Vous recevez aux urgences Mme K., 81 ans, pour une dyspnée d’installation rapide depuis la veille. Elle est autonome, n’a jamais fumé, et ses principaux antécédents comportent une cardiopathie hypertensive (hypertension artérielle ancienne actuellement bien contrôlée), un diabète de type 2 sous antidiabétiques oraux et une cholécystectomie il y a 5 ans.

Son traitement habituel comporte :

– metformine (Glucophage) ;

– glicazide (Diamicron) ;

– ramipril (Triatec) ;

– bisoprolol (Cardensiel) ;

– hydrochlorothiazide (Esidrex).

À l’examen clinique : pression artérielle 129/62 mmHg ; fréquence cardiaque 106/m ; SpO2 90 % en air ambiant ; température 37,6 °C ; fréquence respiratoire 26/m. Les bruits du cœur sont réguliers sans bruit surajouté, l’auscultation pulmonaire est claire, il n’y a pas de signes de détresse respiratoire aiguë, et l’examen neurologique est sans particularité.

L’ECG retrouve une tachycardie sinusale sans autre anomalie.
Question 1 : À propos du tableau clinique présenté par la patiente, quelles propositions sont exactes ?
L’absence de crépitant rend ce diagnostic improbable (un œdème aigu du poumon [OAP] peut rarement avoir une auscultation normale initialement, mais ici la dyspnée évolue depuis plus de 24 heures).
Bien qu’un pneumothorax de faible/moyenne importance puisse être manqué à l’auscultation, le tableau de désaturation profonde présenté par la patiente ne serait compatible qu’avec un pneumothorax complet voire compressif, qui devrait être perçu à l’auscultation.
L’absence de sibilant rend ce diagnostic très improbable. En cas d’asthme aigu grave particulièrement sévère, ceux-ci peuvent manquer mais il s’agit dans ce cas d’un silence auscultatoire.
La tamponnade peut provoquer une dyspnée avec désaturation avec auscultation normale (en dehors de la tachycardie), le frottement péricardique étant assez inconstant et plus volontiers présent en cas d’épanchement de faible abondance.
Le tableau clinique comprend habituellement au premier plan des troubles digestifs et des céphalées, rarement une dyspnée ou une désaturation. En cas d’intoxication au CO, la saturation est souvent normale, mais la PO2 sera toutefois diminuée sur le gaz du sang.
Une radiographie thoracique est réalisée.

