Monsieur B, 55 ans, se présente seul aux urgences psychiatriques. Il vient spontanément vous expliquer que des voix hostiles le persécutent jour et nuit depuis deux semaines. Il affirme qu’il n’avait jusqu’alors jamais été victime d’un tel phénomène. Il n’a jamais consulté de psychiatre, n’a jamais été hospitalisé.

M. B vit seul depuis la mort de sa sœur deux ans plus tôt. Originaire du Maroc, il est arrivé en France à l’âge de 28 ans pour trouver du travail. Il n’en a jamais trouvé, mais s’est marié, a eu un enfant, puis a divorcé. Dans les suites de ce divorce il sombré quelques années dans la consommation de drogue. Il se dit actuellement stabilisé sous 8 mg de buprénorphine, et ce depuis plusieurs années. Sa sœur l’a très vite recueilli après son divorce et la solitude des deux dernières années est pour lui une épreuve sans précédent. Il ne voit plus son ex-femme ni son fils aujourd’hui âgé de 17 ans. Il vit modestement du RSA et a récupéré le bail de l’appartement de sa sœur.

M. B est rapidement muté dans son service de psychiatrie de secteur. En confiance, il livre plus en détail sa symptomatologie. Des personnes avec lesquelles il se sait connecté, mais de manière très lointaine (le beau-frère d’un cousin, par exemple), communiquent avec lui par l’intercession de djinns. Ces derniers profitent des moments de faiblesse, notamment le soir lorsqu’il se sent fatigué, pour s’immiscer dans son esprit et lui parler « de l’intérieur ». Sa pensée est alors entravée, comme « volée ». Les personnes qui lui parlent lui demandent généralement d’effectuer des tâches précises. M. B refuse et obtient en échange des menaces : « nous savons où est ton fils ! ». Lorsqu’elles ne s’adressent pas directement à lui les voix commentent ses pensées ou s’immiscent dans le cours de sa pensée qu’il perçoit alors comme ralentie. Il est dans ces moments accablé par l’angoisse, et attend le sommeil, seul état d’apaisement possible pour Monsieur B. Il a disposé des gousses d’ail dans toutes les pièces de son appartement pour tenir les démons à distance. Parfois, les prières peuvent éloigner les voix, mais cela ne fonctionne pas toujours… Dans un moment de grande impuissance, et parce que les voix le lui demandaient, il a mis le feu à un amoncellement de papiers dans son salon. Pris de panique, il a éteint le feu et s’est spontanément présenté aux urgences.

À ce stade, seule la prescription de buprénorphine a été reconduite, M. B n’a rien d’autre sur son ordonnance. M. B a eu aux urgences un bilan « standard » comprenant une tomodensitométrie (TDM) cérébrale, une biologie avec numération formule sanguine (NFS), ionogramme, bilan hépatique et rénal, thyréostimuline (TSH). Tout s’est avéré normal.
Question 1 : La symptomatologie de M. B comporte  
Nous notons chez ce patient la présence d’un authentique « automatisme mental », forme de mécanisation de la vie psychique ou de « perte de l’intimité psychique » : la pensée n’est plus un processus strictement intime et est parasité par une production involontaire, ici imputée à l’action de « djinns ». Ces derniers sont à l’origine d’hallucinations intrapsychiques (entendues « à l’intérieur » et non « externes » et localisées dans l’espace).
Le syndrome d’influence est une des conséquences de ce vécu hallucinatoire : le patient est soumis aux ordres de ces hallucinations. Ce type de syndrome est associé à un fort risque de passage à l’acte, sous l’influence des voix.
Question 2 : M. B pourrait bénéficier d’un traitement par 
La symptomatologie prédominante est hallucinatoire et impose le recours à un traitement antipsychotique. Parmi les antipsychotiques dont nous disposons, un antipsychotique de seconde génération (ou « atypique ») sera privilégié en première ligne. Les neuroleptiques plus anciens, dit de « première génération » sont réservés à des formes plus résistantes de maladie et utilisés en deuxième ou troisième ligne. Ils peuvent aussi être utilisés pour leur propriété sédative, comme traitement symptomatique de l’agitation aiguë.
