Vous recevez en consultation Mme H., 23 ans, pour fatigue.

Elle est étudiante en lettres, et a comme principal antécédent une rectocolite hémorragique traitée depuis quelques années par infliximab en perfusion mensuelle et azathioprine per os. Pas d’autre antécédent personnel ou familial.

Nous sommes au creux de l’hiver en pleine pandémie grippale, et la patiente n’est pas à jour de ses vaccinations.

Elle se plaint d’une fatigue majeure d’aggravation progressive avec difficultés d’alimentation depuis un mois. Elle ne prend pas la température à domicile.

Elle vous apporte son dernier compte-rendu de gastro-entérologie quatre mois plus tôt qui mentionne « maladie quiescente, poursuite du traitement à l’identique. À noter : sérologies pré-thérapeutiques des virus de l’immunodéficience humaine (VIH), de l’hépatite B (VHB), de l’hépatite C (VHC), d’Epstein-Barr (EBV) négatives ; sérologie du cytomégalovirus (CMV) en faveur d’une infection ancienne ; électrophorèse des protides montrant l’absence de pic monoclonal et un chiffre normal de gammaglobulines ».

Cliniquement la température est à 39,4 °C, la pression artérielle à 100/62 mmHg, la fréquence cardiaque à 89 bpm, la saturation en oxygène à 98 % en air ambiant. Poids : 55 kg pour 1,64 m. Elle vous indique que son poids de forme oscille plutôt autour de 60 kg. L’auscultation cardiopulmonaire est sans grande particularité, extrémités chaudes, pas de marbrure.
Question 1 - Complétez l’interrogatoire (une ou plusieurs réponses exactes) :
Altération fébrile de l’état général chez une patiente immunodéprimée porteuse d’une rectocolite hémorragique.
Toutes les grandes orientations sont possibles à ce stade :
– activité de la rectocolite hémorragique ;
– infections communautaires bactériennes, virales, mycobactéries, infections opportunistes ;
– hémopathies ;
– cancers solides ;
– pathologie dysimmunitaire.
Il faut tenter d’affiner l’orientation diagnostique à l’aide dans un premier temps de l’anamnèse et de l’examen clinique qui vont permettre de sélectionner les examens paracliniques au mieux.
Elle a été en contact avec ses neveux il y a deux mois. L’un a 20 mois et est gardé en crèche. L’autre a 4 ans.
Vous palpez une splénomégalie, ainsi que de nombreux ganglions centimétriques occipitaux, axillaires, sus-claviculaires et inguinaux bilatéraux. L’abdomen est souple et indolore. Elle a deux selles par jour non glairo-sanglantes. Pas de déficit sensitivo-moteur. Pas de saignement ou de lésion cutanéo-muqueuse.
Question 2 - Quelle(s) est/sont votre/vos principale(s) hypothèse(s) diagnostique(s) ?
Dans ce contexte, l’hémopathie et l’infection virale/tuberculeuse sont plausibles. La néoplasie solide un peu moins, du fait de la topographie du syndrome tumoral. Quant à l’hémoglobinopathie, les ganglions ne s’inscrivent pas dans ce tableau.
Vous recevez les premiers éléments de biologie.
Hémoglobine = 7,1 g/dL ; volume globulaire moyen (VGM) = 89 fl ; réticulocytes = 30 g/L ; plaquettes = 23 g/L ; leucocytes = 4,4 g/L ; polynucléaires neutrophiles (PNN) : 3,5 g/L ; lymphocytes = 3,8 g/L.
Absence de schizocyte ou d’agrégat plaquettaire au frottis sanguin.
Sodium = 125 mmol/L ; potassium = 3,8 mmol/L ; urée = 7 mmol /L ; créatinine = 51 µmol/L ; protéine C réactive (CRP) = 50 mg/L ; procalcitonine (PCT) = 93 µg/L ; aspartate aminotransférase (ASAT) = 182 U/L (norme 6-25 U/L) ; alanine aminotransférase (ALAT) = 165 U/L (norme 6-25 U/L) ; phosphatases alcalines (PAL) = 518 U/L (norme 35-104 U/L) ; gamma-glutamyl transférase (GGT) = 46 U/L (norme < 35 U/L) ; lactate déshydrogénase (LDH) = 250 U/L (norme 145-245 U/L) ; haptoglobine = 3,7 g/L (norme 1,2-1,6 g/L) ; bilirubine totale = 8 µmol/L (norme < 17 µmol/L).
Taux de prothrombine (TP) = 100 % ; temps de céphaline activée (TCA) ratio patient/témoin = 1 ; fibrinogène = 1,6 g/L (norme 2-4 g/L).
IgM anti-VCA (viral capsid antigen) : recherche fortement positive.
IgG anti-VCA : recherche faiblement positive.
IgG anti-EBNA (Epstein-Barr nuclear antigen) : recherche négative.
Question 3 - Quelle(s) hypothèse(s) diagnostique(s) évoquez-vous devant ce tableau ?
Réticulocytes abaissés, donc l’anémie est plutôt centrale, mais les anti-TNF sont peu pourvoyeurs de toxicité médullaire, au contraire de l’azathioprine (Imurel).