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Question 2 : À ce stade, quel diagnostic vous semble le plus probable ?
Un épanchement pleural de si faible abondance ne peut expliquer la dyspnée de la patiente, une pleurésie purulente est donc peu probable (pas de contexte septique).
La radiographie retrouve un épanchement pleural gauche de faible abondance, pouvant s’intégrer de manière fréquente dans le tableau d’embolie pulmonaire. L’insuffisance cardiaque et l’anémie ont été écartées à la question précédente. La tamponnade est moins probable (auscultation normale, ECG et radio non en faveur) bien qu’elle ne puisse être complètement éliminée.
Les premiers résultats biologiques retrouvent une créatinine à 90 µmol/l (clairance 55 ml/min). Vous suspectez une embolie pulmonaire et souhaitez confirmer le diagnostic, et vous avez accès durant la garde au Doppler veineux et à l’angioscanner (la scintigraphie pulmonaire de ventilation perfusion est réalisable le lendemain).
Question 3 : Quelle conduite à tenir proposez-vous dans l’immédiat ?
La positivité des D-dimères est très peu spécifique, surtout chez le sujet âgé. Leur intérêt réside dans leur valeur prédictive négative, surtout en cas de probabilité clinique faible (ce qui n’est pas le cas ici)
L’absence de thrombose veineuse profonde ne permet pas d’éliminer une embolie pulmonaire
L’angioscanner est l’examen de référence pour le diagnostic d’embolie pulmonaire. La fonction rénale ne contre-indique pas cet examen (cf. commentaire général)
Il s’agit d’une urgence vitale, le diagnostic et le traitement sont des urgences immédiates
Il existe une possibilité de confirmer ou infirmer le diagnostic durant la garde (angioscanner), plutôt que d’exposer la patiente à un traitement non justifié.
L’injection de produit de contraste iodé doit être évitée (si possible) si la clairance est 30 ml/min. L’hydratation est le meilleur mode de prévention et doit être prescrite dès que la clairance est 45 ml/min. Le risque d’insuffisance rénale aiguë après injection de produit de contraste iodé est plus important en cas d’injection intra-artérielle (coronarographie, par exemple).
Vous confirmez le diagnostic d’embolie pulmonaire. Il s’agit du premier épisode de maladie thromboembolique veineuse de la patiente, qui ne rapporte ni chirurgie récente ni immobilisation prolongée.
Question 4 : Parmi les propositions suivantes, quels traitements anticoagulants pouvez-vous proposer en première intention pour votre patiente ?
Le délai d’action des AVK impose une bithérapie initiale avec de l’héparine en attendant un INR efficace
En l’absence d’insuffisance rénale sévère (clairance 30 ml/min) et de signes de gravité, les HBPM sont recommandées plutôt que les HNF (meilleures propriétés pharmacocinétiques/pharmacodynamiques)
Les AOD ayant l’AMM dans l’embolie pulmonaire sont directement efficaces et ne nécessitent pas de bithérapie initiale comme les AVK
Le traitement de première intention des embolies pulmonaires non graves repose sur l’association HBPM + AVK ou bien AOD. En cas d’insuffisance rénale sévère (clairance 30 ml/min), les HBPM et les AOD sont contre-indiqués.
Question 5 : Concernant la recherche d’un éventuel facteur déclenchant, quelles sont les propositions exactes?
Vous réalisez un examen clinique à la recherche d’une néoplasie
Même s’il s’agit d’une thrombophilie acquise, les indications du dépistage du syndrome des antiphospholipides (SAPL) sont globalement les mêmes que pour les thrombophilies héréditaires (cf. commentaire global). Il faut y ajouter les autres signes évocateurs (livedo, thrombopénie, lupus associé…)
