Vous recevez aux urgences le petit Jules, âgé de 5 semaines, pour des régurgitations importantes depuis 1 semaine environ avec des pleurs importants. Né à terme après une grossesse sans particularité, avec un poids de 3 500 g, il a été allaité initialement au sein, puis au lait artificiel standard à partir de 3 semaines de vie (6 biberons de 150 ml de lait premier âge par jour). Il a été vu par le médecin traitant il y a une semaine pour un examen systématique, celui-ci notait une prise de 1 kg depuis la naissance. L’examen clinique était parfaitement normal et il n’y avait alors que des régurgitations minimes que les parents n’avaient même pas signalées.

Lors de votre consultation, le poids est de 4 420 g, les constantes vitales sont normales tout comme l’examen clinique. La mère de Jules lui donne un biberon de 150 ml devant vous : vous constatez que Jules prend bien le biberon, sans pleurs. Des régurgitations surviennent cependant rapidement, accompagnant un rot. Plusieurs minutes après, dans la salle d’attente, Jules se met à pleurer, se tortille et fait des mouvements de pédalage des jambes.
Question 1. Quels arguments pouvez-vous avancer à la maman de Jules afin de la rassurer sur le caractère bénin de la situation ?
En effet, les enfants peuvent présenter des régurgitations jusqu’à l’âge de 2 ans. Elles se tarissent souvent lors de l’apprentissage de la marche 
La prise de poids d’un bébé est de l’ordre de 30 g/j le premier mois. Vu les quantités de lait ingurgitées par Jules, il est normal d’avoir une prise de poids légèrement supérieure. Il ne faut pas s’en inquiéter 
Les régurgitations ne doivent pas être douloureuses, sinon elles font évoquer un RGO
La prise du biberon sans pleurs élimine un muguet, une œsophagite ou une autre atteinte locale douloureuse
Les signes de gravité seront cliniques : une mauvaise prise de poids, des signes de dénutrition, de déshydratation, une masse palpée, etc.
Question 2. Comment prenez-vous en charge cette situation ?
Les régurgitations et les coliques du nourrisson sont des phénomènes physiologiques, épuisants pour les parents, mais parfaitement bénins pour l’enfant. Ils sont un motif de consultation très fréquent aux urgences car source d’inquiétude parentale. Il est indispensable de rassurer les parents 
Il n’y a pas d’indication à changer de lait, hormis pour un lait épaissi. Le lait sans lactose n’a pas d’indication dans un tel contexte 
L’épaississant doit être sans gluten, qui doit être introduit entre 4 et 7 mois 
Les IPP sont indiqués dans les œsophagites et dans les RGO prouvés. En pratique, ils sont souvent prescrits malheureusement
Des biberons de 150 ml sont trop volumineux pour un nourrisson de 1 mois, qui devrait plutôt avoir des biberons de l’ordre de 90 ml. On est à 200 ml/kg/j de lait pour ce bébé !
Plusieurs jours après, ces régurgitations sont devenues des vomissements survenant rapidement après la prise des biberons que les parents donnent toujours toutes les 4 heures. Par ailleurs, lors de la dernière selle, les parents ont constaté un filet de sang rouge au milieu.
À l’examen clinique, Jules a perdu 40 g depuis la première consultation, la fréquence cardiaque est de 160/min, la température de 37,4 °C, les autres constantes sont normales ; Jules est un peu plus pâle, semble fatigué. Il n’y a pas de signe de choc, il n’y a pas d’éruption cutanée. La palpation de l’ensemble de l’abdomen provoque des pleurs.
Question 3. Quels sont les éléments présents dans l’énoncé ou à rechercher pouvant vous faire évoquer une sténose par hypertrophie du pylore ?
Une hypertrophie du pylore n’entraîne normalement pas de rectorragies
L’olive pylorique sera palpée en épigastre
Question 4. Quels sont les éléments que vous recherchez spécifiquement à l’échographie abdominale dans ce contexte ?
