M. C., 45 ans, consulte au mois d’avril en cabinet de neurologie. Il a une sensation de vertiges et de vision double.

Né en Haïti, le patient est arrivé en France à l’âge de 4 ans. Il ne travaille plus depuis le mois de décembre. Auparavant il travaillait comme agent d’entretien. Le patient a une addiction au cannabis sevrée depuis deux ans. Il n’a pas d’antécédent personnel ni familial.

Le patient rapporte depuis trois semaines une diplopie lorsque ses deux yeux sont ouverts, qui disparaît à l’occlusion d’un œil. Il rapporte aussi une sensation d’instabilité à la marche avec une faiblesse de l’hémicorps gauche qui s’aggrave progressivement. Il ne décrit pas de sensation de rotation de lui-même ou de la pièce. Il a vu un ORL qui a prescrit un traitement symptomatique des vertiges, sans efficacité, raison pour laquelle il vous consulte.

L’examen clinique retrouve :

– démarche ataxique avec élargissement du polygone de sustentation ;

– testing moteur (coté de 0 à 5) :

      • membres supérieurs (droit/gauche) : biceps 5/4, triceps 5/3, extenseur poignet 5/3, pince pouce-index 5/3, interosseux 5/4,

      • membres inférieurs (droit/gauche) : psoas 5/3, ischio-jambiers 5/3, quadriceps 5/4, jambier antérieur 5/4,

      • signe de Babinski indifférent, réflexes ostéotendineux non vifs, non diffus, non polycinétiques ;

– sensibilité : hypopallesthésie distale des membres inférieurs, ataxie proprioceptive aux quatre membres mais prédominant à l’hémicorps gauche, nettement aggravée à la fermeture des yeux. Pas d’hypoesthésie à la piqûre ;

