M.D., 73 ans, vient consulter pour des épisodes d’arthrite aiguë ayant touché de façon récurrente le gros orteil droit, la cheville droite, le genou gauche, le poignet droit et le coude gauche, survenant deux ou trois fois par an depuis de très nombreuses années. Il est surtout gêné par l’apparition progressive depuis une vingtaine d’années de « grosseurs » sous la peau des doigts et des pieds, perturbant la préhension (ne peut plus bricoler) et la marche.

Ses ennuis ont commencé il y a trente ans par une douleur brutale du gros orteil droit, apparue en pleine nuit, avec gonflement. Son orteil était de couleur « pivoine », l’empêchant de marcher. Cet épisode avait nécessité la prise d’indométacine (150 mg/j) et une infiltration dans l’orteil. Ces accès se répètent par la suite et, lors de ces accès, l’uricémie est à 70 mg/L, plus élevée entre les crises (90 mg/L). Le traitement par colchicine (4 mg le premier jour) est très mal supporté (diarrhées profuses) et M. D. n’en veut plus. Il se soigne avec de l’ibuprofène qu’il peut acheter sans ordonnance en pharmacie. Il y a vingt ans, on lui a proposé de l’allopurinol (300 mg/j) qu’il a pris irrégulièrement pour l’arrêter définitivement après quelques années en raison de l’apparition d’une gynécomastie.

M. D. a un indice de masse corporelle (IMC) à 30,5 kg/m2. Il nous dit que sa pression artérielle est un peu élevée (ne se souvient pas du traitement) et que son taux de « lipides » est élevé depuis longtemps, traité par rosuvastatine.

Il y a cinq ans il a fait un infarctus du myocarde et on lui a posé deux stents.