Douleurs abdominales et rectorragies. Les colites infectieuses sont les causes les plus fréquentes de rectorragies avec douleurs abdominales
Il s’agit des caractéristiques échographiques de l’invagination intestinale aiguë
Le diverticule de Meckel peut être responsable d’hémorragie digestive chez la personne plus âgée. L’échographie est loin d’être l’examen le plus performant pour rechercher un diverticule, notamment chez le nourrisson
Vous récupérez le compte-rendu de l’échographie : « absence d’argument pour une hypertrophie du pylore. Plages inflammatoires de l’iléon et du côlon sans signe de gravité.
Question 5. Quels sont les examens complémentaires que vous demandez à visée diagnostique ?
Il n’y a pas de signe de sepsis, donc pas d’argument pour la réalisation d’une hémoculture
Recherche d’un syndrome inflammatoire
Recherche d’un syndrome inflammatoire et d’une anémie 
À la recherche d’une étiologie infectieuse à la colite
Il n’y a pas d’argument pour une allergie IgE-médiée au lait de vache. En revanche, il est possible qu’il y ait une allergie aux protéines de lait de vache (APLV) non IgE-médiée (rectorragies et régurgitations importantes)
Question 6. En attendant les résultats du bilan, quelle est votre prise en charge ?
 
Il n’y a pas de signe clinique de sepsis, ni échographique de gravité, il n’y a donc pas d’indication à mettre en place une antibiothérapie qui, par ailleurs, n’est pas forcément indiquée même si un germe bactérien est mis en évidence 
Il n’y a pas d’argument clinique ou échographique de gravité 
Une colite mérite de cicatriser grâce à une mise à jeun courte (minimum 24 heures). Les vomissements semblent rendre impossible l’alimentation efficace
Les résultats sont les suivants (les éléments du bilan ont été prescrits à tort ou à raison) : NFS : hémoglobine 140 g/L ; plaquettes 540 G/L, globules blancs 7 G/L (lymphocytes 4 G/L et PNN 3 G/L). Protéine C réactive : 2,1 mg/L. IgE spécifiques du lait de vache total < 0,1 kU/L. Coproculture et virologie des selles : absence de germes à 24 heures (PCR entérovirus et rotavirus négatives).
Le lendemain, l’enfant s’agite, cherchant à téter. L’examen clinique est normal, il n’y a notamment pas de douleurs à la palpation de l’abdomen.
Question 7. Quelles suites proposez-vous aux parents ?
Les 2 principales causes de colite chez le nourrisson sont :
– les colites infectieuses : il n’y a ici pas d’argument en faveur, même si l’hypothèse reste possible. Quoi qu’il en soit, la cicatrisation digestive est plus rapide sous hydrolysat de protéines de lait de vache ;
– les colites allergiques : il n’y a pas de moyen d’en affirmer la réalité dans bannir de l’alimentation les protéines de lait de vache.
Les arguments sont donc doublement en faveur de l’introduction d’un hydrolysat de protéines de lait de vache, pendant 4 semaines
Le terme « lait végétal » est inapproprié (et illégal maintenant), puisqu’il s’agit souvent de jus végétal. Ces liquides n’ont pas leur place dans l’alimentation d’un nourrisson
La clinique prime dans cette situation sans critère de gravité 
Vous introduisez un hydrolysat poussé de protéines de lait de vache. Les symptômes ne récidivent pas dans les semaines qui suivent.
Vous revoyez Jules en consultation, 4 semaines plus tard. Vous proposez aux parents de réintroduire les protéines de lait de vache.
Question 8. Pour quelle(s) raison(s) ?
Une APLV guérit dans près de 80 % des cas à l’âge de 5 ans. Encore faut-il aller jusque-là : c’est normal de ne pas guérir après 4 semaines d’éviction
L’éviction non raisonnée d’un aliment est un risque de sensibilisation de l’enfant à cet aliment
Les parents acceptent de donner à nouveau le lait standard à Jules.