– diplopie binoculaire sans paralysie oculomotrice. Pas d’autre anomalie à l’examen des paires crâniennes.
Question 1 - Devant cette présentation clinique, où se situe le plus probablement l’atteinte motrice de M. C. (une ou plusieurs réponses exactes) ?
Le déficit moteur de l’hémicorps gauche prédomine aux fléchisseurs aux membres inférieurs (psoas et ischio-jambiers à 3) et aux extenseurs des membres supérieurs (triceps et extenseur du poignet), ce qui est typique d’une atteinte du motoneurone central. Les atteintes associées sensitives et la diplopie binoculaire orientent vers une atteinte centrale. L’absence de syndrome pyramidal et de Babinski en extension n’excluent pas une atteinte centrale.
Par ailleurs, l’atteinte sensitive excluait d’emblée une cause musculaire ou de la jonction neuromusculaire.
Il n’y a aucun élément clinique évocateur de syndrome extra-pyramidal dans cette description.
Il s’agit d’un tableau de déficit sensitivo-moteur prédominant à l’hémicorps gauche, avec une diplopie binoculaire. Une imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale est réalisée.
Figure 1 (Colombe Chedal-Anglay, La Revue du Praticien)
Figure 2 (Colombe Chedal-Anglay, La Revue du Praticien)
Figure 3 (Colombe Chedal-Anglay, La Revue du Praticien)
Question 2 - Que pouvez-vous dire de ces coupes d’IRM cérébrale (une ou plusieurs réponses exactes) ?
La coupe 1 est une coupe axiale en T1 injectée, on voit le rehaussement du polygone de Willis. Cette coupe injectée permet de dire qu’aucune des lésions sur les autres coupes ne se rehausse après injection de produit de contraste iodé.
La coupe 2 (comme la coupe 3) est une coupe sagittale en séquence T2 FLAIR, reconnaissable au fait que le signal de la substance grise périphérique est plus fort que la substance blanche centrale, avec une annulation du signal du liquide céphalo-rachidien (LCR). On retrouve sur les coupes 2 et 3 des hypersignaux FLAIR périventriculaires, accolés directement au ventricule. La coupe 3 est une coupe sagittale en séquence T2 FLAIR, qui retrouve une lésion en hypersignal qui touche le cortex au niveau temporal.
Question 3 - À ce stade, quels diagnostics vous semblent compatibles avec ce tableau ?
Entité découverte il y a quelques années, il s’agit d’une pathologie inflammatoire limitée au système nerveux central.
Répondre à cette question (difficile) suppose d’avoir compris qu’on se situe dans le cadre d’une pathologie inflammatoire du système nerveux central et d’avoir en tête quelles maladies peuvent rentrer dans ce cadre nosologique.
Bien sûr, il faut évoquer la sclérose en plaques. La MOGAD (myelin oligodendrocyte glycoprotein antibody-associated disease) pourrait coller avec ce tableau même si ce serait très atypique, car elle atteint préférentiellement le nerf optique et la moelle épinière chez l’adulte. C’est un des diagnostics différentiels principaux de la sclérose en plaques. La neurosarcoïdose est un diagnostic différentiel à avoir en tête, il faut rechercher cliniquement des arguments évocateurs d’une maladie systémique.
La méningo-encéphalite virale sans céphalées et sans syndrome méningé paraît hors sujet.
Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) multiples ne doivent pas être évoqués devant ce tableau de déficit neurologique non brutal, qui s’aggrave progressivement sur trois semaines.
Après l’IRM cérébrale, le patient est hospitalisé dans le service de neurologie.
En reprenant l’interrogatoire, le patient rapporte plusieurs épisodes de déficits neurologiques dans les dernières années :
– un premier événement deux ans auparavant où il a eu un flou visuel de l’œil droit sur environ deux semaines. Il avait vu un ophtalmologiste qui rapportait un examen « normal » ;
– un deuxième événement il y a un an à type de faiblesse du pied gauche pendant un mois. Le patient n’avait pas consulté pour le deuxième événement, qui s’était amélioré spontanément.
Il s’agit donc d’un patient d’âge médian avec des épisodes de déficits neurologiques subaigus, spontanément résolutifs, avec des hypersignaux FLAIR à l’IRM en périventriculaire et juxta-cortical sans prise de contraste.
Question 4 - Quelle(s) affirmation(s) vous parai(ssen)t exacte(s) dans ce contexte ?
Le patient a un tableau évocateur de sclérose en plaques. Il s’agit d’un homme d’âge médian avec une histoire de déficits neurologiques à répétition, spontanément résolutifs, et avec des lésions typiques à l’IRM (périventriculaires et juxta-corticales entre autres).
Cependant, pour poser le diagnostic, il faut respecter les critères de McDonald de 2017 qui comprennent la dissémination spatiale et temporelle.
Ici, le patient a une dissémination spatiale avec des lésions dans plusieurs lobes cérébraux. Mais pour la dissémination temporelle, il faut prouver que les lésions sont d’âge différent à l’imagerie, avec certaines actives (prise de contraste) et d’autres non, ce qui n’est pas le cas ici. L’IRM médullaire peut être intéressante car le tableau actuel clinique pourrait être en lien avec une poussée médullaire, et on pourrait y voir une lésion prenant le contraste qui remplirait le critère de dissémination temporelle.
À noter que le critère temporel peut être remplacé par l’existence d’une synthèse de bandes oligo-clonales à la ponction lombaire.
L’IRM médullaire du patient ne retrouve pas de lésion active mais montre plusieurs hypersignaux FLAIR médullaires. Vous réalisez une ponction lombaire qui retrouve une hyperprotéinorachie à 0,7 g/L, une normoglycorachie, une synthèse intrathécale d’immunoglobulines. Le reste de votre examen clinique et biologique n’a pas trouvé d’argument pour un diagnostic différentiel, notamment pas d’argument clinico-biologique pour une maladie auto-immune ou inflammatoire systémique touchant le système nerveux central.
Vous posez le diagnostic de sclérose en plaques.
Vous traitez la poussée actuelle par des bolus de corticoïdes IV sur trois jours, ce qui améliore grandement son déficit moteur à gauche et corrige sa diplopie. Vous débutez un traitement par immunosuppresseur plutôt qu’un immunomodulateur devant la charge lésionnelle importante et les critères de mauvais pronostic (homme de plus de 40 ans, avec atteinte de la fosse postérieure et médullaire).
Quelques semaines plus tard, le patient appelle, inquiet, car il a eu, il y trois heures durant une heure environ, une récidive de son flou visuel droit après une séance de sauna. Il ne rapporte aucun trouble du langage, pas d’amputation du champ visuel, pas de manque du mot et pas de déficit sensitif ou moteur au moment de l’épisode.
Question 5 - Comment réagissez-vous au téléphone (une ou plusieurs réponses exactes) ?
Le flou visuel n’est pas mentionné dans les symptômes évocateurs d’AIT probable ou possible par le Collège des enseignants de neurologie. Il n’a aucun des symptômes qui ferait suspecter un accident vasculaire cérébral.
Phénomène d’Uhthoff, il faut penser à informer le patient de ce type d’effet au diagnostic de sclérose en plaques.
Surtout pas : l’activité physique a montré un bénéfice sur le pronostic de la sclérose en plaques. Il faut juste prévenir les patients de la possibilité que ce phénomène se manifeste.
Le patient décrit un phénomène d’Uhthoff typique. Il se manifeste, après récupération de la névrite optique, par une baisse transitoire de l’acuité visuelle, à l’effort ou lors de l’augmentation de la température corporelle. Il faut rassurer le patient et l’informer, au diagnostic de la sclérose en plaques, sur la possibilité que cet effet se produise, et qu’il n’a rien d’inquiétant. Il ne justifie ni une nouvelle imagerie ni un traitement.
Lors de son rendez-vous de suivi en septembre, le patient vous rapporte les résultats d’un bilan neuropsychologique qu’il a réalisé à votre demande. En effet, vous vous êtes interrogé devant la perte de son emploi sur d’éventuels troubles neurocognitifs en lien avec sa maladie.
Voici les résultats :
Figure 4 (Colombe Chedal-Anglay, La Revue du Praticien)

