Un patient de 55 ans consulte pour une hémorragie digestive haute survenue il y a une heure. Sa fille, présente aux urgences, vous explique qu’il boit depuis des années et n’a jamais consulté de médecin. Il ne s’est pas plaint de douleurs épigastriques les jours précédents ni de vomissements ayant précédé l’hématémèse. Il n’a pas d’autre antécédent médical par ailleurs.

À l’examen clinique, vous retrouvez des signes d’insuffisance hépatocellulaire et d’hypertension portale associés à une hépatomégalie homogène à deux travers de doigts avec un bord inférieur tranchant. Le patient est marbré. Il existe une discrète ascite sans encéphalopathie associée. La palpation abdominale est indolore. Les constantes sont les suivantes : tension artérielle (TA) à 95/55 mmHg, pouls à 130/min, saturation en oxygène (SaO2) à 98 %, apyrétique.
Question 1 - Quelles sont les deux causes d’hémorragie digestive haute à évoquer chez ce patient ?
Il représente 30 à 60 % des hémorragies digestives hautes.
Avec le syndrome de Mallory-Weiss, elle représente environ 1 à 10 % des hémorragies digestives hautes.
Avec l’œsophagite peptique, il représente environ 1 à 10 % des hémorragies digestives hautes.
Elles représentent environ 20 % des hémorragies digestives hautes. Elles sont en lien avec une rupture de varices œsophagiennes ou cardio-tubérositaires et la gastropathie d’hypertension portale.
Seulement 1 à 5 % des hémorragies digestives hautes sont liées à des tumeurs de l’œsophage ou de l’estomac.
Vous obtenez les résultats biologiques suivants : hémoglobine (Hb) = 8 g/dL ; plaquettes = 95 G/L ; leucocytes = 5 G/L ; aspartate aminotransférase (ASAT) = 95 UI/mL (N : 20-45 UI/mL) ; alanine aminotransférase (ALAT) = 100 UI/mL (N : 20-45 UI/mL) ; gamma-glutamyl transférase (GGT) = 120 UI/L (N  70 UI/L) ; phosphatases alcalines (PAL) = 30 (N : 42-98 UI/L) ; bilirubine totale = 40 µmol/L ; sodium (Na) = 140 mmol/L ; potassium (K) = 4 mmol/L ; urée = 13 mmol/L ; créatinine = 120 µmol/L ; albumine = 25 g/L ; taux de prothrombine (TP) = 60 % ; facteur V = 55 %.
Question 2 - Quelle(s) est/sont la/les réponse(s) exacte(s) au vu du tableau clinico-biologique ?
Il existe une diminution des facteurs de coagulation (TP et facteur V) qui est la conséquence d’une insuffisance hépatocellulaire.
En cas de déficit en vitamine K, les facteurs vitamine K dépendants sont abaissés mais le facteur V reste normal.
L’hypoalbuminémie est une conséquence de l’insuffisance hépatocellulaire plus qu’une dénutrition.
L’insuffisance hépatocellulaire se traduit en effet par une hyperbilirubinémie, conséquence de la cholestase intra-hépatique dans la cirrhose.
À noter que les examens biologiques hépatiques (ASAT, ALAT, bilirubine totale, GGT, phosphatases alcalines) peuvent être normaux dans la cirrhose.
En effet, l’association de signes d’insuffisance hépatocellulaire et d’hypersplénisme est fortement évocatrice d’une cirrhose. Sans compter les signes cliniques (ascite, hémorragie digestive).
La thrombopénie est une conséquence d’un hypersplénisme, par séquestration splénique. Celle-ci est due à l’hypertension portale.
Question 3 - Quelle(s) mesure(s) prenez-vous dans le cadre de cette hématémèse ?
En cas d’hémorragie digestive liée à une hypertension portale, l’administration d’octréotide par voie intraveineuse à la seringue électrique (IVSE) est systématique. Cette molécule fait baisser le débit sanguin splanchnique dans le but de diminuer le gradient de pression porto-cave.
La perfusion de plaquettes n’est pas systématique et rarement indiquée avant un taux supérieur à 50 G/L. Les objectifs d’hémoglobinémie sont d’environ 7 à 8 g/dL en cas d’hémorragie digestive liée à une hypertension portale.
L’administration d’érythromycine IV se fait trente minutes avant l’endoscopie digestive haute pour hémorragie, en l’absence de QT allongé. Ceci stimule la motricité gastrique et permet de vidanger l’estomac des caillots. Ce n’est pas pour prévenir l’infection de liquide d’ascite.
En cas d’hémorragie digestive haute : on pratique une endoscopie haute dans les vingt-quatre heures si le patient est stable, dans les douze heures en cas de suspicion de rupture de varices œsophagiennes, et dès que possible en cas d’instabilité hémodynamique, faisant craindre une hémorragie active.
Inutile dans cette situation en l’absence de thrombopénie profonde.
Le taux d’hémoglobine cible recommandé est discuté en cas d’hémorragie digestive haute. Les recommandations sont d’atteindre un taux d’hémoglobine de 7 à 9 g/dL, avec un seuil plus élevé en cas de comorbidités cardiovasculaires supérieur à 9 g/dL. En cas de rupture de varices œsophagiennes le seuil est de 7 à 8 g/dL.
Le patient est ici instable : hypotension artérielle, tachycardie, marbrures. Il faut donc lui faire une EOGD après stabilisation.
Il s’agit finalement d’une rupture de varices œsophagiennes sur cirrhose. L’EOGD a permis de réaliser un traitement endoscopique par ligature de varices œsophagiennes.
Question 4 - D’après les données à votre disposition, quel est le score de Child-Pugh de ce patient ?
 