Indications d’un bilan de thrombophilie héréditaire en cas de maladie thromboembolique veineuse (MTEV) :
– sujet jeune (< 45-50 ans) avec MTEV idiopathique ;
– maladie thromboembolique veineuse (MTEV) idiopathique et récidivante ;
– MTEV idiopathique et histoire familiale ;
– MTEV idiopathique sur site inhabituel ;
– femme jeune avec antécédents familiaux au 1er degré de MTEV : conseils pour utilisation de contraceptifs ou pour la grossesse (thromboprophylaxie en post-partum).
Vous ne retrouvez pas de facteur déclenchant pour cet épisode. Vous choisissez de débuter un traitement par AVK, initialement associé à une HBPM. Après 48 heures de traitement, l’INR est à 1,2.
Question 6 : Parmi les propositions suivantes, laquelle est exacte ?
Le délai d’action des AVK est d’environ 5 jours pour obtenir un INR > 2. Ceci est lié à leur mécanisme d’action : ils bloquent la synthèse des facteurs vitamine K dépendants par le foie, mais ceux déjà dans la circulation persistent durant plusieurs jours.
La dose d’HBPM n’a pas d’influence sur l’INR (en cas de doute, il faut mesurer l’activité anti-Xa), il faut poursuivre ce traitement jusqu’à un INR efficace.
L’état clinique s’améliore et permet un retour à domicile. L’HBPM est arrêtée après obtention d’un INR > 2. Après 2 semaines de traitement, la patiente vous appelle car son INR est à 8. Elle ne signale aucun saignement.
Question 7 : Parmi les propositions suivantes, lesquelles proposez-vous à la patiente dans l’immédiat ?
Il faut arrêter le traitement si l’INR est > 6 (saut de prise si compris entre 4 et 6)
Il faut prescrire de la vitamine K si l’INR est > 6
Ce traitement n’est recommandé qu’en cas de surdosage avec saignement grave.
Il s’agit d’un surdosage asymptomatique en AVK. En plus des mesures citées, il conviendra de contrôler l’INR le lendemain.
La HAS propose des recommandations sur la conduite à tenir en cas de surdosage (asymptomatique ou non) en AVK :
http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2008-09/surdosage_en_avk_situations_a_risque_et_accidents_hemorragiques_-_synthese_des_recommandations_v2.pdf
À noter qu’il conviendra de rechercher un facteur expliquant le surdosage (erreur de prise, traitement associé).
Les INR sont finalement équilibrés. Un mois plus tard, la patiente vous appelle car elle est gênée par une douleur de la cuisse gauche. Celle-ci est venue progressivement depuis quelques jours, sans traumatisme, est permanente et rend désormais la marche presque impossible. Lorsque vous examinez la patiente, vous notez une douleur de topographie L3 gauche, sans hypoesthésie. La flexion de la hanche gauche reproduit la douleur, et vous cotez la force musculaire à 3/5. La température est à 37,7 °C.
Question 8 : Parmi les propositions suivantes, lesquelles proposez-vous à la patiente dans l’immédiat ?
Cette décision est légitime étant donné l’âge de la patiente et la nécessité d’explorations complémentaires.
Les caractéristiques de la douleur évoquent une cause secondaire de cruralgie : début progressif et sans traumatisme, fébricule. Il s’agit également d’une patiente âgée polypathologique. Ces éléments doivent faire réaliser une imagerie du rachis lombaire par scanner ou IRM à la recherche d’une cause secondaire (néoplasique, infectieuse ou bien hématome du psoas sous AVK).
La prise des constantes retrouve : pression artérielle 115/52 mmHg ; fréquence cardiaque 110/m ; SpO2 98 % en air ambiant ; température 37,8 °C.
Un scanner est réalisé.