Les benzodiazépines seront ici sans aucun doute nécessaires dans un premier temps, du fait de la dimension anxieuse du tableau clinique, dans l’attente d’une efficacité antiproductive des antipsychotiques.
Question 3 : Choisissez la molécule qui vous semblerait la plus pertinente en première intention, parmi celles proposées  
Pour les raisons évoquées à la question 2, seule la rispéridone est envisageable parmi les molécules proposées (seul antipsychotique atypique de la liste).
Vous introduisez donc cette molécule, à dose progressivement croissante. En parallèle, vous jugez important de pousser plus loin le bilan paraclinique à la recherche d’une éventuelle cause organique.
Question 4 : Quels sont les examens qui vous semblent pertinents ? 
L’imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale est plus précise que la TDM cérébrale et est largement prescrite face à un premier épisode délirant, surtout comme ici de survenue tardive (âge de début de la maladie atypique).
Les sérologies virales sont importantes chez ce patient ancien toxicomane. La sérologie du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) entre également dans le bilan étiologique, le sida pouvant avoir des manifestations neurologiques à expression psychiatrique.
Ces bilans reviennent parfaitement normaux. Après quelque temps, M. B présente une symptomatologie toujours très invalidante, avec des hallucinations vespérales très angoissantes. Les posologies du premier traitement entrepris ont été portées aux doses maximales autorisées.
Question 5 : Au bout de combien de temps pouvez-vous juger de la pleine efficacité de ce traitement ?
Pour conclure à l’inefficacité d’un traitement neuroleptique il faut mener le traitement à bonne posologie pendant au moins six semaines (recommandations de la Haute Autorité de santé [HAS] 2018).
Vous laissez donc passer cet intervalle de temps. Malgré un traitement bien conduit, M. B soliloque, s’anime parfois de manière inexplicable, gesticule dans les couloirs comme s’il luttait contre un phénomène invisible. Interrogé sur ses symptômes, il vous explique que les voix sont toujours présentes et bien gênantes, tout juste un peu moins hostiles qu’au début de l’hospitalisation. Il s’endort parfois très tard, car les voix sont particulièrement actives le soir.
Question 6 : Face à cet échec de votre traitement de première ligne, vous décider d’adapter le traitement. Le plus logique à ce stade vous semble de…
Face à l’échec d’une première ligne de traitement neuroleptique, les recommandations prônent un switch médicamenteux, à l’avantage d’un autre neuroleptique. Pour les raisons évoquées plus haut (tolérance), les neuroleptiques de seconde génération sont privilégiés. Il peut ici s’agir d’olanzapine, amilsulpride, quétiapine, aripiprazole.
Cette deuxième stratégie thérapeutique est un échec quasi complet : votre traitement a tout au plus un effet sédatif et anxiolytique, mais les voix sont toujours présentes et très invalidantes. Monsieur B est maintenant là depuis plusieurs semaines, il a pris du poids et se montre irritable. Les infirmiers vous rapportent une irritabilité en fin de journée, que le patient met sur le compte d’une recrudescence hallucinatoire. Il est dans ces moments-là souvent douloureux. Il s’endort ensuite au prix d’une prise importante de traitement sédatifs.
Alors que vous êtes en train de réfléchir à une nouvelle stratégie thérapeutique, M. B est surpris un matin en train de recracher son comprimé de buprénorphine. Vous voyez le patient en entretien pour tenter de comprendre ce comportement.
Question 7 : Quelles sont les hypothèses qui vous semblent les plus probables ? 