Tableau (Jean Mathieu Perrin, La Revue du Praticien)

Des scores pronostiques sont utilisés en pratique courante au cours de l’évolution de la cirrhose : le score MELD et le score de Child-Pugh (tableau ci-dessus). Les trois variables sanguines pour le calcul du score MELD sont la bilirubinémie, l’IRN (international normalized ratio) et la créatininémie.
Les cinq variables pour le calcul du score de Child-Pugh sont l’encéphalopathie, l’ascite, la bilirubinémie, l’albuminémie et le taux de prothrombine.
Il s’agit en effet d’une cirrhose classée C10. Vous poursuivez votre bilan clinique, maintenant que vous êtes à distance de l’épisode d’hématémèse, quelques jours après sa prise en charge initiale.
Question 5 - Quel(s) autre(s) signe(s) clinique(s) d’hypertension portale pourriez-vous retrouver chez votre patient ?
Les angiomes stellaires sont des signes d’insuffisance hépatocellulaire.
La splénomégalie est une conséquence de l’hypertension portale.
La circulation veineuse collatérale abdominale (dilatation des veines sous-cutanées abdominales) est une conséquence de l’hypertension portale.
Un cavernome portal est un réseau veineux de dérivation développé autour de la veine porte, lorsque le débit de celle-ci est bloqué (notamment en cas de cirrhose). C’est bien une conséquence de l’hypertension portale, mais il n’est visible qu’en imagerie (scanner, échographie). C’est donc un signe paraclinique et non clinique.
L’érythrose palmaire est un signe d’insuffisance hépatocellulaire.
L’examen clinique en cas de cirrhose peut être normal. Cependant, on observe fréquemment :
– des signes d’insuffisance hépatocellulaire :
• angiomes stellaires, prédominant à la partie supérieure du thorax ;
• érythrose palmaire ;
• ongles blancs (leuconychie) ;
• ictère conjonctival ou cutané ;
fœtor hepaticus (mauvaise haleine caractéristique) ;
• inversion du cycle nycthéméral, astérixis, confusion, voire troubles de conscience (signes évocateurs d’encéphalopathie hépatique) ;
• hypogonadisme (atrophie des organes génitaux externes, gynécomastie et dépilation chez l’homme, spanioménorrhée ou aménorrhée chez la femme).
– des signes d’hypertension portale :
• dilatation des veines sous-cutanées abdominales (circulation veineuse collatérale) ;
• splénomégalie.
L’ascite est multifactorielle, à la fois due à l’hypertension portale (par transsudation) et à l’insuffisance hépatocellulaire (par l’hypoalbuminémie).
Quelques semaines plus tard, vous poursuivez le bilan initial de découverte de cette cirrhose dont vous soupçonnez que l’origine est post-éthylique.
Vous réalisez un scanner dont vous avez deux coupes ci-dessous.
Figure 1 (Jean Mathieu Perrin, La Revue du Praticien)
Figure 2 (Jean Mathieu Perrin, La Revue du Praticien)
Question 6 - Sur ces coupes de scanner, vous visualisez (une ou plusieurs réponses exactes) :
Il n’y a pas d’ascite sur ces coupes. Celle-ci se manifesterait par un liquide hypodense localisé notamment autour de la pointe du lobe droit.
En effet, sur la figure 3 ci-dessous (flèch), on visualise la veine ombilicale entre les deux lobes hépatiques, bien rehaussée (normalement non visible).
En effet, on visualise quelques veines tortueuses autour de l’estomac. Ce sont des veines de circulation collatérales, liées à l’hypertension portale.
Il n’y a pas de lésion dans le foie droit sur ces coupes.
Nous sommes ici au temps portal : la veine porte est rehaussée. Dans un temps tardif, tout le produit de contraste se trouve dans les pyélons. Ici c’est le parenchyme rénal qui est toujours un peu rehaussé.
 

 
Deux ans plus tard, alors que le patient est régulièrement suivi par son hépatologue, une lésion hépatique de 4 cm est découverte en échographie, poussant à la réalisation d’une imagerie par résonance magnétique (IRM) complémentaire du foie en séquence T1 et injection aux temps artériel (figure 4) et portal (figure 5).
Figure 4 (Jean Mathieu Perrin, La Revue du Praticien)
Figure 5 (Jean Mathieu Perrin, La Revue du Praticien)
Question 7 - D’après l’ensemble des données, vous pouvez affirmer (une ou plusieurs réponses exactes) :
Sur cette IRM en coupe axiale, en pondération T1 avec saturation du signal de la graisse, on visualise un CHC typique : hyper-rehaussement à la phase artérielle et lavage au temps portal.
Si une lésion de > 1 cm, survenant sur un foie de cirrhose, a les caractéristiques suivantes : wash-in au temps artériel et wash-out en phase portale, alors la biopsie n’est pas indispensable (critères de Barcelone).
Le phénotype « bêta-caténine mutée » s’applique aux adénomes hépatocellulaires et non au CHC.
Il s’agit du meilleur traitement curatif théorique pour le CHC et la cirrhose. Elle est envisageable s’il existe un CHC 5 cm ou trois CHC 3 cm (critères de Milan).
Ce sont les caractéristiques typiques d’un CHC.
 
Figure 6 (Jean Mathieu Perrin, La Revue du Praticien)

IRM du foie en coupe axiale en séquence T1 et injection au temps artériel : rehaussement intense du CHC du foie droit (figure 6).
Figure 7 (Jean Mathieu Perrin, La Revue du Praticien)

IRM du foie en coupe axiale en séquence T1 et injection au temps portal : lavage du CHC du foie droit (figure 7).

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