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Question 9 : Quel diagnostic vous semble le plus probable au vu de l’ensemble du tableau ?
Le psoas gauche est augmenté de taille (à comparer par rapport au droit, de taille normale). Il n’y a pas d’adénopathie. L’aorte et la veine cave sont bien visibles et normales entre les deux psoas.
La patiente vous explique qu’elle prend régulièrement de l’aspirine pour des douleurs d’arthrose.
Les résultats biologiques sont les suivants :
– créatinine : 155 µmol/l (clairance : 29 ml/min) ;
– hémoglobine : 7 g/dl ;
– VGM : 98 fl ;
– leucocytes : 8 100/mm3 (formule normale) ;
– plaquettes : 160 000/mm3 ;
– INR : 2,8.
Question 10 : Parmi les propositions thérapeutiques suivantes, lesquelles proposez-vous à la patiente dans l’immédiat ?
Oui car la tolérance de l’anémie est médiocre chez cette patiente âgée (tachycardie, hypotension)
Le CCP est nécessaire même si l’INR est en zone cible, car l’objectif est d’obtenir une hémostase normale (INR 1,5) le plus vite possible
Un traitement médical est recommandé en première intention, avec normalisation de l’hémostase. En cas d’hémorragie incontrôlée malgré ces mesures, une prise en charge invasive (chirurgie ou embolisation) pourra être discutée.
La HAS propose des recommandations sur la conduite à tenir en cas d’hémorragie sévère sous AVK :
http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2008-09/surdosage_en_avk_situations_a_risque_et_accidents_hemorragiques_-_synthese_des_recommandations_v2.pdf
Vous hospitalisez la patiente dans votre unité.
Question 11 : Parmi les traitements habituels de la patiente, lesquels sont à arrêter sur votre prescription initiale ?
La patiente présente une hémorragie sévère compliquée d’hypotension avec tachycardie et insuffisance rénale sévère (choc hémorragique débutant). Il faut donc arrêter tout traitement antihypertenseur dans l’immédiat, mesure qui sera à réévaluer selon la surveillance ultérieure de la pression artérielle.
Les sulfamides hypoglycémiants et la metformine sont contre-indiqués en cas d’insuffisance rénale sévère et à éviter en contexte aigu de manière générale (notamment la metformine qu’il faut arrêter devant toute défaillance d’organe). Si nécessaire, une insulinothérapie sera mise en place selon les glycémies.
Votre prise en charge permet une stabilisation de l’hématome. Alors que la transfusion du deuxième culot globulaire est en cours, l’infirmière vous appelle car la patiente est essoufflée. Les constantes sont : pression artérielle 185/98mmHg, fréquence cardiaque 101/m, SpO2 91% en air ambiant, température 36.2°C. L’auscultation retrouve des crépitants bilatéraux.
Question 12 : Quel diagnostic vous semble le plus probable ?
Elle se manifesterait par une hémolyse aiguë intravasculaire : douleurs lombaires, hémoglobinurie, anémie
Le tableau est celui d’œdème pulmonaire (désaturation, crépitants bilatéraux). Une récidive de l’embolie ou du saignement ou une incompatibilité ABO ne pourraient expliquer ces symptômes.
Le diagnostic le plus probable est un OAP cardiogénique, devant les antécédents et l’âge de la patiente, et le contexte hypertensif. Un TRALI (transfusion related lung injury) peut être évoqué (le délai de survenue ne permet pas la distinction), mais est moins probable devant l’absence de fièvre et d’hypotension (et moins fréquent).
Question 13 : Quels traitements proposez-vous dans l’immédiat ?
Inutile (y compris en cas de TRALI)
Indispensable car directement responsable de l’OAP
Le traitement est celui d’un OAP hypertensif avec oxygène et contrôle de la pression artérielle par dérivés nitrés, avec diurétiques de l’anse. Il faut impérativement arrêter la transfusion qui est le facteur déclenchant.
L’épisode évolue favorablement, mais la patiente se plaint toujours de douleurs liées à son hématome malgré un traitement antalgique de palier II. La reprise de la marche est impossible. La créatinine est inchangée (clairance : 29 ml/min).
Question 14 : Parmi les propositions suivantes, lesquelles sont exactes ?
Une insuffisance rénale sévère doit faire réduire la dose de morphine de 50 %
La dose de morphine initiale doit être réduite de 50 % chez les sujets âgés
Sans rapport
Les AINS sont formellement contre-indiqués en cas d’insuffisance rénale, et peuvent majorer le risque hémorragique par leur action antiagrégante plaquettaire
Les antalgiques de palier I peuvent être associés à ceux de palier II ou III et permettent de limiter leur consommation.
La patiente doit être soulagée efficacement de ses douleurs. On pourra utiliser un palier sous réserve de diminuer la dose initiale en raison de l’âge et de l’insuffisance rénale, en adaptant secondairement les doses selon l’efficacité et la tolérance.
Quinze jours plus tard, la patiente est en pleine forme et a repris la marche. L’épisode initial d’embolie pulmonaire était il y a 2 mois maintenant. La clairance de la créatinine s’est améliorée (55 ml/min).
Question 15 : Parmi les propositions suivantes, lesquelles sont exactes ?
On peut supposer que l’accident hémorragique a été favorisé par la prise d’AINS et les difficultés d’équilibre de l’INR, ce qui ne contre-indique pas le traitement ultérieurement
Un AOD serait une option thérapeutique pour la patiente, mais le risque hémorragique n’est pas moindre que sous AVK, et ne doit pas être un argument de choix de ce traitement. En revanche, la difficulté d’équilibre de l’INR peut être un argument pour le choix d’un AOD
Le traitement par aspirine est inefficace dans le traitement de la maladie thromboembolique veineuse.
La décision de la reprise d’un traitement anticoagulant est parfois difficile et doit prendre en compte la balance bénéfice (risque élevé de récidive d’une embolie pulmonaire dans les 3 premiers mois, surtout en l’absence de facteur déclenchant retrouvé) – risque (récidive de l’hématome). On peut supposer que l’accident hémorragique a été favorisé par la prise d’AINS, et reprendre un traitement anticoagulant sous surveillance, de préférence maniable (HBPM, par exemple) dans un premier temps.
Il est intéressant de noter que la durée d’arrêt du traitement anticoagulant et sa reprise auraient été différentes en cas d’indication (FA à risque embolique modéré, valve mécanique) ou de complication (hématome cérébral, épistaxis) différentes.

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