En conclusion, le neuropsychologue mentionne : « En résumé, l’examen neuropsychologique de ce jour met en évidence une efficience cognitive globale modérément déficitaire. Au premier plan, on retrouve des troubles mnésiques (apprentissage, mise en mémoire de nouvelles informations) ainsi qu’un tableau sous-cortico-frontal intégrant des troubles attentionnels et exécutifs qui se répercutent au second plan sur l’ensemble du bilan (récupération en mémoire, génération d’informations). Enfin, on relève des fragilités langagières. »
Question 6 - Quelle est votre interprétation de ce bilan (une ou plusieurs réponses exactes) ?
Les fonctions exécutives comprennent l’organisation, la planification d’activité et la mémoire de travail. Elles dépendent du cortex préfrontal. Les troubles attentionnels doivent faire chercher une composante dépressive aux troubles cognitifs (ils sont évoqués par le neuropsychologue à la fin du bilan). La rééducation cognitive par un orthophoniste et la constitution d’un dossier MDPH sont des mesures à prendre chez ce patient relativement jeune chez qui les troubles cognitifs ont eu un retentissement sur la vie professionnelle.
Vous interrogez également le patient sur d’éventuels troubles vésico-sphinctériens.
Question 7 - Quelle(s) réponse(s) vous paraît/paraissent exacte(s) ?
Les troubles urinaires doivent être dépistés et traités pour éviter une atteinte du haut appareil urinaire. Une hyperactivité vésicale se traduit par des urgenturies. Il faut éliminer une infection urinaire et rechercher un résidu post-mictionnel. La dyssynergie vésico-sphinctérienne désigne un défaut de coordination détrusor/sphincter avec un sphincter qui se contracte en même temps que le détrusor lors de la miction, il peut s’agir un trouble urinaire associé à la sclérose en plaques mais ce n’est pas la même chose que des urgenturies. La sclérose en plaques est associée plus fréquemment à des symptômes d’hyperactivité vésicale comme les urgenturies.
En cas de nycturie, il faut toujours avoir l’arrière-pensée du syndrome d’apnées-hypopnées obstructives du sommeil (SAOS) et rechercher des signes cliniques en faveur.

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