Vous êtes l’anesthésiste de garde en orthopédie. Vous êtes appelé à minuit un soir d’été, au chevet de Mme M. 70 ans pour hypotension artérielle. Elle a été opérée la veille d’une prothèse totale de hanche droite sur arthrose.

En lisant le dossier, vous découvrez ses antécédents : méningite tuberculeuse dans l’enfance avec comme séquelle un pan-hypopituitarisme et une cophose ; HTA ; AVC sylvien gauche il y a 5 ans sans séquelle, transplantation rénale sur néphropathie diabétique il y a 5 ans, avec fonction rénale normale depuis. Elle vous signale avoir été traitée par amoxicilline il y a 1 semaine pour une sinusite. Elle a une allergie aux sulfamides.

Les prescriptions de l’interne d’orthopédie sont les suivantes : glucosé 5 %, paracétamol, L-thyroxine, atorvastatine, tacrolimus, mycophénolate mofétil, Kardégic, Tardyféron (fer élément per os).

La biologie du matin retrouve hémoglobine 11 g/dl ; plaquettes 200 G/l ; leucocytes 10 G/L ; natrémie 130 mmol/l ; kaliémie 5,1 mmol/l ; créatininémie 70 µmol/l ; protéines C-reactive (CRP) 60 mg/l.

L’infirmière vous signale qu’elle présente depuis ce matin des douleurs abdominales croissantes et des vomissements depuis ce soir.