Une semaine après, ils reviennent vous voir aux urgences car les rectorragies ont récidivé, en faible abondance. Il n’y a en revanche pas eu de vomissements. Jules a pris 100 g en une semaine.
L’examen clinique est parfaitement normal.
Question 9. Que faites-vous ?
Grâce à ce test de provocation par voie orale (TPO), vous avez confirmé l’allergie. Concernant l’APLV non IgE-médiée, faire ce test est le seul moyen de confirmer la pathologie. On ne fait plus de patch-test, qui était trop peu spécifique (très irritant, donc de nombreux faux positifs) 
L’examen clinique est rassurant et l’enfant a grossi. Deux éléments fondamentaux pour permettre un retour au domicile 
Vous obtenez en fait une confirmation de l’APLV grâce à ce TPO réalisé à domicile. Il n’y a pas d’argument de gravité à l’examen clinique, et vous avez le diagnostic. Donc un retour au domicile avec un hydrolysat est à envisager.
Question 10. Quel diagnostic posez-vous ?
La distinction entre APLV IgE-médiée et non IgE-médiée se fait :
1. Sur la clinique :
– IgE-médiée : survenue rapide (souvent < 1 heure) après l’ingestion, atteinte cutanée (urticaire et érythème, prurit), respiratoire (bronchospasme), digestive (douleurs abdominales, vomissements aigus), cardiovasculaire (hypotension artérielle, choc), neurologique (malaise) ; cette forme est plus rare dans l’APLV que dans d’autres allergies alimentaires (comme les fruits à coque, les arachides) ;
– non-IgE-médiée : survenue plus tardive (> 1 heure, volontiers > 6 heures) après l’ingestion, atteinte cutanée (eczéma), respiratoire (asthme chronique mal contrôlé), digestif (vomissements chroniques, RGO résistant au traitement, rectorragies, douleurs abdominales chroniques).
Il est important de remarquer que le délai n’est pas toujours facile à apprécier quand un enfant mange toutes les 3-4 heures… est-ce que l’événement clinique immédiatement après le biberon est lié à ce biberon (à immédiat) ou au biberon précédent (à retardé) ?
2. Sur les examens complémentaires :
– IgE-médiée : prick-test et IgE spécifiques (ne plus dire RAST s’il vous plaît). La clinique prime toujours : un test négatif n’élimine pas le diagnostic si la clinique est très favorable (d’ailleurs, dans ce cas, on ne fait pas de test…). Les tests sont en fait souvent utiles pour le suivi ;
– non IgE médiée : aucun test hormis le patch-test, qui est très mauvais dans les allergies alimentaires.
Le TPO (ou conjonctival, labial, etc.) est le meilleur test pour signer l’allergie : le diagnostic est réellement posé quand les symptômes récidivent après une éviction et une réintroduction.
Question 11. Quels examens complémentaires demandez-vous ?
Le TPO réalisé en ville est suffisant pour le diagnostic.
Pour le suivi des APLV non IgE-médiées, il faut avoir des IgE spécifiques du lait de vache pour avoir un taux de base. En effet, lors de la réintroduction vers 9 mois-1 an, un nouveau dosage permettra d’évaluer si cette allergie n’est pas devenue IgE-médiée (mécanisme inconnu).
Sauf cas particulier, notamment avant l’introduction d’un traitement anti-IgE, ou à la recherche d’un syndrome d’hyper-IgE, il n’y a plus d’indication à réaliser un dosage des IgE totales, même dans la dermatite atopique.
Vous revoyez Jules à l’âge de 4 mois. Il est sous hydrolysat poussé de protéines de lait de vache et tout se passe pour le mieux. Il grandit et grossit bien. Son développement psychomoteur est parfait. Les parents se demandent comment réaliser dans ce contexte la diversification.