L’hypothèse la plus probable est la suivante :
– le patient recrache son comprimé afin de le détourner en le sniffant (type de détournement le plus fréquent avec la buprénorphine qui peut aussi, plus rarement, être injectée) ;
– cela lui permet d’avoir un « effet shoot » immédiat, correspondant à un pic sérique en opiacé, là où une prise orale garantit un plateau sérique avec un effet « lissé » tout au long de la journée. Cet effet shoot est souvent recherché pour la sensation de plaisir et de soulagement qu’il procure, d’où la fréquence des cas de détournement de la buprénorphine ;
– la couverture en opiacée au lieu d’être de 24 heures comme avec une prise orale classique est raccourcie et le patient ressent en fin de journée des symptômes de manque : irritabilité, douleur, sueurs… ;
– cette sensation de manque accroît sans doute les angoisses vespérales de ce patient et accentue l’adhésion affective aux hallucinations.
Par ailleurs, il faut être très vigilant dans ce contexte de toxicomanie à ne pas induire une toxicomanie aux benzodiazépines pendant le temps de l’hospitalisation.
Question 8 : Le patient confirme sans difficulté votre hypothèse. Il demande de l’aide pour mettre fin à cela, admettant que ces pratiques durent depuis longtemps. Quelles sont vos options thérapeutiques ? 
L’arrêt complet des traitements opiacés n’est jamais l’option privilégiée. En effet, elle est associée à un fort risque de rechute secondaire, avec reprise de la toxicomanie et risque d’overdose.
C’est donc la raison d’être des traitements substitutifs oraux, qui permettent d’arrêter les prises d’opiacés sniffés ou injectés et de soulager le manque. La buprénorphine présente l’inconvénient de pouvoir être détournée. Ce mode de prise, en plus des risques liés au mode d’administration en lui-même, ne permet pas de contrôler le manque de manière régulière au long de la journée et induit des effets de manque en fin de dose.
Les alternatives sont les suivantes :
– la méthadone qui ne peut être détournée mais qui en excès présente l’important inconvénient de pouvoir provoquer une overdose.
– la suboxone, buprénorphine associée à de la naloxone, qui provoque un effet de manque très désagréable lorsqu’elle est sniffée.
– une des solutions si l’alliance est suffisamment bonne est de tenter de contrôler la prise de burprénorphine orale chez ce patient qui est attaché à ce traitement.
Question 9 : Quel type de structure pourra prodiguer un suivi adapté pour M. B dans ce domaine précis, après sa sortie ? 
Il s’agissait ici de choisir un lieu de soins spécialisés en addictologie. En effet, prises en charge psychiatrique et addictologique sont complémentaires et peuvent se faire dans des structures distinctes. Cela est souhaitable lorsque la comorbidité addictive est complexe, comme avec M. B.
Les traitements substitutifs aux opiacés peuvent s’administrer dans des structures de type CSAPA. Les ELSA sont des structures intra-hospitalières destinées aux patients hospitalisés.
Question 10 : Étant donné la symptomatologie de M. B, une ou plusieurs co-addictions sont à redouter ou à rechercher plus particulièrement à ce stade. Lesquelles ? 
Les neuroleptiques n’ont pas de propriété addictive.
Étant donné les fortes angoisses vespérales, l’addiction aux benzodiazépines et aux hypnotiques est à surveiller.
L’addiction au cannabis est à rechercher car il s’agit d’une addiction fréquente en population psychiatrique et pouvant expliquer une résistance des hallucinations au traitement.
Vous faites le nécessaire pour stabiliser le patient sur ce plan. L’irritabilité en fin d’après-midi est moins forte mais l’angoisse toujours bien présente ainsi que les phénomènes hallucinatoires. Le patient, de plus en plus en confiance, livre à présent des idées très sombres, manifestement déjà présentes antérieurement à l’hospitalisation. Il exprime un grand sentiment de dévalorisation, explique qu’il a déjà pensé qu’il n’avait plus de place sur cette terre, avec le décès de sa sœur. Il peut exprimer au prix d’entretien long et d’une recherche symptomatique très précise une perte de plaisir. Lui qui avait une vie sociale riche ne voyait plus personne avant l’hospitalisation, par manque d’intérêt pour les activités sociales. Il admet que les premières hallucinations ont commencé il y a bien plus longtemps que ce qu’il a initialement déclaré : plusieurs mois, voire une année.