Non car absence d’hémolyse et d’anémie régénérative.
Il s’agit d’un profil sérologique de primo-infection EBV.
Pas de franche hémolyse, et pas de schizocytes.
Pas de microangiopathie thrombotique.
Question 4 - Quel(s) examen(s) demandez-vous ?
Devant une bicytopénie inexpliquée avec anémie arégénérative et suspicion d’hémophagocytose.
Fièvre élevée, polyadénopathie, splénomégalie, cytopénies d’allure plutôt centrale, hyponatrémie, hypofibrinogénémie. Le tout est fortement évocateur d’hémophagocytose lymphohistiocytaire (HLH). Sérologie EBV évocatrice d’une primo-infection.
La primo-infection EBV chez l’adulte, qui plus est chez l’adulte immunodéprimé, peut évoluer vers une situation d’HLH.
1) Il faut confirmer le diagnostic tant syndromique d’étiologique : ferritine, triglycérides, recherche d’images d’hémophagocytose au myélogramme, polymare chain reaction (PCR) EBV, éventuellement une biopsie ganglionnaire si le ganglion est accessible et doute sur une hémopathie EBV +.
2) Il faut mettre en place des mesures symptomatiques en cas d’atteinte menaçante, ici l’hypofibrinogénémie est un signe de gravité.
3) Il faut traiter la cause quand cela est possible.
La ferritine est à 10 000 µg/L, le myélogramme montre la présence d’images d’hémophagocytose sans cellules anormales. Vous faites le diagnostic de syndrome d’activation lympho-histiocytaire (SALH).
Question 5 - Quelle(s) sont votre/vos principale(s) hypothèse(s) étiologique(s) ?
Exceptionnel et contexte évocateur ici de primo-infection EBV.
La sérologie EBV oriente plutôt vers la primo-infection EBV, étant donné qu’elle était EBV négative quelques semaines plus tôt. Il existe des lymphomes induits par l’infection EBV en contexte d’immunodépression, généralement agressifs.
Absence de blastes au myélogramme.
Il existe des HLH primaires liées à des variants génétiques, résultant en un défaut de cytotoxicité (et non humoral), et dont la révélation se fait lors de la primo-infection EBV avec tableau d’HLH mortelle sans traitement.  Le plus souvent il s’agit de maladie liée à l’X conférant une sensibilité accrue à l’EBV (syndrome de Purtilo/ mutation de SH2D1A, mutation de XIAP…).
L’hypofibrinogénémie et la dégradation du bilan hépatique vous pousse à transférer la patiente et à administrer des corticoïdes et une cure d’étoposide (VP16).
La fièvre disparaît dès le lendemain et le bilan hépatique amorce une amélioration.
Sept jours plus tard, la numération formule sanguine (NFS) est la suivante : leucocytes = 0,78 g/L ; neutrophiles = 0,36 g/L ; hémoglobine = 9,4 g/dL ; plaquettes = 40 g/L.
On vous appelle car la patiente a une température à 38,6 °C sans signe de mauvaise tolérance hémodynamique, il n’y a pas de point d’appel clinique.
Question 6 - Quelle(s) attitude(s) est (sont) possible(s) (une ou plusieurs réponses exactes) ?
Un taux de PNN < 0,5 g/L définit l’état d’aplasie, ici imputable à la chimiothérapie par VP16.
L’absence ou le faible nombre de PNN rend impossible la production de pus par l’organisme, ainsi les infections bactériennes demeurent cliniquement silencieuses et peuvent tuer sans que ne soit détectable le foyer infectieux. La fragilité du patient en aplasie impose d’introduire très rapidement une antibiothérapie probabiliste à large spectre active notamment sur les entérobactéries du groupe 3 et le Pseudomonas aeruginosa. La pipéracilline/tazobactam et le céfépime sont préférés en première intention. Les carbapénèmes ne sont pas recommandés sauf en cas de choc septique ou de colonisation connue à germes résistants type bêtalactamase à spectre élargi (BLSE). Cette attitude peut être adaptée au cas par cas en fonction de l’écologie locale et des éventuelles colonisations bactériennes à germes résistants déjà connues chez le patient.
Vous avez débuté un traitement par céfépime probabiliste. Le laboratoire de bactériologie vous appelle pour vous signaler la présence de cocci à Gram positif sur une hémoculture périphérique.
Question 7 - Quel(s) germe(s) suspectez-vous ?
C’est un bacille à Gram négatif.
Cocci à Gram+ en amas = staphylocoques, parmi lesquels les staphylocoques dorés et les staphylocoques blancs (dont Staphococcus epidermidis).
Cocci à Gram+ en chaînettes = streptocoques, parmi lesquels le pneumocoque et l’entérocoque.

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