À l’examen, la hanche est douloureuse, le drain a donné 150 ml de liquide séro-hématique sur les dernières 24 heures. La cicatrice est propre. Les constantes sont : pression artérielle 80/42 ; fréquence cardiaque 100/min ; oxymétrie de pouls 96 % en air ambiant ; température 35,7 °C. Il n’existe pas de déficit sensitivo-moteur. L’auscultation cardio-pulmonaire est normale. L’abdomen est très douloureux avec des muscles abdominaux contractés. Au toucher rectal, les selles sont noires. Le cathéter veineux périphérique au pli du coude est légèrement inflammatoire.
Question 1 : Vous retenez en faveur de l’hypothèse d’un choc septique :
Le fait d’être transplanté expose à plus d’infection du fait de l’immunodépression T.
On ne parle de choc septique qu’à partir du moment où l’on a une hypotension persistante malgré remplissage vasculaire (20 ml/kg)
L’abdomen est fortement suspect, il existe une irritation péritonéale, et donc un foyer infectieux abdominal potentiel.
L’hypothermie est un argument en faveur d’une origine septique de l’état de choc
Le liquide de drainage est propre et peu abondant donc peu suspect.
La CRP est souvent modérément élevée en post-opératoire précoce, ici il ne nous aide pas à faire la part des choses avec un sepsis.
Question 2 : Vous retenez en faveur du diagnostic de choc hémorragique :
Le chiffre d’hémoglobine n’est pas en faveur car il est subnormal. Il serait en faveur s’il était bas. Mais on sait qu’à la phase aiguë du choc hémorragique, le chiffre d’hémoglobine peut être faussement normal à cause de l’hémoconcentration. Donc ici il faut le redoser régulièrement pour en voir la cinétique.
Le Kardégic est un antiagrégant plaquettaire qui favorise les hémorragies muqueuses.
Le drain du site opératoire montre un faible débit et un aspect peu évocateur d’une hémorragie active.
La couleur noire des selles est plus probablement liée à la prise de Tardyféron qu’à un méléna.
Dans un contexte clinique d’hémorragie, contrairement au sepsis, le chiffre de pression artérielle bas (PAS < 90 mmHg ou PAD < 60 mmHg ou PAM <65 mmHg), quel que soit le remplissage antérieur, est un argument en faveur de l’état de choc)
Question 3 : Vous retenez en faveur du diagnostic de l’insuffisance corticotrope :
Classiquement dans l’insuffisance surrénalienne haute (corticotrope), la sécrétion de fludrocortisone est maintenue, ainsi les signes tels que l’hyponatrémie, l’hyperkaliémie et l’état de choc sont moins marqués que dans l’insuffisance surrénalienne basse, mais peuvent exister.
Le fait d’avoir été opéré récemment est un stress qui aurait dû imposer un doublement des doses d’hydrocortisone,  or celle-ci a été oubliée par l’interne dans la prescription !
Le tableau de pseudo-choc septique à point de départ digestif est classique dans l’insuffisance surrénalienne.
Question 4 : Quel est le diagnostic le plus probable ?
Question 5 : Vous injectez de l’hémisuccinate d’hydrocortisone. Vous n’y associez pas de fludrocortisone car :
La fludrocortisone est l’autre hormone sécrétée par la surrénale, indépendante de l’ACTH, et avec une activité aldostérone : réabsortion de sel, excrétion de potassium. Il n’existe pas d’antagonisme avec les corticoïdes. Dans l’insuffisance surrénalienne haute (corticotrope), la sécrétion de fludrocortisone est maintenue, ainsi il n’est pas nécessaire d’en prescrire ou de la doser.
Question 6 : Concernant le cathéter :
Un cathéter périphérique inflammatoire peut tout à fait provoquer une bactériémie (staphylocoque, bacille à Gram négatif) et donc un état de choc.
Lorsqu’un patient présente une hypotension, il est indispensable d’assurer une nouvelle voire veineuse avant l’ablation du cathéter
Les hémocultures couplées sont indispensables à réaliser pour faire le diagnostic d’une infection de cathéter central, mais on ne réalise jamais d’hémoculture sur cathéter périphérique, on le retire et on le met en culture en cas de doute
L’évolution est favorable dans votre service de réanimation. La patiente est transférée en centre de convalescence.
Vous êtes appelé aux urgences, 2 semaines plus tard, pour donner un avis concernant cette même patiente qui présente une fièvre à 40 °C associée à des frissons depuis 2 jours.
Elle vous explique qu’elle était rentrée chez elle depuis 7 jours. La convalescence s’est très bien passée.
L’examen clinique retrouve : tension artérielle 120/70 ; fréquence cardiaque 105/min ; oxymétrie de pouls 94% en air ambiant ;  température 39,7°C, pas de foyer infectieux  évident hormis des sous-crépitants aux deux bases, pas d’adénopathie. La hanche est cicatrisée, il n’y a pas de fistule, les mobilisations active et passive de la hanche opérée sont conservées et indolores.
La biologie retrouve hémoglobine 11 g/dl ; plaquettes 200 G/l ; leucocytes 10 G/L (polynucléaires neutrophiles 9 G /L lymphocytes 0,1 G/L), natrémie 143 mmol/L, kaliémie 4 mml/L, créatininémie 80 µml/l, pas de cytolyse hépatique, lactate déshydrogénase (LDH) 600 UI (norme < 250). La patiente vous dit avoir été vaccinée contre la grippe au mois d’octobre.
Question 7 : Selon une approche probabiliste, le germe le plus vraisembablement en cause est  :
Le pneumocoque est le germe le plus fréquent dans les pneumonies.
Ce n’est pas la période pour la grippe.
Le contexte est certes nosocomial, mais la patiente n’a pas été intubée de manière prolongée, elle n’a donc pas de raison de développer une pneumonie à Pseudomonas æruginosa.
