étages, avec dysarthrie et confusion. Elle n’a pas pu appeler les secours et a été retrouvée au sol chez elle par sa fille. Vous réalisez à son arrivée l’imagerie suivante :
Figure 11 (Colombe Chedal-Anglay, La Revue du Praticien)
Question 6 - Décrivez ces deux coupes du même examen (une ou plusieurs réponses exactes) :
Il s’agit d’un scanner cérébral non injecté en coupe axiale (les vaisseaux ne sont pas rehaussés). L’hyperdensité profonde témoigne d’un hématome profond droit avec saignement actif. Il n’y a pas d’hyperdensité dans les sillons qui témoignerait d’une HSA associée. L’hématome refoule discrètement la ligne médiane vers la gauche, signe d’un début d’engagement sous-falcoriel.
Vous hospitalisez immédiatement cette patiente en USINV.
Question 7 - Quelle est votre attitude avec la patiente lors de l’hospitalisation (une ou plusieurs réponses exactes) ?
La position privilégiée dans ce contexte est l’alitement à 30 °, qui permet de réduire le risque d’hypertension intracrânienne lié à l’hématome. Ne pas confondre avec l’attitude à avoir quand on voit un AVC ischémique récent, où on ne doit pas redresser les malades avant de s’être assurer de la perméabilité des vaisseaux.
Le sulfate de protamine serait l’antidote en cas de surdosage en héparine comme facteur étiologique du saignement.
Le contrôle de la tension artérielle, mais aussi la glycémie, la natrémie et la température ( 38 °C) sont indispensables chez tout cérébrolésé.
Évidemment on suspend l’anticoagulation curative chez cette patiente qui a un hématome cérébral actif. La reprise se discutera à moyen ou long terme, quand l’hématome sera résorbé et avec évaluation de la balance bénéfice-risque. Cela peut être une contre-indication définitive, qui justifie d’autres méthodes de contrôle du risque emboligène comme la fermeture de l’auricule gauche.
Le contrôle de la tension artérielle (dans des chiffres < 140/90 mmHg) vise à prévenir l’aggravation du saignement. Il ne s’agit pas des mêmes mesures de contrôle tensionnel que dans l’AVC ischémique, où le maintien d’une tension plus élevée vise à assurer la perfusion cérébrale.
Pour rappel, dans le cadre d’un AVC ischémique en phase aiguë, on respecte une pression artérielle > 220/120 mmHg en cas d’infarctus non reperfusé, et > 185/110 mmHg si une thrombolyse ou une thrombectomie ont été réalisées.

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