Question 11 : À ce stade, plusieurs diagnostics sont pertinents et peuvent coexister. Lesquels ?
Les hallucinations ont commencé il y a plus de six mois, il s’agit donc d’une évolution maladie d’évolution chronique. Il existe des symptômes positifs et négatifs (repli social important), sans dimension de désorganisation. Cette caractéristique est fréquente dans les schizophrénies d’apparition tardive où la dimension hallucinatoire est souvent au premier plan (une ancienne catégorie nosographique les qualifiait de « psychose hallucinatoire chronique »).
En outre, il existe ici une dimension thymique avec une perte de plaisir, des idées de mort et une dévalorisation. Ces critères sont ceux d’un épisode dépressif caractérisé. Ces idées font suite à un deuil déjà ancien, qui peut être qualifié de « compliqué ».
En fonction de la réponse aux traitements et de l’évolution ces hypothèses pourront être confirmées ou infirmées, mais pour l’instant tous ces diagnostics peuvent être considérés comme pertinents.
Question 12 : Comment pouvez-vous faire évoluer votre prise en charge ?
Au vu des diagnostics proposés ci-dessus, il est légitime :
– d’améliorer le traitement antipsychotique à ce jour inexistant, en introduisant une troisième ligne ;
– d’introduire un traitement antidépresseur.
Vous décidez de préciser votre diagnostic, notamment à l’aide de l’échelle de Calgary. Cette échelle permet de confirmer l’un des diagnostics évoqués à la question 10 et vous vous orientez vers une association médicamenteuse.
Question 13 : Quel traitement n’est pas du tout recommandé en association avec la classe médicamenteuse principale avec laquelle vous traitez votre patient.
L’échelle de Calgary est destinée à rechercher les symptômes de dépression chez les patients schizophrènes. Ici, il s’agit de proposer une association entre le traitement neuroleptique et un traitement antidépresseur. Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS)sont conseillés en première intention.
L’escitalopram est déconseillé en association aux neuroleptiques du fait d’une majoration du risque d’allongement de l’espace QT. Tous les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine allongent l’espace QT et l’association ISRS/neuroleptiques doit faire l’objet d’un contrôle ECG.
Cette association médicamenteuse a pour effet d’apaiser les angoisses de M. B qui retrouve un certain élan vital. Il décide de reprendre contact avec sa famille perdue de vue, recommence à prendre des permissions pour aller à l’extérieur. En revanche, il est toujours très angoissé le soir et dans tous les moments d’inactivité : il entend dans ces moments des voix qui commentent ses pensées et lui donnent des ordres hostiles. Il se dit épuisé par ces phénomènes. Vous envisagez de modifier une nouvelle fois le traitement de fond.
Question 14 : Dans l’idée d’une adaptation thérapeutique, quelle option vous semblerait à privilégier ?
Le traitement de troisième ligne face à une symptomatologie productive résistante aux traitements est la clozapine. Ce traitement impose un contrôle préthérapeutique de la NFS du fait d’un risque d’agranulocytose. La NFS est ensuite contrôlée toutes les semaines pendant 12 semaines puis une fois par mois pendant la durée du traitement.
Après 4 semaines de ce traitement à dose thérapeutique, M. B montre une nette amélioration symptomatique. Il prend de plus en plus de permissions, avec des nuits au domicile qui se passent bien.
Question 15 : Quelles sont les grandes lignes d’une prise en charge ambulatoire pour M. B ? 
La prise en charge devra assurer une bonne observance médicamenteuse, préserver l’autonomie et soutenir une réinsertion sociale.
La clozapine ne peut être administrée sous forme retard, du fait du risque d’agranulocytose.
Un passage infirmier peut dès lors être une bonne solution pour favoriser l’observance.
Il n’est pas question de mettre en place un programme de soins chez ce patient consentant aux soins et hospitalisé en hospitalisation libre. Le programme de soins est une possibilité après une hospitalisation en ASPDT si le patient n’adhère pas aux soins ambulatoires, pour limiter le risque de rupture de suivi.

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