Il n’y a pas d’argument pour la légionellose : ,ni exposition à risque (système de climatisation défectueux, balnéothérapie), ni signe clinique (pas de dissociation pouls/température), ni signe biologique (pas d’hyponatrémie, pas de cytolyse hépatique, pas de CPK élevé, pas d’insuffisance rénale).
La pneumocystose fait partie des infections opportunistes chez le transplanté d’organe solide, mais chez cette patient ce n’est pas le premier germe à évoquer
L’antigénurie pneumocoque est positive, l’antigénurie légionelle est négative. Les gaz du sang retrouvent pH 7,41, PaO2 55 mmHg, PaCO2 32 mmHg, réserve alcaline 26 mmol/L.
Vous faites réaliser une radiographie de thorax
Question 8 : La radiographie de thorax montre :
Poche à air gastrique sous la coupole gauche.
Élévation de la coupole gauche qui devrait être plus basse que la droite.
Pneumonie de l’immunodéprimé, avoir le scanner facile car :
précise la sémiologie radiologique pour orienter le diagnostic,
oriente le territoire le plus adapté pour réaliser le lavage broncho-alvéolaire,
Surtout chez le neutropénique : rechercher signe d’aspergillose pulmonaire aiguë.
Imagerie de la pneumocystose :
Syndrome interstitiel bilatéral prédominant aux hiles.
La radiographie peut être normale au début.
Au scanner, présence de kyste, de bulles, parfois de pneumothorax.
Les signes négatifs sont importants : pas de pleurésie, pas d’adénopathie
Méthode pour bien différencier syndrome interstitiel et l'alvéolaire à la RP :
1 - contexte clinique : si contexte de virose (toux sèche myalgie pas de crepitant), on s'attend à un syndrôme interstitiel. Au contraire si le tableau est bruyant, crachats purulents foyer de crépitant, souffle tubair, plutôt à un syndrôme alvéolaire.
2 - la radiographie , le  syndrome alvéolaire est plutôt systématisé à un lobe, la condensation  alvéolaire doit contenir un broncho gramme aérien, le syndrome  interstitiel est non systématisé, on remarque que les  réticulations/micronodules sont diffus.
Question 9 : Quelle(s) est(sont) la(es) réponse(s) exacte(s) ?
Antigénurie légionelle : ne détecte que le sérotype 1, présent dans plus de 90 % des cas. Spécificité excellente,  il peut être faussement négatif s’il est dépisté trop tôt (se positive entre J1 et J3).
Antigénurie pneumocoque : La spécificité est excellente chez l’adulte, quasiment pas de faux positifs sauf :
- Le portage chronique pneumococcique (enfants, bronchopathie chronique).
- L’infection à pneumocoque dans le mois précédent (ici sinusite).
La sensibilité est médiocre avec de nombreux faux négatifs.
Signe biologique de pneumocystose : LDH élevés.
Les vaccins : Certes son vaccin a été réalisé depuis plus de 15 jours, délai suffisant pour faire des anticorps, mais elle est sous immunosuppresseurs (tacrolimus et mycophénolate mofétil), ce qui signifie qu’elle a une moins bonne réponse aux vaccins.
Vous faites pratiquer un scanner
Question 10 : Le scanner montre :
Le verre dépoli est un signe scénographique de syndrome interstitiel.
Ici il s’agit d’une fenêtre médiastinale, les ganglions ne sont pas visibles.
L’œsophage est une lumière virtuelle collée à la face postérieure de la trachée.
Vous confirmez un syndrome interstitiel bilatéral radiologique.
Question 11 : Vous suspectez une pneumocystose car :
C’est un champignon, et non un parasite
Pas de fongémie
Chez les VIH +, faire plutôt des crachats induits (car les sécrétions sont riches en kystes)
Chez les VIH - (transplantés d’organes, lymphopénie dans le cadre d’hémopathie) : faire plutôt un lavage broncho-alvéolaire (car les sécrétions sont pauci-kystiques).
Pas de bactrim car allergie aux sulfamides
Pas de CTC car indiqué seulement chez les VIH avec PaO2 < 70 mmhg ( il a été montré chez les patients non VIH avec pneumocystose, que les corticoïdes étaient plus délétères qu'autre chose) . Enfin un détail, les pneumocystose des patients VIH + sont polykystiques, c'est à dire qu'au prélèvement respiratoire, on trouve classiquement beaucoup de kystes, contrairement au patient non VIH, ceci peut en partie expliquer le retard diagnostique et la mortalité plus élevé des pneumocystoses chez les patients non VIH.
Vous réalisez un lavage broncho-alvéolaire qui retrouve des kystes à la coloration de Gomori-Grocott. La culture bactériologique est stérile.
Question 12 : Vous allez alors prescrire :
Corticothérapie et pneumocystose
Validée chez le patient  VIH+, améliore la survie, bénéfice débutant dans les 72 premières heures.
Indication PO2 £ 70mmHg ou gradient ≥ 35mmHg
Prednisone 40 mg x 2/j pendant 5 jours, puis 40 mg 5 jours, puis 20 mg 9 jours.
Traitement de la pneumocystose
1re intention : trimétoprime-sulfamétoxasole
2e intention :
Si PaO2 < 70 mmHg : pentamidine intraveineux
Si PaO2 > 70 mmHg : atovaquone oral ou pentamidine aérosol
Durée : 21 jours
La patiente évolue favorablement sous pentamidine intraveineux. Elle est transférée en médecine interne pour suite de prise en charge. Vous êtes appelé à son chevet le premier jour du transfert en médecine. L’aide-soignante vous raconte qu’en l’aidant à se relever de son lit pour aller à la douche, elle a poussé un cri, puis est tombé au sol, mais elle a pu la rattraper à temps, et il n’y a pas eu de traumatisme crânien.
A votre examen, elle est au sol, tension artérielle 87/43 ; fréquence cardiaque 130/min ; oxymétrie de pouls 90 % en air ambiant ;  température 37,7 C ; marbrures ; Glasgow 15 ; turgescence jugulaire bilatérale.
Vous faites faire un électrocardiogramme