Question 12. Que leur répondez-vous ?
La diversification doit être réalisée entre 4 et 6 mois chez l’enfant non allaité au sein (il perdure un doute vis-à-vis de l’Organisation mondiale de la santé [OMS] pour les enfants allaités au sein, puisque l’OMS recommande un allaitement maternel strict jusqu’à l’âge de 6 mois). Les recommandations récentes de la Société française de pédiatrie (à retrouver dans la revue les Archives de Pédiatrie) rejoignent les recommandations européennes et américaines, à savoir que les aliments peuvent être introduits dans n’importe quel ordre, y compris les aliments considérés (à tort) comme plus allergéniques, comme les agrumes. Il existe une fenêtre de tolérance, entre 4 et 7 mois, où il est important d’introduire les aliments. Certaines études mettent en évidence un risque d’allergie d’autant plus faible que l’aliment est introduit tôt, y compris dans les populations à risque (atopie).
La diversification se déroule merveilleusement bien, Jules mange de tout : blé, œuf, arachide, fruits à coque, poissons.
Vous le revoyez à l’âge de 1 an pour faire le point sur son allergie au lait de vache. La maman en profite pour vous expliquer ceci : « le grand frère de Jules a fait une allergie sévère à l’arachide, et les tests allergologiques ont confirmé cette allergie. Le médecin traitant a prescrit un bilan pour Jules
Question 13. Qu’en pensez-vous ?
Il n’y a aucune raison de rechercher une sensibilisation à l’arachide chez quelqu’un qui mange sans problème des arachides
La présence d’IgE spécifiques signe la sensibilisation ; la symptomatologie lors de l’ingestion d’arachide signe l’allergie
En effet, Jules est sensibilisé et n’est pas allergique. Il doit donc continuer à manger des arachides ! En revanche, les gens sensibilisés ont un risque accru de devenir allergiques s’ils arrêtent pendant longtemps de manger l’aliment
Concernant l’APLV de Jules, vous expliquez que cette maladie guérit la plupart du temps dès l’âge de 1 an, et qu’il est donc licite de faire une réintroduction. Cependant, certaines formes d’allergie non IgE-médiée peuvent devenir IgE-médiée à l’âge de 1 an, c’est pourquoi vous réalisez un bilan sanguin qui retrouve des IgE spécifiques du lait de vache à 0,9 kU/l (normale < 0,10 kU/L). Vous décidez néanmoins de faire un test, à l’hôpital, et avec du lait cuit.
Dix minutes après avoir ingéré la troisième dose de biscuit au lait, Jules présente une urticaire généralisée débutant au visage et rapidement extensive et des difficultés respiratoires : tirage intercostal, balancement thoraco-abdominal et sibilants à l’auscultation.
Question 14. Quelles sont les caractéristiques d’une urticaire allergique ?
Les urticaires allergiques durent généralement maximum 24-48 heures, elles sont prurigineuses (comme en fait toutes les urticaires) et fugaces. Une urticaire est rosée et non pigmentée ; elle ne laisse pas de cicatrice.
Question 15. Quelle est votre prise en charge immédiate ?
Jules présente une atteinte cutanée + une atteinte respiratoire, il s’agit donc d’une anaphylaxie (grade 2 dans la classification de Ring et Messmer). Le traitement immédiat est l’adrénaline intramusculaire. La voie intraveineuse n’a pas sa place dans la prise en charge initiale de l’anaphylaxie ; le délai d’administration de l’adrénaline est le facteur prédictif principal de la résolution de l’épisode.
Les corticoïdes ne doivent pas avoir leur place dans l’immédiat. Leur intérêt est uniquement en prévention d’une anaphylaxie retardée (4-6 heures), sans que leur efficacité dans cette indication n’ait été prouvée.
Il est évident qu’il faut avant tout arrêter le test.

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