Son périmètre abdominal est à 110 cm. Son dernier contrôle biologique montre une uricémie à 93 mg/L (553 μmol/L), une hyperuraturie des vingt-quatre heures (1 319 mg [7,84 mmol]) et une clairance à la créatinine à 55 mL/min.
Question 1 – De quel type d’arthropathie inflammatoire souffre ce patient ?
D’une goutte tophacée évoluant par poussées aiguës inflammatoires, très probablement d’origine primitive. Le terrain et le tableau clinique sont typiques.
Question 2 – Comment traiter ses accès d’arthrite aiguë ?
De façon précoce par colchicine en première intention mais à la posologie de 0,5 mg, deux à trois fois par jour maximum (à ajuster à la baisse en cas de diarrhées). Il faut expliquer au patient que les diarrhées profuses qu’il a eues sous colchicine à la dose de 4 mg/j sont un effet indésirable attendu du fait d’une posologie excessive du traitement (relation dose/effet). L’alternative pourrait être une courte corticothérapie orale (30 mg/j sur la durée la plus courte possible – en pratique trois à cinq jours maximum) ou bien une infiltration cortisonée si la crise se limite à une ou deux articulations accessibles. Les anti-interleukine 1 sont à réserver au traitement de seconde intention, en cas de crise réfractaire, d’intolérance ou de contre-indication aux traitements sus-cités, à initiation hospitalière de préférence (prescription hors autorisation de mise sur le marché). Les anti-inflammatoires (indométacine) sont contre-indiqués au vu du terrain de ce patient.
Question 3 – Quelles sont les comorbidités et quelles implications thérapeutiques ?
Il existe vraisemblablement un syndrome métabolique qui nécessite une prise en charge adaptée au même titre que celle de la goutte. Les principales comorbidités identifiées sont :
– hypertension artérielle : à équilibrer (objectif : tension artérielle [TA] < 14/9). Dans la mesure du possible, limiter les traitements diurétiques ou bêtabloquants et choisir les inhibiteurs calciques tels que le losartan qui a des vertus uricosuriques ;
– dyslipidémie : à équilibrer avec des objectifs de LDL-cholestérol à définir individuellement en fonction des facteurs de risque cardiovasculaire présents (âge, TA, statut tabagique). L’atorvastatine peut être préférée à la rosuvastatine pour ses vertus uricosuriques faibles. En cas d’hypertriglycéridémie ou si persistance d’une dyslipidémie malgré la statine, la prescription de fénofibrate est intéressante pour son action uricosurique ;
– obésité et augmentation du tour de taille : prise en charge hygiéno-diététique et rééducative primordiale en vue d’une perte de poids pour normalisation de l’IMC < 25 kg/m2 et du tour de taille < 102 cm ;
– cardiopathie ischémique : nécessite un suivi cardiologique adapté et contre-indique les anti-inflammatoires non stéroïdiens (indométacine) en traitement de la crise de goutte ;
– insuffisance rénale stade 3a : facteur favorisant l’hyperuricémie chronique. La clairance est à 55 ml/min, ce qui autorise l’utilisation de la colchicine à posologie faible avec une surveillance de la survenue des diarrhées. Les anti-inflammatoires sont à éviter. Concernant le traitement de fond hypo-uricémiant : allopurinol et fébuxostat peuvent être utilisés avec une adaptation de posologie selon la fonction rénale pour l’allopurinol. Une surveillance biologique régulière de la fonction rénale est nécessaire sous hypo-uricémiant.
Enfin, il faut dépister les autres comorbidités non rapportées dans cet énoncé : dépistage du diabète, recherche d’argument pour une stéatose hépatique et un syndrome d’apnées obstructives du sommeil.
Question 4 – Faut-il reprendre un traitement hypo-uricémiant ? Comment ?
Oui ! Un traitement de fond hypo-uricémiant est indispensable chez tout patient goutteux, dès la première crise donc il est a fortiori incontournable chez ce patient avec goutte tophacée.
Une clairance à 55 ml/min autorise en théorie la prescription de l’allopurinol et du fébuxostat. En pratique, ce patient a déjà expérimenté une gynécomastie sous allopurinol (effet indésirable rare) et son insuffisance rénale modérée peut limiter l’augmentation de posologie de l’allopurinol et l’atteinte de l’uricémie cible : il serait logique de préférer le fébuxostat.
Il faut augmenter très progressivement les posologies de fébuxostat, en débutant à 80 mg un jour sur deux et en augmentant progressivement par paliers de deux à quatre semaines jusqu’à maximum 120 mg/j.
L’objectif est d’obtenir une uricémie < 300 µmol/l (50 mg/L). Une prophylaxie des crises de goutte est indispensable par colchicine 0,5 mg/j pendant au moins six mois (ou atteinte de l’uricémie cible). 
L’éducation thérapeutique du patient est importante, pour qu’il puisse comprendre le principe du traitement de crise et de son traitement de fond, dans le but d’améliorer son observance. La prise régulière du fébuxostat, à vie, est nécessaire (sauf effet indésirable grave de type toxidermie, heureusement rare, dont le patient doit être informé).
Question 5 – Comment surveiller ce patient ?
La surveillance est clinique et biologique : les objectifs de la surveillance sont d’évaluer l’efficacité du traitement, de vérifier sa bonne tolérance et de surveiller les comorbidités associées à la goutte.
Cliniquement, il faut monitorer la fréquence et l’intensité des crises de goutte, la consommation en traitements de crise, le nombre et la taille des tophus, évaluer la qualité de vie, surveiller les comorbidités (pression artérielle, poids, IMC).
Biologiquement, un monitoring de l’uricémie est nécessaire surtout dans la phase d’adaptation du traitement hypo-uricémiant. Il faut également surveiller régulièrement les fonctions rénale et hépatique qui peuvent être affectées par les traitements de crise et les hypo-uricémiants. Pour les comorbidités, un contrôle régulier du bilan lipidique est recommandé tout comme le dépistage répété du diabète.
 
Retrouvez l’item lié à ce quiz ici : Chotard É, Guggenbuhl P. Item 198. Arthropathies microcristallines.  Rev Prat 2025;75(5);555-68.

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