L’échographie cardiaque au lit de la malade retrouve une dilatation du ventricule droit et de l’oreillette droite, et une fraction d’éjection du ventricule gauche estimée à 30 %.
Question 13 : Pour avancer dans le diagnostic, vous réalisez : 
1. Argument en faveur d’une embolie pulmonaire :
facteurs de risque présents : cancer métastasé, contexte d’alitement prolongé
symptômes au lever (on imagine une thrombose qui migre d’une veine du membre inférieur dans l’artère pulmonaire au passage de la position couchée à debout) 
dyspnée aigüe sans autre cause, à auscultation pulmonaire normale
2. Signes de gravité clinique de l’embolie pulmonaire présents dans cette observation :
syncope
hypotension artérielle
signe périphérique de choc
turgescence jugulaire
3. Arguments échographiques pour un cœur pulmonaire aigu :
Suspicion d’embolie pulmonaire grave :
avec état de choc
avec signe échocardiographique de cœur pulmonaire aiguë (dilatation des cavités droites)
sans antécédents cardiorespiratoires chroniques (qui pourraient expliquer une hypertension artérielle pulmonaire avec cœur pulmonaire chronique)
Le diagnostic d’embolie pulmonaire est posé, il est recommandé de débuter en l’absence de contre-indication une thrombolyse et de ne pas déplacer le patient à l’angioscanner thoracique (risque d’arrêt cardiaque si déplacement).
Question 14 : Quel(s) traitement(s) proposez-vous mettre en œuvre dans les 6 prochaines heures ?
Héparine de bas poids moléculaire : pas dans les embolies pulmonaires (EP) graves.
Héparine non fractionnée (HNF) : indiquée dans les EP graves.
Posologie à connaître : calciparine bolus 80 UI/kg suivi de 500 UI/gg/j IVSE. Interrompre l’HNF pendant la thrombolyse, et reprendre quand TCA < 2.
Activité de la thrombolyse : évite les récidives d’EP, ne lyse pas le caillot déjà présent.
Thrombolyse  si EP + choc + absence de contre-indication : Altéplase 100 mg en 2 heures IVSE
Activité : lyse le caillot et augmente en 2 heures de 15 % le débit cardiaque.
Alteéplase 100 mg en 2 heures IVSE
Remplissage vasculaire dans l’EP grave :
augmente la précharge si remplissage modéré (500 ml sérum physiologique), et augmente le début cardiaque ;
augmente la dilatation du ventricule droit si remplissage massif, et majore la compression du VD sur le VG.
Si hypotension malgré remplissage, prescrire la dobutamine.
Filtre cave :
 si contre-indication aux anticoagulants
si récidive d’EP sous anticoagulant.
Notion de limitation de soins :
doit être mentionnée dans les dossiers médicaux ;
ici pas de directives anticipées ;
monodéfaillance hémodynamique ;
réversibilité potentiellement facile après thrombolyse.
La patiente est thrombolysée. L’évolution est marquée par une hémorragie digestive basse post-thrombolyse compliquée d’une déglobulisation. Vous décidez de la transfuser d’un culot globulaire. Vous réalisez le test de Beth-Vincent   au lit de celui-ci. Sachant que le sang du patient est déposé sous le rond à la gauche de l’image, et celui du culot est déposé sous le rond à la droite de l’image.
Question 15 : Quelle(s) est(sont) la(les) réponse(s) juste(s) ?
La pastille « anti-A » contient un anticorps anti-antigène A.
Elle repère, en cas de réaction positive (c’est-à-dire en cas d’agglutination) l’antigène A contenu dans le sang.
S’il y a réaction positive sur la pastille « anti-A » mais pas sur la pastille « anti-B », le sang ne contient que de l’antigène A, on parle donc de groupe A.
Ici le patient est O car il n’agglutinine pas du tout. Le culot est de groupe A, car il agglutinine seulement avec A.

Exercez-vous aux ECN avec les dossiers progressifs et les LCA de La Revue du Praticien